Le Cesec se déchire sur le “Tama'a maitai”


Tahiti, le 12 novembre 2025 - Le projet de loi du Pays instaurant le dispositif de tickets-restaurant “Tama’a maitai” a provoqué de vifs débats ce mercredi au Cesec. Pensé pour encourager l'alimentation locale des salariés et des fonctionnaires du Pays, le texte divise profondément. Les représentants patronaux y voient une “usine à gaz” coûteuse et floue, tandis que les syndicats saluent “une idée géniale” pour le pouvoir d’achat et la santé. Le débat a même tourné court et l'avis proposé n'a pas été adopté, faute de quorum après le départ d'une dizaine de représentants des salariés. 
 
Ambiance électrique au Cesec mercredi lors de l’examen du projet de loi du Pays instaurant le dispositif de tickets-restaurant “Tama’a maitai”. Un mécanisme par lequel le gouvernement entend “garantir aux salariés et aux agents publics du territoire un accès régulier à une alimentation saine et équilibrée”, mais aussi “dynamiser l'économie en encourageant prioritairement la consommation de produits alimentaires locaux”.
 
Ce système serait utilisable par les salariés du privé, mais aussi les fonctionnaires du Pays, auprès des restaurateurs, agriculteurs ou commerçants agréés, l'idée étant donc de permettre à un salarié du privé ou à un fonctionnaire du Pays de bénéficier d'une aide pour s'alimenter tout en soutenant la production locale. Faux, rétorque Christophe Plée (CPME), vent debout contre ce texte “en l'état” car “il mélange tout” et n'a pas fait l'objet de discussions en amont entre les partenaires sociaux.
 
Le patronat dénonce “une usine à gaz”
 
Pour Thierry Mosser (Medef), rapporteur du projet d'avis défavorable proposé par le Cesec, les objectifs sont “louables mais mal ficelés”. Selon lui, le projet mélange trois ambitions distinctes : promouvoir le ticket-restaurant, soutenir la production locale et répondre à la revendication de pouvoir d'achat des fonctionnaires territoriaux.
 
Comme il l'a souligné, les employeurs privés s'interrogent d'abord sur le flou des incitations fiscales et dénoncent un niveau excessif et non incitatif de la contribution prévue : “Le montant fixé à 18 000 francs par mois paraît extrêmement élevé pour la plupart des entreprises. On ne sait pas encore comment ce sera compensé ni quelles seront les déductions”, dit-il, l'avis du Cesec rappelant également que “plus de 90 % des entreprises ont moins de trois salariés”. Autrement dit, et même si l'adhésion à ce dispositif reste facultative, seules les grosses entreprises pourraient supporter un tel coût. Sauf qu'elles ont déjà “des systèmes de cantine, de tickets ou de primes paniers”, précise Thierry Mosser qui craint “un effet d'aubaine” car “rien ne garantit” le fait que les Polynésiens achèteront davantage de produits locaux.
 
Comme Christophe Plée, il regrette aussi l'effet d'affichage d'un texte qui manque d'ambition. “Le texte prévoit que les restaurants devront justifier de seulement 2 % de produits locaux dans leurs achats pour être éligibles. Autant dire que tous le seront. Il suffira d'acheter quelques bouteilles d'eau pour cocher la case. Ce n'est pas sérieux.” Il juge par ailleurs inadaptée la logistique envisagée pour distinguer les produits locaux dans les magasins et dénonce “une usine à gaz”.
 
Un “cadeau politique” pour la fonction publique
 
C'est aussi, pour ne pas dire surtout, l'extension de ce dispositif aux fonctionnaires du Pays qui fait bondir les patrons, le Cesec redoutant que cela soit perçu comme “un cadeau politique aux agents du secteur public”, ce qui accentuerait encore davantage “les écarts avec les salariés du privé”. "Distribuer 10 000 francs par mois à au moins 60 % des agents publics, ça va coûter entre 450 et 900 millions par an sans répondre aux vraies revendications catégorielles”. Même son de cloche de Christophe Plée qui aurait préféré que le gouvernement “augmente les salaires des catégories D” ou propose des textes distincts plutôt qu'un projet de loi fourre-tout. “C'est un texte qui va coûter plus cher que ce que la Fraap avait demandé (en juillet dernier, le syndicat de la fonction publique avait lancé un mouvement social pour demander une revalorisation du point d’indice à 1 500 francs, contre 1 060 francs, NDLR)”, a abondé, de son côté, Jean-Michel Oncins.
 
Une “idée géniale” pour Patrick Galenon
 
Le son de cloche est bien différent du côté des représentants de salariés. Patrick Galenon défend au contraire ce dispositif, trouvant même “l'idée géniale”. Car contrairement au patronat, il estime que cela “permettrait aux 73 000 salariés du Pays de manger sainement et local tout en soutenant notre agriculture”. Toutefois, il concède que les patrons “ont peut-être raison” sur le montant du financement du titre “Tama'a maitai” fixé à 18 000 francs minimum (50 % à la charge de l'employeur et jusqu'à 50 % pour le salarié).
 
Il a donc proposé un amendement pour revoir ce curseur à la baisse en se basant sur l'inflation “qui est de l'ordre de 1,4 %”. “Pour un Smig de 173 181 francs, cela représenterait 2 424 francs par mois à la charge de l'entreprise”, idem pour le salarié, posant ainsi comme “base de travail la somme minimale de 4 848 francs par mois partagée entre l'entreprise et le salarié”. Cette participation modeste de près de 5 000 francs par salarié permettrait “d'injecter plus de 4 milliards chaque année en aide à l'agriculture, et ça va faire d'énormes économies à la CPS”, a plaidé le leader syndical (CSTP/FO) également président du conseil d'administration de la Caisse de prévoyance sociale.
 
Fin de séance sous tension
 
Pourquoi pas, lui a répondu en substance Christophe Plée qui estime que Patrick Galenon est dans son “rôle”, soulignant encore une fois que cette proposition aurait dû se faire dans le cadre du dialogue social, “avant” que le texte ne soit soumis au Cesec. S'il ne l'a pas proposé dans son amendement, Patrick Galenon rejoint néanmoins le patronat concernant la proportion des produits locaux : “Oui, ce pourcentage de 2 % me paraît ridiculement bas et il faudrait l'augmenter progressivement pour se rapprocher peut-être des 10, voire 20 % dans le temps”.
 
Quant à l'argument du coût que représenterait l'extension de ce dispositif au secteur public, Patrick Galenon relativise, expliquant que c'est le montant de 18 000 francs qui le “chiffonne”. Lucie Tiffenat (Otahi) s'est montrée plus virulente, regrettant que Christophe Plée fasse “le procès des agents publics qui n'ont rien demandé”.  Après le rejet de l'amendement par 18 voix (12 y étaient favorables et 8 se sont abstenus), une dizaine de représentants de salariés, Patrick Galenon et Lucie Tiffenat en tête, ont quitté la séance. Résultat, plus de quorum et l'avis défavorable proposé par le Cesec n'a donc pas pu être voté. La séance reprendra ce jeudi matin, et le vote aura bien lieu cette fois, avec ou sans quorum. Un épilogue à l'image des échanges : tendus, fragmentés et révélateurs du fossé entre les visions patronales et syndicales.

Rédigé par Stéphanie Delorme le Mercredi 12 Novembre 2025 à 15:09 | Lu 1947 fois