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Le Conseil d’Etat booste l’indemnité aux détenus de Nuutania


PAPEETE, 18 juin 2019 - Un arrêt du Conseil d'Etat de décembre 2018 ouvre droit à des réparations financières jamais atteintes pour les pensionnaires de Faa'a-Nuutania qui auraient été détenus dans des conditions "inhumaines ou dégradantes".

Depuis 2013, pour la réparation du préjudice moral des prisonniers détenus à Nuutania dans des conditions reconnues contraires à la Convention européenne des droits de l'homme, le tribunal administratif statuait jusqu’à présent sur la base d’une indemnité forfaitaire annuelle fixe. Celle-ci correspondait à un dédommagement de l’ordre de 600 Fcfp par jour de détention litigieux. Et, compte tenu de la prescription quadriennale, la responsabilité de l’Etat pour faute ne pouvait être engagée que sur une période maximale de quatre ans et l’indemnité versée en cas de faute ne pouvait excéder les 900 000 Fcfp.

Mardi, et c’est une première en Polynésie, le rapporteur public du tribunal administratif a proposé de revoir cette règle de calcul sur ses fondements. L’instruction de douze requêtes déposées par d’anciens détenus du centre pénitentiaire de Faa’a était prévue à l’audience. Tous ont été gardés en détention dans des cellules collectives, avant le programme de rénovation de Nuutania. Globalement, pour eux, le montant des indemnisations journalières proposé par le magistrat est entre 3 et 10 fois supérieur à celui habituellement en vigueur.

Il se trouve en effet que, depuis le 3 décembre dernier, un arrêt du Conseil d’Etat, l’arrêt Brémond, revient sur la rigueur de la prescription quadriennale. Celle-ci n’est certes pas levée. Mais le Conseil d’Etat préconise de considérer dorénavant que le préjudice moral subi par un détenu, pour conditions de détention attentatoires à la dignité humaine, "revêt un caractère continu et évolutif". De même, pour la Haute cour, "rien ne fait obstacle à ce que ce préjudice soit mesuré dès qu'il a été subi". Il s'ensuit que la créance indemnitaire qui résulte de ce préjudice doit être rattachée, dans la mesure où il s'y rapporte, à chacune des années au cours desquelles il a été subi, juge le Conseil d'Etat. Et ce, y-compris pour les périodes qui tombaient jusqu’à présent sous le coup de la prescription quadriennale.

Le Conseil d’Etat tient compte de ces années d’incarcération dans des conditions litigieuses (mauvaises conditions d’aération, faible accès à la lumière du jour, mauvaise hygiène des cellules, promiscuité, etc.) en appliquant un coefficient permettant d’augmenter de manière exponentielle la valeur du préjudice avec le temps. Le coefficient retenu mardi par le rapporteur public du tribunal administratif, en s’appuyant sur les dispositions de l’arrêt Brémond, est de 1,5 de majoration par année supplémentaire d’incarcération. Si l’indemnité journalière est de 600 Fcfp la première année, elle passe à 900 Fcfp pour la deuxième, à 1350 Fcfp pour la troisième, 2025 Fcfp pour la quatrième, 3037 Fcfp pour la cinquième, 4556 Fcfp pour la sixième, 6834 Fcfp pour la septième, etc. Et l'existence des années jusqu’à présent prescrites influence dorénavant le calcul du montant de l’indemnité journalière de la première année hors prescription.

Le tribunal administratif prévoit de rendre ses décisions le 28 juin prochain. Dans le dossier ouvert en février 2013 des indemnisations versées aux anciens détenus de Nuutania, c'est une nouvelle page qui vient de s'ouvrir.

Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Mardi 18 Juin 2019 à 12:12 | Lu 2479 fois