Le cocotier de Mama Nati




Le jardin de Mama Nati est un gigantesque tifaifai végétal, composé de verdoyants
feuillages regorgeant de fruits charnus ainsi que d'éclatantes fleurs tropicales parfumées.
Dévouée au bien-être de ses plantes, cette infatigable travailleuse cultive également son jardin
intérieur. Dotée de la capacité de converser avec la nature, elle est la gardienne de leurs savoirs
ancestraux et aime particulièrement écouter leurs enseignements assise à l'ombre du vieux miro.
 
Un jour, l'un des cochons élevé par son mari s'échappe de son enclos. Sa course vers
la liberté se trouve rapidement compromise lorsque, percuté par une noix tombée du cocotier, il
meurt subitement. L'homme, furieux d'avoir perdu son gagne-pain veut couper l'arbre sur le
champ. Sa femme l'en empêche en lui rappelant que cette plante est celle sous laquelle son pu
fenua a été enterré, et qu'elle est donc la seule à pouvoir décider de son sort. Désarçonné par cet
argument, il se retire sans un mot dans son fa'aapu.
 
Mama Nati se retrouve seule et tiraillée entre son affection pour le cocotier et la
brutalité de cet acte. Comment trancher? S'agit-il d'un meurtre? Mérite t-il la mort?
Depuis l'incident, ce dernier est plongé dans le mutisme le plus complet. Face à ce silence de
plomb, elle décide de convoquer une assemblée végétale extraordinaire afin d'éclaircir l'affaire.
Différents arbres sont invités à donner leur version des faits.
Le citronnier épineux prend la parole, et lui lance : “Avant de faire le procès d'autrui, n'est-il pas
nécessaire de faire celui de sa propre espèce ?”
Une agitation soudaine traverse le jardin. Les feuillages s'ébrouent et les écorces craquent de
toute part: l'heure n'est plus à la méditation mais à la protestation!
Que ce soit le frangipanier centenaire, le manguier en fleurs ou bien même le frêle papayer, tous
s'indignent face aux nouvelles du monde portées par les oiseaux migrateurs. Elles racontent la
souffrance d'une terre que les humains surexploitent, massacrent, calcinent, asphyxient et
empoisonnent. Leurs sèves se glacent à la pensée de ces frères et soeurs sacrifiés sur l'autel de la
démesure, et ils refusent de laisser entrer cette folie destructrice dans leur île.
Mama Nati comprend leur inquiétude et se sent honteuse d'avoir voulu juger la fatalité de la
nature.
A l'unanimité, les membres de l'assemblée lui réclame l'amnistie de leur ami. La gorge serrée,
elle acquiesse en hochant la tête et présente ses excuses au cocotier qu'elle étreint. Elle se laisse
envelopper par son énergie et sait alors qu'il accepte son pardon. Puis, les arbres tout comme
l'atmosphère du jardin s'apaisent.
Mama Nati s'en retourne à son fare. Elle a prévu de fabriquer un beau chapeau en
paeore blanchi pour son mari. Elle est sûre que ce présent tressé soulagera sa peine, car ils les
aime d'amour, ses élégantes créations.
 
Mareva JACQUART

le Mercredi 13 Novembre 2019 à 15:54 | Lu 2055 fois


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