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Noctambules




Samedi soir, une ombre délicate s’avance le long des rues de Papeete. Elle se glisse au milieu
des noctambules et prend le chemin du front de mer. Les couronnes de fleurs posées sur son bras se
balancent au rythme mesuré de ses pas.
 
Elle s’arrête un instant pour reprendre son souffle et goûter la fraîcheur de la nuit quand elle
aperçoit une silhouette qui sort de l’obscurité. Le vieil homme se redresse péniblement et s’avance.
Elle le reconnait à sa démarche claudicante. Ils se saluent et échangent quelques nouvelles puis
l’homme retourne s’asseoir tandis qu’elle poursuit son chemin. Il reprend sa place sur les cartons qu’il
a minutieusement disposés au pied d’une luxueuse devanture, avant de ranger les pièces offertes par
son amie dans l’une de ses poches.
 
D’une terrasse à l’autre, la vieille femme navigue maintenant entre les tables pour proposer
ses colliers colorés au parfum envoûtant. Regards gênés, parfois moqueurs, lui répondent. La musique
est suffisamment forte pour faire mine d’ignorer la vendeuse nocturne. Mais rien n’efface son sourire
chaleureux et, au fil de la nuit, plusieurs personnes lui achètent des fleurs en souvenir de la belle
époque ou simplement pour le plaisir.
 
Finalement l’aube approche et Mamie Tiare, telle qu’on la surnomme, quitte l’agitation du
centre-ville pour rentrer chez elle. Loin des néons, les rues se font plus sombres, plus silencieuses, et
les passants plus rares. Soudain, les éclats de voix d’une bagarre font sursauter la vieille femme et elle
presse le pas. Mais, au loin, elle devine une bande de jeunes qui arrive face à elle. Démarches
chaloupées, casquettes vissées sur la tête, ils semblent avancer comme un seul homme, l’oeil aux
aguets. Prise d’un mauvais pressentiment, Tiare tourne brusquement au coin de la rue pour éviter la
rencontre. Elle se glisse dans l’ombre et attend, immobile. Après un instant, elle sourit de sa frayeur,
et s’apprête à reprendre sa route quand une intense douleur lui enserre le coeur, paralysant son bras
gauche. Souffle coupé, elle s’agrippe au mur pour tenter de rejoindre la lumière mais ses forces
l’abandonnent et elle s’effondre sur le sol.
 
A travers la brume qui l’envahit peu à peu, la vieille femme perçoit une volée de rires dans le
lointain. Bientôt des talons claquent en cadence sur le trottoir d’en face. Tiare ouvre péniblement les
yeux et distinguent deux jeunes femmes radieuses. Dans un dernier élan, Tiare parvient à lever le bras
pour les appeler à l’aide mais aucun son ne sort de sa bouche et, se méprenant sur son geste, les jolies
fleurs détournent les yeux. Quelques instants plus tard, l’une d’elle revient déposer un billet près de
ses couronnes avant de repartir.
 
Tiare ne les entend déjà plus quand le groupe de jeunes qui l’a tant effrayée arrive finalement
à son niveau. Les garçons s’arrêtent et l’un d’eux s’agenouille près d’elle.
 
  • E, mama ? Ça va ?
 
Face au silence de Tiare, ils échangent quelques paroles inquiètes puis l’un d’eux sort son vini.
Au loin, le bruit de la sirène de pompiers déchire la nuit.
 
Jenny PRADINES

le Mercredi 23 Octobre 2019 à 13:09 | Lu 1403 fois


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