Les éleveurs bloquent le porc


Tahiti, le 25 avril 2022 - Le syndicat des éleveurs porcins de Polynésie française a décidé de ne plus fournir en viande le marché polynésien pour une semaine. Il s'agit d'une action symbolique pour interpeller le gouvernement sur leurs graves difficultés financières.
 
"On veut pousser un cri d'alarme", voici comment Éric Copenrath, vice-président du syndicat des éleveurs porcins de Polynésie, justifie la décision des éleveurs de ne plus fournir de porc à l'abattoir pendant une semaine. Il y aura donc moins de viande sur les étalages dans les jours à venir. "C'est une action symbolique, mais si le gouvernement ne fait rien, on poursuivra. De toute façon, si rien ne se passe on sera obligé de fermer", martelle Teking Lai Ah Che, président du syndicat.

En cause, le prix de l'aliment de croissance porcine qui assure le sevrage et la croissance des porcelets, et qui est donc indispensable aux éleveurs. Il a augmenté de 35% en un an, dû pour moitié à une surcharge du fret. Le coût d'importation est en effet passé de 1.6 million le conteneur l'année dernière à 2.24 millions au mois d'avril 2022 et la guerre en Ukraine risque fort de continuer à faire augmenter le prix d'un aliment essentiellement composé de céréales. Or, le prix du porc est fixe depuis 2013, sous régime PPN. La filière porcine est en situation précaire et le syndicat demande donc une augmentation immédiate de 15% du prix du porc charcutier local et une indexation de ce prix sur l'aliment de croissance, pour l'avenir.

Une revalorisation urgente

La direction de l'abattoir de Papara et la chambre de l'agriculture et de la pêche lagonaire (CAPL) soutiennent la démarche des éleveurs et relaient l'urgence de leurs demandes : " Il faut qu'une décision soit prise cette semaine, ça ne peut pas attendre. Il faut que la revalorisation du prix du porc soit en place au premier mai. On a montré nos factures au ministère de l'Économie avec le soutien du ministère de l'Agriculture et la Direction de l'agriculture. Maintenant, il faut que les décisions soient prises, sans ça on ne pourra pas continuer nos activités, ni sauver nos emplois", martelle Éric Coppenrath. Environ 200 emplois seraient en jeu, selon le syndicat d'élevage, ouvriers d'élevage, de l'abattoir et des charcuteries confondus. Selon le directeur de l'abattoir de Papara, Rémi-Célestin Begon, à terme, c'est l'ensemble de l'élevage polynésien qui est en jeu.

"On travaille à perte depuis un an"

"Moi, je perds 1,5 million par mois sur mes deux exploitations. J'ai deux millions de charges supplémentaires avec l'aliment et je ne parle même pas des autres charges. On n'a eu aucune revalorisation depuis 2013. Au mois de novembre l'année dernière, on a déjà alerté les autorités, pour prévenir que la situation risquait de se dégrader", poursuit le vice-président du syndicat. L'aide promise par le gouvernement à l'époque, à hauteur de 30 millions de Fcfp pour l'ensemble de la filière, n'est pas encore parvenue jusqu'aux éleveurs, mais elle sera de toute façon insuffisante en l'état, explique Teking Lai Ah Che : "Pour ma seule exploitation, l'augmentation du prix d'importation de l'aliment crée une charge de 2,4 millions supplémentaires par mois. Sur toute l'année, je vous laisse faire le calcul".

Une impossible autonomie ?

La question de l'autonomie alimentaire est au cœur du problème. "C'est le mā'a de nos enfants qui est en jeu, le gouvernement veut développer la part locale dans les repas de cantine, mais sans élevage local, ça ne pourra pas marcher. L'élevage local, il est en train de mourir", explique Rémi-Célestin Begon. À l'heure actuelle, l'élevage polynésien reste à développer, en effet, si la filière locale assure le tiers du marché de viande porcine, la filière bovine, elle, ne représente que 3 % du marché.

Mais, paradoxalement, pour les éleveurs, il est extrêmement difficile d'autonomiser complétement cet élevage lui-même et de se passer des importations d'aliments porcins, à base de céréales. "Comme on ne produit pas de céréales dans le pays, les seules choses dont on dispose, ce sont les eaux grasses, c’est-à-dire les rejets de la coprahculture, des cantines et de la restauration, mais ça ne représente en moyenne que 20 % de la ration des porcs. On peut monter à 30-40 %, mais on ne pourra pas remplacer complètement l'importation de l'alimentation céréalière. Surtout qu'on doit répondre à des critères de qualités qu'attendent les consommateurs, et c'est normal" conclut Éric Coppenrath, pour qui les volumes disponibles de ces eaux grasses sont de toute façon insuffisants pour l'ensemble des exploitations du fenua.

Poema Lai Ah Che – Ressiguier. Éleveuse :"On a besoin d'être entendu"


Vous avez décidé d'arrêter de fournir l'abattoir en porc pendant une semaine, pour quelle raison ?
 
C'est un geste symbolique, le directeur de l'abattoir nous suit dans ce mouvement-là, mais on a besoin d'être entendu. La filière porcine fait vivre l'abattoir, si on n'existe plus, l'abattoir devra fermer et derrière les autres filières, la filière bovine... Les conséquences seraient dramatiques pour la Polynésie.
 
Quelles sont les difficultés que rencontre la filière porcine locale ?
 
Le souci c'est que le prix de l'aliment porcin augmente de façon astronomique. L'année dernière, on payait un conteneur 1,6 million, aujourd'hui on le paye 2,3 millions. L'augmentation continue. L'année dernière, on avait alerté sur cette augmentation. Les aides tardent à venir.  Six mois qu'on attend, et même quand elles viendront, elles ne seront pas suffisantes. On demande une augmentation du prix du porc de 15 %, pour nous aider à maintenir notre trésorerie. On a besoin aussi de faire indexer ce prix sur celui de l'aliment, dont le prix continue à flamber. Il est soumis aux cours mondiaux, c'est quelque chose qu'on ne maîtrise pas.
 
Pourquoi importe-t-on cet aliment, plutôt que de le produire localement ?
 
Cette nourriture que l'on importe est constituée de céréales qu'on ne peut pas cultiver ici. Il y a des éleveurs qui s'approvisionnent en "eaux grasses" c'est à dire en reste de cantines, de restaurants, c'est une solution possible, cependant ce n'est pas la panacée. Cette pratique est réglementée au niveau de l'hygiène sanitaire et entraine de fortes contraintes logistiques. Mais surtout, les volumes sont insuffisants pour nourrir tous les élevages de Polynésie. Il y a peut-être d'autres solutions locales à creuser, mais, à court terme, ça ne suffira pas et, là, il y a urgence.

Rédigé par Antoine Launey le Lundi 25 Avril 2022 à 19:52 | Lu 3293 fois