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Orama Nigou, dans l'intimité du maro 'ura


TAHITI, le 19 janvier 2022 - Designer textile, formée au centre des métiers d’art de Tahiti et au lycée des arts et métiers de La Souterraine explore les matières. Elle a choisi la voie de l’éthique et de l’écoresponsabilité, a appris la plumasserie, elle s’intéresse aux ressources locales et fait des recherches pour développer l’utilisation du tapa. Celle qui s’est faite remarquer pour son étude du maro ’ura vient d’obtenir sa carte professionnelle d’artiste.

Jeudi 13 janvier, les membres de la commission de délivrance des cartes professionnelles d’artiste se sont réunis pour étudier six demandes. Parmi elles, celle d’Orama Nigou, designer textile. L’artiste qui fabrique aussi des objets d’artisanat a obtenu le sésame. Une étape de plus dans son parcours.

Après un séjour métropolitain de trois ans, la jeune femme s’est installée à Raiatea, dans la maison familiale. Elle est retournée aux sources en juin dernier pour travailler sur ses projets artistiques et artisanaux. Elle a un atelier de création de bijoux, accessoires, vêtements et poursuit ses recherches et réflexions sur des matières qu’elle affectionne, sur des ressources locales. "Ce sont deux démarches bien différentes", souligne-t-elle. Toutes ses réalisations témoignent de son savoir-faire et de sa maîtrise de techniques variées comme la plumasserie, elles mettent en valeur ses connaissances sur la culture et le patrimoine polynésien.

Le dessin comme départ


Née en 1998 à Raiatea, Orama Nigou est arrivée à Tahiti dans le cadre de ses études. Après son baccalauréat, elle ne savait pas ce qu’elle voulait faire. “C’était assez flou, j’envisageais quelque chose de plus ou moins artistique. Je n’étais pas sûre de moi, j’ai essayé d’intégrer une école en France, cela n’a pas fonctionné.” Son “grand truc”, depuis toujours, “sans doute depuis que je sais tenir un crayon", c’était le dessin. De plus, elle portait beaucoup d’intérêt à l’art en général, au patrimoine, à la culture. Elle s’est décidée pour une inscription à l’université de Polynésie française en langues étrangères appliquées (LEA), "mais mes parents ont tout de suite vu que cela ne m’enjouait pas". Son père lui a alors parlé du Centre des métiers d’art à Papeete (CMA). Orama Nigou a pris la direction du centre en 2015. "Ça a été la meilleure chose à faire, j’ai adoré les études là-bas."

Au CMA, elle a fait de nombreuses expérimentations sur la matière. Elle a notamment fabriqué une collection remarquée de robes et bijoux à partir de cheveux. Ses œuvres ont été présentées à l’occasion de la Tahiti Fashion Week. "Présents partout dans la culture polynésienne, les cheveux sont un matériau qui a beaucoup de mana, très noble." Pour Orama Nigou, l’art est le fruit de réflexions, porteur de message, il bouscule. Avec ses créations à base de cheveux, elle a souhaité soulever des contradictions confrontant le prestige d’antan de ce matériau au dégoût qu’il peut susciter à notre époque.

Formée en France au design textile

Après le CMA, l’étudiante est allée en métropole, et plus précisément à La Souterrain dans la Creuse. Elle a cherché à approfondir ses connaissances et techniques autour du textile et des matières. Elle a passé trois ans au lycée des arts et métiers Raymond Loewy. Elle a obtenu un diplôme national des métiers d’art et du design (elle a fait partie de la première génération d’étudiants inscrits). "Ces études ont vraiment répondu à toutes mes attentes. En sortant du CMA, j’avais une approche très artistique, il me manquait des armes et compétences, j’ai eu besoin de m’ouvrir à d’autres horizons." Elle a adopté de nouvelles façons de penser et réfléchir, de nouvelles méthodologies, de nouvelles manières d’aborder la matière.

Elle a opté pour le design textile, a été sensibilisée à l’écoresponsabilité, à la problématique éthique. Elle a aussi été formée à diverses pratiques. De sa propre initiative, elle a complété son cursus par l'apprentissage de la plumasserie. "C’est un art qui englobe toutes les techniques liées à la plume, c’est associé au domaine de la mode et de la haute couture, mais cela peut servir à l’ornementation." Dans son atelier, elle se sert de plumes pour confectionner des bagues par exemple. Elle a eu la chance de faire plusieurs stages pour mettre en pratique toutes ses connaissances, ainsi que des workshops. Elle cite ceux consacrés à la laine, au tissage, à la teinture végétale.


Ô toi, le maro ’ura

Depuis un an et demi, elle se concentre sur un objet bien particulier, le maro ’ura. "Ô toi, le maro ’ura, tu es l’emblème sacré des plus majestueux des rois ! Je me suis immiscée dans ton intimité, j’ai aimé me promener dans tes nombreuses plumes, j’ai tellement aimé m’être abandonnée dans tes fibres, toi l’ouvrage inachevé. Le témoin du temps avide, Ô toi l’objet mythique, j’ai trouvé du sens, j’ai trouvé des réponses et encore plus de questions." Orama Nigou a écrit ce texte qui raconte sa relation avec l’objet. Elle a dirigé Mahealani Amaru qui lit la version tahitienne, danse, interprète les mots dans une courte vidéo à visionner sur la page Facebook d’Orama Nigou.

Le maro ’ura est une ceinture royale qui a été exposée au musée du quai Branly à Paris jusqu’au 9 janvier 2022. Cette ceinture "questionne sur différentes problématiques actuelles, en particulier sur la place du textile en Polynésie hier ou aujourd’hui". Les vêtements portés à présent sont tous importés "alors qu’il y a des alternatives, comme le tapa", regrette Orama Nigou qui aimerait un jour voir se développer une filière de textile sur le territoire.

Elle a découvert l’existence de la ceinture en lisant des articles qui annonçait l’exposition du quai Branly. "Elle était encore dans les réserves. J’ai fait une demande au musée par l’intermédiaire du CMA pour aller le voir." Sa demande a été acceptée et, en octobre 2020, Orama Nigou a pu rencontrer le maro ‘ura. "Je l’ai vu une fois, mais suis restée vraiment longtemps, j’en ai pleinement profité." Elle a pu également discuter avec Stéphanie Leclerc-Caffarel, responsable des collections Océanie du musée. Des croquis sont nés de ces échanges. "Je les ai envoyé à Stéphanie pour la remercier." Ils ont fini exposés à côté de la ceinture. "Un honneur", commente Orama Nigou dont le parcours est toujours plus riche, plus vaste et perméable. Artiste, artisane, créatrice, designeuse, Orama Nigou est tout cela à la fois, elle est son univers.

Orama Nigou, dans l'intimité du maro 'ura
Contacts

FB : Atelier Tamau
Sur Instagram : Orama Nigou
FB : Orama.draw

Rédigé par Delphine Barrais le Mercredi 19 Janvier 2022 à 19:43 | Lu 1740 fois