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Librairies, l’épilogue d’une époque


PAPEETE, le 22 août 2019 – Les deux librairies historiques de Polynésie, Archipels et Klima, vont fermer leurs portes dans les prochains mois après respectivement 33 et 83 ans d’existence, en raison principalement de départs en retraite. Et aucun repreneur ne s’est positionné pour poursuivre l’activité des deux établissements. Une véritable page qui se tourne dans le paysage culturel local.

 

Hasard du calendrier ou signe des temps  ? Deux des librairies historiques de Polynésie vont fermer leurs portes sans repreneurs dans les prochains mois. La librairie Archipels, installée rue des Remparts, va définitivement baisser le rideau le 30 septembre prochain. Dans le même temps, en face de la cathédrale à Papeete, la librairie Klima doit fermer avant la fin de l’année.


Des établissements de 33 et 83 ans

Créé en 1986 par Emanuel Lou, la librairie Archipels avait été rachetée en 1990 par Evelyne Lee, toujours en poste aujourd’hui. Mais après 47 ans de travail, Evelyne a décidé de prendre une retraite méritée. “Les librairies, c’est quand même dur”, concède la propriétaire. Et en effet, si de potentiels repreneurs ont manifesté un intérêt pour le local de la boutique, aucun libraire n’a souhaité reprendre l’activité sur place. En revanche, le stock de livres d’Archipels va être vendu à Office One, le groupe déjà propriétaire de la librairie Odyssey en centre-ville. Le projet annoncé est d’installer un espace librairie au sein du magasin actuellement spécialisé en fournitures de bureau sur l’avenue du Prince Hinoï. 

 

Concurrencé par Internet et par les sites de vente en ligne comme Amazon, le secteur de la vente de livre a également subi la crise de plein fouet dans les années 2000, explique Evelyne Lee. La librairie Archipels a employé jusqu’à neuf salariés. Aujourd’hui, ils ne sont plus que trois. “Aujourd’hui, c’est assez difficile. Il faut se diversifier. Je me suis heureusement diversifiée un peu ces dernières années et c’est ça qui m’a sauvé. Mais la concurrence d’Internet nous crée des préjudices.” La libraire dit également constater un manque d’intérêt pour la lecture chez les plus jeunes. “Avant, le livre était un loisir. Maintenant, ce sont les jeux vidéo les loisirs.” 

 

La librairie Klima, de son côté, fait office de monument dans le secteur. Fondée en 1936, elle s’est installée place Notre Dame à Papeete en 1964. Ses responsables actuels n’ont pas souhaité s’étendre pour l’heure sur les circonstances de la fermeture annoncée d’ici la fin de l’année. Mais, là aussi, c’est un départ en retraite et des raisons de santé qui poussent les propriétaire à baisser le rideau. Et, là aussi, aucun repreneur n’a souhaité poursuivre l’activité de la librairie et reprendre les deux employés aujourd’hui en fonction. Selon nos informations, le stock de livres sera soldé et il n’est pas prévu pour l’heure qu’il soit repris par un des derniers libraires de la place.


Une page qui se tourne

“Voir une librairie qui ferme, c’est toujours très triste. En particulier pour les acteurs du livre, mais je pense aussi pour l’ensemble de la société”, commente le président de l’Association des éditeurs de Tahiti et des îles (AETI), Christian Robert, qui dit évidemment comprendre les propriétaires des deux enseignes. “Je pense qu’ils ont aussi évidemment raison de penser à eux et d’arrêter de travailler à partir d’un certain âge.” Mais pour l’éditeur d’Au Vent des îles, l’avenir n’est pas pour autant tout noir pour le secteur. “En tant qu’éditeurs, on se rend compte que ça fonctionne quand même. C’est un secteur compliqué, c’est sûr”, explique Christian Robert. “Mais à la fois il y a de plus en plus de livres qui sortent. (…) Ça veut dire qu’il y a des gens qui y croient.” 

 

Même discours du côté de la jeune association d’auteurs Taparau. Patrick Chastel, son président, reconnaît “le côté emblématique dans ces deux fermetures” mais veut rester optimiste pour l’avenir, saluant le travail des établissements encore existants. Reste qu’une page se tourne avec la fermeture de ces deux enseignes. Deux symboles du livre et de la culture en Polynésie. 


Evelyne Lee, propriétaire de la librairie Archipels : “Il était temps de lever le pied”

Pour quelles raisons la librairie Archipels va-t-elle fermer ses portes  ?

“La seule raison, c’est ma retraite. Cela fait 30 ans que je possède la librairie et je me suis dit qu’il était temps de lever le pied. Mon mari est déjà à la retraite depuis 9 ans. Ça va quand même être bien d’être à la retraite ensemble.” 

Il n’y a pas de repreneur pour votre activité de libraire et une autre librairie historique de Papeete, Klima, va bientôt fermer ses portes. Est-ce que cela signifie que les temps sont durs pour votre métier  ?

“Aujourd’hui, c’est assez difficile. Il faut se diversifier. Je me suis heureusement diversifiée un peu ces dernières années et c’est ça qui m’a sauvé. Mais la concurrence d’Internet nous crée des préjudices. Et puis, les jeunes lisent moins. Ils ont des tablettes, mais ils ne lisent pas. Avant, le livre était un loisir. Maintenant, ce sont les jeux vidéo les loisirs.” 


Odyssey et les autres

La librairie Odyssey, située en centre-ville place Notre Dame à Papeete, va donc devenir dans quelques mois la principale librairie de Polynésie. “Avec Amazon”, ironisait jeudi un spécialiste du secteur. Mais d’autres enseignes proposent bien évidemment encore des livres à la vente. Office One, propriété du même groupe qu’Odyssey, devrait donc lancer bientôt son espace librairie à partir du stock de la librairie Archipels. On peut également citer en exemple la librairie du Petit Prince dans la galerie marchande de Carrefour à Punaauia. On retrouve aussi, justement, les grandes surfaces Carrefour avec des espaces dédiés à la librairie, certes réduits, mais dans lesquels on retrouve nombre d’ouvrages locaux plus difficiles à trouver sur Internet. Enfin, quelques points de vente épars spécialisés en papeterie ou journaux proposent toujours quelques livres à l’achat.


Patrick Chastel, président de l’association Taparau  : “Un côté emblématique dans ces fermetures”

Comment réagissez-vous à ces deux fermetures de librairies historiques de Polynésie  ?

“Il y a un côté emblématique dans ces deux fermetures. Les personnes qui se sont occupées de ces librairies, et même les familles dans le cas de Klima, sont des personnages très forts de la vie polynésienne. Maintenant dans les deux cas, ce sont des personnes âgées qui vont prendre leur retraite. Ce qui est plutôt dommageable, ce n’est pas tellement le fait qu’elles arrêtent. C’est surtout qu’il n’y a pas de repreneurs.” 

Qu’est-ce que cela veut dire du secteur du livre  ?

“Je ne suis pas trop pessimiste pour autant. Je trouve qu’Odyssey, qui va se retrouver seule librairie, fait un très bon travail. Les gens qui travaillent là bas sont des gens admirables et compréhensifs. Ils vont se retrouver en situation de monopole c’est vrai, mais ce sont des gens qui travaillent vraiment bien. Donc, je ne suis pas pessimiste. Maintenant, ce qu’il faut c’est ne pas occulter les auteurs locaux c’est sûr.” 


Christian Robert, président de l’AETI  : “Une librairie qui ferme, c’est toujours triste”

Deux librairies qui ferment, ce n’est pas une bonne nouvelle pour les éditeurs  ?

“Evidemment, ce n’est pas très bien accueilli. Voir une librairie qui ferme, c’est toujours très triste. En particulier pour les acteurs du livre, mais moi je pense aussi pour l’ensemble de la société. Le livre est un outil important. Je pense que tout le monde a la mesure de ça. C’est malheureux, alors que le gouvernement vient de supprimer la TVA sur les livres justement pour essayer de soutenir le secteur, que ces fermetures arrivent maintenant. Après, la librairie Klima, elle a plus de 80 ans. Et je pense qu’ils ont aussi évidemment raison de penser à eux et d’arrêter de travailler à partir d’un certain âge. La librairie Archipels aussi, c’était un monument.”

Ces fermetures, cela fait toujours moins de livres en vente  ?

“Evidemment, les éditeurs sont tristes. Après, il y a peut-être aussi aujourd’hui moyen d’avoir accès aux livres. Je pense notamment aux grandes surfaces qui sont assez mobilisées. Il y a toujours deux librairies qui vont continuer à fonctionner (Office One et Odyssey, NDLR). Maintenant, il faut aussi se poser des questions. Pourquoi ces librairies ferment ? Est-ce que c’est à cause d’Internet ? Je ne crois pas trop, mais les gens l’avancent. C’est triste, c’est sûr. Mais le livre me semble être un secteur assez dynamique en Polynésie ces dernières années. Alors est-ce qu’ils ont eu du mal à traverser cette période de crise qu’on a connue. C’est peut-être une réalité.”

Vous êtes inquiets pour le secteur  ?

“En tant qu’éditeurs, on se rend compte que ça fonctionne quand même. C’est un secteur compliqué, c’est sûr. Tous les éditeurs font ce métier par passion. Ce n’est pas le secteur dans lequel on a les plus grands espoirs de bénéfices, c’est évident… Mais à la fois il y a de plus en plus de livres qui sortent. Alors ce n’est peut-être pas forcément une bonne chose, mais c’est une réalité. Ça veut dire qu’il y a des gens qui y croient. Et on ne peut que leur souhaiter d’exister longtemps.” 


Rédigé par Antoine Samoyeau le Jeudi 22 Août 2019 à 23:26 | Lu 6812 fois