Les pionniers du bio à Ua Pou


Jean-Louis Kohumoetini, accompagné de sa compagne Ève, vient d'obtenir la certification Bio Pasifika, une première à Ua Pou. C'est le fruit d'un travail de longue haleine pour cet agriculteur.
Ua Pou, le 29 septembre 2021 – Jean-Louis Kohumoetini est le premier agriculteur de Ua Pou à obtenir le label Bio Pasifika pour ses légumes. Une fierté pour l’exploitant qui n’a pas ménagé ses efforts et un espoir pour les autres exploitations d’obtenir un jour cette même reconnaissance. Sur cette île au climat aride, les conditions de travail des maraîchers sont difficiles ce qui ne les empêche pas d’être optimistes et de se réunir pour construire ensemble un avenir meilleur.
 
Sur l’île de Ua Pou, une poignée d’agriculteurs tentent de promouvoir un mode de vie plus sain et plus respectueux de l’environnement en s’éloignant du modèle de l’agriculture conventionnelle pour une production plus modeste mais de meilleure qualité. C’est notamment le cas de Jean-Louis Kohumoetini, maraîcher d’une petite exploitation d’un peu plus d’un hectare, qui vient d’obtenir le label Bio Pasifika octroyé par l’association SPG Bio Fetia. Il s’agit du tout premier exploitant à recevoir cette labélisation sur l’île. Une reconnaissance officielle du travail fourni par l’agriculteur et sa compagne, Ève Delahaut, qui ont participé depuis un an, à la formation d’un groupe local de contrôle des normes océaniennes d’agriculture biologique (NOAB).

Sur un modèle participatif, les groupes de contrôle agissent sous la tutelle de l’association Bio Fetia et peuvent être formés sur chaque île par les habitants eux-mêmes. En effet, le fenua étant morcelé sur une surface comparable à celle de l’Europe, il est difficile pour des commissions extérieures de contrôler toutes les exploitations des archipels de manière régulière. Ces groupes, formés d’agriculteurs et de consommateurs locaux, sont donc une alternative intéressante pour la certification en bio des exploitations maraîchères insulaires. Une solution plus abordable, plus simple et plus écologique donc mais qui ajoute une charge de travail supplémentaire aux exploitants qui doivent se contrôler les uns les autres et se réunir régulièrement pour tracer ensemble de nouveaux objectifs communs.

Sécheresse et coupures d'eau

Et de travail, ils n'en manquent pas ! La petite exploitation de Jean-Louis fournit tout de même près de 250 habitants en légumes frais à elle seule, sur une île où la sècheresse fait rage presque six mois par an. On y trouve toutes sortes de légumes : choux, salades, tomates, poivrons, courges, aubergines, aromates, haricots, etc. L’agriculteur exploite aussi deux autres terrains familiaux sur lesquels il récolte des bananes, des fē'i et des agrumes. Durant la période sèche, pas moins de 35 heures d’arrosage par semaine sont nécessaires à la survie de l’exploitation. Une routine épuisante qui se voit souvent entravée par les coupures d’eau communales. Car à Ua Pou, le réseau d’eau utilisé par les agriculteurs professionnels est le même que celui utilisé par les particuliers.

Pour éviter le gaspillage quand l’eau se fait rare, la commune interrompt sa distribution durant la journée. Ces coupures peuvent durer longtemps, ce qui ne laisse parfois aux agriculteurs qu’une poignée d’heures pour arroser tout leur domaine. “Combien de fois je l’ai vu arroser de nuit à la lampe frontale parce qu’ils avaient rallumé l’eau vers 18h, nous raconte Ève au sujet de son compagnon. Une des familles de maraîchers de l’île a même pris la décision radicale de stopper toute production pendant la sècheresse et de ne travailler que six mois par an, une décision forcée par le manque d’eau sur leur exploitation pendant cette période.” Un travail difficile donc, qui demande abnégation et passion du métier.

L'île de Ua Pou, connaît environ 6 mois de sécheresse par an. Un véritable challenge pour les agriculteurs.
“Au début je voyais ça comme une corvée, aujourd’hui j’aime faire ça”

Jean-Louis a commencé le fa'a'apu en famille très jeune, et malgré les apparences, il n’a pas toujours aimé ça. “Avec ma famille on plantait des tubercules, ananas, bananes, avocats ... On faisait ça pour se nourrir, un jour on a commencé à planter des salades. On en a eu tellement qu’on a commencé à en vendre tout simplement. Je n’ai pas pu aller au lycée, on était une famille nombreuse et à l’âge de 15 ans, quatre de mes frères et sœurs étaient déjà partis. On n’était pas riches, ça faisait déjà beaucoup, donc j’ai décidé de rester pour aider ma famille. Au début, je voyais ça comme une corvée, aujourd’hui j’aime faire ça, c’est devenu un art de vivre pour moi. Je vis proche de la nature, je suis mon propre patron. C’est difficile parfois mais c’est aussi très gratifiant, cette labélisation valorise mon travail et j’en suis content.”
 
Un art de vivre qui n’est pas encouragé par le Pays
 
Il existe des aides du Pays octroyées aux exploitations agricoles dites conventionnelles, c’est-à-dire usant d’engrais chimiques et de pesticides, qui souhaitent passer en bio. Mais dans le cas d’exploitations naturelles n’usant pas de produits chimiques, il n’existe pas d’aides à l’obtention du label bio. Une situation qui pénalise les agriculteurs de l'île, puisqu'à Ua Pou toutes les exploitations sont naturelles… 

Le label Bio Pasifika ne garantit pas seulement la qualité des légumes et la non-utilisation de produits chimiques, il garantit aussi une démarche écologique et respectueuse de l’environnement. Car même des méthodes dites naturelles peuvent perturber un écosystème. Le cahier des charges imposé par Bio Fetia encourage les agriculteurs à devenir plus responsables dans leur façon de cultiver, cela les pousse à se réunir pour échanger méthodes et conseils, ce qui représente une garantie pour le consommateur. Pour Ève il est important et urgent d’aller vers l’autonomie alimentaire et un mode vie plus écoresponsable : “On importe déjà tellement de choses, c’est quand même dommage d’importer les choses que l’on peut faire sur place.”

Dans cet esprit, Jean-Louis utilise au maximum des semences locales qu’il replante sans cesse, renforçant ainsi la génétique de ses plants. Il cherche à diversifier au maximum son exploitation en y ajoutant parfois des espèces surprenantes comme les haricots ailés par exemple : “Beaucoup de graines que j’utilise aujourd’hui sont issues des légumes que je cultivais avec mes parents, je ne peux pas le faire pour tout mais quand je peux produire mes propres graines je le fais.”

Toutes les exploitations agricoles de Ua Pou sont naturelles, et n'utilisent pas de produits chimiques. Jean-Louis est le premier à être certifié bio.
“Quand on est une petite exploitation, on ne nous facilite pas les choses”
 
Les importations coûtent cher aux habitants mais aussi aux agriculteurs : “Ici tout coûte plus cher qu’à Tahiti, du fait de l’éloignement. Dès qu’il nous faut commander du matériel agricole comme des tuyaux ou autres c’est tout de suite un gros budget. Les grosses exploitations conventionnelles arrivent à obtenir des aides mais quand on est une petite exploitation on ne nous facilite pas les choses … J’espère que ce label encouragera le Pays à  aider un peu plus les petits producteurs.”
Quatre maraîchers attendent encore leur labélisation de la part de Bio Fetia sur l’île aux pierres fleuries, un cercle dynamique de producteurs engagés semble y avoir vu le jour. Le secteur primaire de Ua Pou avance vers un avenir durable et responsable pour le plus grand bonheur de ses habitants.

Rédigé par Jean Ollivier le Mercredi 29 Septembre 2021 à 16:29 | Lu 2888 fois