Le pilotage de la lutte contre la pauvreté à revoir


Tahiti, le 6 octobre 2025 - Le dernier rapport de la Chambre territoriale des comptes sur l’action du Pays dans la politique de lutte contre la pauvreté et l’exclusion de la Polynésie française note un manque d’efficacité dans de nombreux domaines, du financement à l’organisation. Un contrôle réalisé de 2020 à 2023 sur l’examen des comptes et jusqu’à récemment sur sa gestion.
 
 
C’est à la demande du président de la Polynésie française, Moetai Brotherson, que la Chambre territoriale des comptes s’est penchée sur la politique du Pays dans la lutte contre la pauvreté et l’exclusion au Fenua. Le rapport est tombé ce lundi dans la journée et n’est pas élogieux concernant le pilotage de cette politique sociale, même s’il salue les efforts fournis.
 
“La lutte contre la pauvreté et l’exclusion mise en œuvre par la Polynésie française souffre d’un manque de coordination et de pilotage transversal, les actions étant menées de façon cloisonnée entre différents ministères et acteurs, sans politique unique ni indicateurs communs”, constate la Chambre territoriale des comptes dans sa synthèse. “Alors que la Polynésie française vient d’adopter, en avril 2025, un schéma directeur de l’action sociale et médico-sociale, qui répond en partie à cet objectif, elle ne dispose pas encore d’une stratégie unifiée de lutte contre la pauvreté qui couvrirait tous les domaines concernés”, poursuit la CTC qui tance donc aussi bien l’ancien gouvernement que l’actuel.
 
Aussi, la Chambre recommande-t-elle de “formaliser une stratégie pluriannuelle de lutte contre la pauvreté et l’exclusion” avec des engagements “pilotés par une instance dédiée” et soutenue “par des moyens financiers clairement identifiés.”

Saupoudrage sans but clair

D’après les derniers chiffres recueillis par la Chambre territoriale des comptes sur le nombre de sans-abris en Polynésie française, ces derniers seraient passés d’une cinquantaine au début des années 2000 à près de 700 en 2024, marquant une cassure sociétale liée à des décennies de contraction de l’activité salariale par rapport à l’accroissement de la population, et une activité principalement centrée sur la zone urbaine de Tahiti. Des obstacles renforcés par la possibilité d’accéder à “un logement décent, à la sécurité alimentaire, à l’éducation, à l’emploi et à la vie sociale en général”.
 
Pour autant, malgré ces constats malheureusement connus depuis de nombreuses années, il n’existe toujours pas de dispositif centralisé pour mesurer l’évolution de la pauvreté et de l’exclusion.
 
De fait, les actions engagées le sont de façon saupoudrée, sans mesures de contrôle d’efficacité, malgré les nombreuses aides existantes (aides sociales, soutien aux associations de proximité, lutte contre l’habitat insalubre, développement du logement social, accès à l’emploi, actions éducatives et prévention primaire et secondaire en santé, etc.).
 
En 2023, la Polynésie a engagé, à l’aveugle, 46,75 milliards de francs en fonctionnement et 9,36 milliards de francs en investissement, complétés par des concours financiers de l’État entre 3 et 5 milliards de francs.

Renforcer le schéma directeur de l’action sociale

Qu’elle soit monétaire (manque de revenus) ou multidimensionnelle (carences dans les relations sociales, l’éducation, la santé, le logement, le transport, le marché du travail), la pauvreté touche un Polynésien sur quatre, à plus ou moins grande échelle.
 
Pour aider la population, différents systèmes ont été mis en œuvre, de la mise en place des Produits de première nécessité (PPN) à la constitution de différentes aides sociales. Pour autant, “la Polynésie française gagnerait à instaurer un système de veille destiné à identifier les facteurs et les risques qui conduisent à la pauvreté ainsi que les fondements et les caractéristiques de l’exclusion sociale”, estime la CTC dans son rapport. Une veille qui devrait d’ailleurs voir le jour avec le schéma directeur de l’action sociale et médico-sociale adopté en avril 2025 et qui prévoit l’installation d’un observatoire social et médico-social destiné à centraliser les données afin de mieux suivre les parcours individuels.
 
Autre levier évoqué, l’accroissement des places en structures d’hébergement et d’accompagnement adaptées à la situation des personnes en grande précarité.

66 ans d’attente pour un fare OPH

Le schéma d’aménagement général de la Polynésie française (Sage), approuvé en 2020, a identifié un besoin de 35 000 logements supplémentaires à l’horizon 2040, assorti d’une programmation pluriannuelle visant à planifier leur réalisation. Cependant, au début de l’année 2025, “près de 50 % des actions prévues par la politique publique de l’habitat n’étaient pas réalisées, 34 % étaient en cours de réalisation et 17 % étaient exécutées”, constate la CTC dans son rapport qui met aussi en avant que “plus de 11,5 % des actions” sont considérées comme abandonnées.
 
L’Office polynésien de l’habitat (OPH), opérateur public du logement social, est de surcroit pris à la gorge par les demandes. “Ses réalisations entre 2020 et 2024 font apparaître des écarts élevés entre le nombre de logements disponibles et les besoins identifiés”, observe la CTC qui note que l’OPH accuse le coup en cumulant les impayés de son parc locatif. Chaque année, l’office reçoit en moyenne 967 demandes et ne peut en satisfaire que 60. “Le nombre de demandes en attente s’élevait à 4 107 en 2023, dont 3 665 pour des demandes de locations simple, 355 pour des locations-ventes et 87 pour des demandes d’accession à la propriété”, synthétise la CTC qui revient sur le rapport d’activité de l’OPH où l’établissement public reconnait que “la production de logements locatifs reste insuffisantes par rapport à la demande. Avec ce rythme de production, le délai moyen d’attente est de 66 ans”.
 
Pour aider à désengorger la demande, la CTC suggère “la reconquête des logements vacants par la mise en place d’une fiscalité spécifique”.

Les recommandations

- Mettre en place, à partir de 2026, un dispositif d’observation et d’évaluation de la pauvreté et de l’exclusion sociale ;
- Mettre en œuvre, dès à présent, les moyens permettant d’atteindre l’objectif de création de 800 logements sociaux neufs chaque année, fixé par la politique publique de l’habitat ;
- Réaliser, chaque année à partir de 2026, un bilan des dispositifs d’aide à l’emploi qui documentera notamment leurs coûts ainsi que le taux d’accès à l’emploi pérenne des bénéficiaires ;
- Définir, en 2026, à la fois, une méthode et un cahier des charges pour évaluer la qualité de l’insertion professionnelle des personnes en situation de handicap ;
- Adopter, en 2026, un programme transversal et pluriannuel de lutte contre la pauvreté et l’exclusion ;
- Évaluer, en 2025, l’opportunité de créer un comité de coordination pour la lutte contre la pauvreté et l’exclusion ;
- Proposer, à partir de 2026, une offre de formation aux bénévoles des associations qui interviennent au plus près des personnes en situation de pauvreté ou de précarité ;
- Engager, dès à présent, une réflexion pour une modification de la fiscalité destinée à pérenniser le financement de la politique de solidarité.

Rédigé par Bertrand PREVOST le Lundi 6 Octobre 2025 à 19:04 | Lu 2972 fois