Tahiti Infos

La légende vivante Vetea David raconte la vague qui aurait pu lui ôter la vie. Interview exclusive.

Alors que son exploit est passé relativement inaperçu localement, Tahiti Infos a pu obtenir une interview exclusive de Vetea David, la légende vivante du surf polynésien. Ce précurseur du surf de compétition tahitien est aujourd’hui pompier, il connaît les conséquences éventuelles du surf de gros, mais il est resté fidèle à sa passion. Agé de 47 ans, il a pris dernièrement une vague phénoménale qui aurait pu être sa dernière.


A 47 ans, Vetea avoue s'être fait peur sur cette vague. On le comprend.
A 47 ans, Vetea avoue s'être fait peur sur cette vague. On le comprend.
PUNAAUIA, le 30 juillet 2015. Alors qu’une forte houle a touché la semaine dernière les côtes tahitiennes, Tahiti Infos a pu rencontrer Vetea ‘Poto’ David, la légende vivante du surf polynésien, au sujet d’une vague prise le 29 mai dernier, immortalisée par Raihei Tapeta et sélectionnée pour les WSL Big Wave Awards. Pour ceux qui ne le connaissent pas encore, Poto a été un des premiers, avec Arsène Arehoe, à se lancer dans une carrière de surfeur professionnel à l’étranger, dans les années 80.
 
Il a été ensuite un des premiers à développer le ‘tow in’, le surf tracté. En ‘rivalité’ amicale avec Laird Hamilton, il a été un des premiers, avec Malik Joyeux, Manoa Drollet, à prendre des vagues colossales à Teahupo’o, au début des années 2000, notamment une vague similaire à la fameuse ‘millenium wave’ de Laird. Il y avait eu à l’époque une publication qui titrait ‘bigger than Laird ?’, (plus grosse que Laird ?).
 
Comme Laird, il a toujours été intéressé par l’évolution technique du matériel, l’inventivité liée à glisse, loin du ‘buisness’ lié à Teahupo’o. Il a été un des acteurs de premier plan du développement du stand up paddle, qui est aujourd’hui répandu aux quatre coins du monde.

Nainoaiki David, un waterman comme son père.
Nainoaiki David, un waterman comme son père.
Il est au sommet de la pyramide du ‘clan David’ :
 
Il est au sommet de la pyramide du ‘clan David’, une famille intimement liée au surf. Il y a l’aîné Heifara, rugbyman-longboardeur, puis Moana son frère, star du tube riding à Taapuna avec Poto lors du film des années 80 ‘Tahitian Dream’, Mareva sa sœur qui surfe également, compagne d’Arsène Arehoe, vient ensuite la 2e génération. Tereva David, fils de Heifara, coach diplômé du brevet d’état, un surfeur de gros qui a désormais son école de surf, un fin compétiteur qui s’occupe également de la section surf au collège de Mahina.
 
Il y a aussi Ariimoana, fils de Moana, gagnant de la Taapuna Master en 2011, Dorrence frère de Tereva, champion de SUP surf, et bien sûr Nainoa le fils aîné de Vetea qui est d’un niveau proche de celui de Poenaiki Raioha en SUP surf, et qui excelle en SUP longue distance. Nainoa a tout pour prendre la relève de son père, pour être un waterman accompli, à l’aise dans le gros, à l’aise en compétition dans les manœuvres avec tout type de planche et adepte également du SUP sur longue distance. Haunui, le cadet, a lui aussi un avenir très prometteur. Tout le monde ou presque surfe. La famille élargie vit réunie à Outumaoro, début Punaauia.
 
Vetea s’est intéressé également au ‘life saving’ pour devenir un des piliers de la ‘water patrol’ à Teahupo’o, avec son frère Moana. Il a par la suite intégré le team des pompiers de Punaauia, un métier qu’il exerce depuis une dizaine d’années, sa compagne Tehinahoohu Tupea exerce le même métier et est, elle aussi, une ‘water woman’ accomplie.

Haunui David suit les traces de son père et de son frère.
Haunui David suit les traces de son père et de son frère.
C’est sa compagne Tehina qui est venue le tirer d’une situation plus que délicate :
 
Son exploit est passé relativement inaperçu, il a pris le 29 mai dernier une vague phénoménale à Teahupo’o. Agé aujourd’hui de 47 ans, malgré un entraînement toujours au top, il s’est également fait une grosse frayeur pendant et après cette vague titanesque. Alors que la situation était critique et que les autres sauveteurs potentiels n’ont pas pu réagir, c’est sa compagne Tehina qui est venue le tirer d’une situation plus que délicate.
 
Vetea David est un champion, un précurseur, un être d’exception. Le patriarche Jean David, son père, était un breton, sa mère Emere Kainuku était une descendante directe de la famille royale de Rarotonga. C’est aussi quelqu’un qui adore l’océan et qui s’entraîne comme un acharné, souvent seul dans son coin, lors de descentes ‘downwind’ au large sur des distances phénoménales. C’est aussi quelqu’un qui a un fort caractère, discret, exigeant et affectueux à la fois. Il force l’admiration, le respect et aujourd’hui, il reste une des références à Teahupo’o, il est connu du monde entier. Il est également au quotidien au service de la population polynésienne pour tenter de sauver des vies à travers sa profession.

Vetea David et son fils cadet Haunui, chez lui, pendant l'interview.
Vetea David et son fils cadet Haunui, chez lui, pendant l'interview.
Vetea David au micro de Tahiti Infos :
 
Tu es actuellement pompier ?
 
« Oui, depuis bientôt dix ans. Je me suis spécialisé dans l’aquatique. Je suis titulaire du SAV 2. Je voudrais continuer ma formation avec le SAV 3 pour pouvoir à mon tour former la relève dont la Polynésie a besoin. On est en manque d’effectif. Apparemment suite à l’affaire de Moorea, ils veulent promouvoir le sauvetage en mer. Il y a certaines connaissances liées au récif, aux passes, au courant qui sont spécifiques. Il faut de la formation et beaucoup d’expérience pour pouvoir ‘y aller’. Ce n’est pas tout le monde qui sait traverser une passe qui ‘ferme’, entre autres, surtout en bateau. Il y a des vides juridiques au niveau du sauvetage en mer, il n’y a pas de statut spécifique, il faudrait que les choses avancent de ce côté là. »
 
Comment la journée a commencé ce fameux 29 mai ?
 
« J’ai quitté chez moi vers 3H00 du matin. Quand je suis arrivé à Vairao, il y avait plein de blocs de cailloux sur la chaussée sur 300-400 mètres. Je me suis dit ‘mince, la grosse vague est arrivée pendant la nuit’ car c’est ce qui peut arriver. Il y avait pas mal de monde à l’eau, avec des vagues de 5M50 et moins. Tout le monde était à la rame. Il n’y avait pas de ‘tow in’ à faire. Malgré tout, je me suis dit ‘peut être qu’une grosse arrivera’. »
 
« Raimana Van Bastolaer était là aussi, il a attendu 2H avec son partenaire Nicolas Lee Tham. J’étais avec Everaldo Pato, le Brésilien freerider qui s’était illustré pendant l’alerte rouge. On s’est placé sur le côté. A une époque j’étais seul, maintenant ce n’est plus pareil. Je me suis dit ‘Raimana va encore aller chercher la XXL. Manoa Drollet n’était pas là, Koa Rothman avait attaché son jet ski à la bouée pour aller surfer à la rame, d’autres étaient sur les bateaux. Il n’y avait que Raimana et moi quand la bombe a surgi. »

Raihei Tapeta from Mataiea Lifestyle. Au bon moment, au bon endroit. Un grand merci pour cette photo.
Raihei Tapeta from Mataiea Lifestyle. Au bon moment, au bon endroit. Un grand merci pour cette photo.
Que s’est-il passé à ce moment là ?
 
« On est partis tous les deux, Raimana et moi. Je me suis ensuite aperçu que Raimana avait eu un petit souci technique, sa corde étant restée coincée sous sa quille, ce qui m’a arrangé car on était partis pour lui laisser cette vague et prendre la 2e. J’ai hurlé ‘GO GO GO GO GO’ et on est partis. Je l’ai prise ‘à l’ancienne’, j’ai pris les ¾ de la vague molle et quand je suis descendu, je me suis alors aperçu que la vague ne faisait pas 6-7 mètres mais beaucoup plus. Je me suis concentré, bien accroupis, j’ai lâché la corde, j’étais à fond, 40-50 km/H. J’ai vu que la vague était ‘ouest’. »
 
Tu t’es rendu compte de la taille une fois lancé ?
 
« Je ne m’attendais pas à cette taille de vague. J’ai voulu descendre vite avant que la vague ne creuse, j’ai ensuite redressé ma trajectoire, j’ai ‘knifé’ pour pouvoir tuber un peu. Si j’avais tardé d’une seconde, je ne serais pas passé. Je savais que j’allais m’en sortir grâce à ma planche, une ‘Dick Brewer’ de 20 kilos avec des quilles en aluminium, une super planche. C’est quand j’ai fait mon ‘bottom’ que la lèvre de la vague a été propulsée, pour moi ce n’était pas le tube le plus profond, loin de là mais la sensation…j’allais à peine plus vite que la vague, j’étais comme sur un ‘tapis volant’, je voyais le récif, c’était une sensation indescriptible, magique. »
 
Tu as eu peur ?
 
« Je me suis dit, ‘si je tombe, je n’irai pas à l’hôpital de Taravao, je n’irai pas six pieds sous terre mais six pieds sous mer’. En fin de vague, la mousse m’a mis une claque, je suis tombé, j’ai levé la main mais personne n’est venu me chercher. J’ai plongé sous 4-5 vagues très puissantes. C’était très technique, c’était très chaud. Franchement, je me suis fait peur. Je me suis dit que j’allais tirer ma révérence sur le ‘tow in’ dans le très gros. Je vais avoir 50 ans, je connais les risques, je me contenterais de 5-6 mètres. »

Vetea David et sa compagne Tehinahoohu Tupea
Vetea David et sa compagne Tehinahoohu Tupea
Cela reste une satisfaction d’avoir pu encore marquer les esprits ?
 
« Médiatiquement parlant, cela ne m’intéresse plus tout ça. La plus grosse vague, le plus gros tube, j’ai fait ça presque toute ma vie. C’était par pur plaisir, sachant qu’il y a un entraînement intensif toute l’année, pendant des années, pour être prêt le jour J parce que sinon tu vas te noyer. Et ce jour là est arrivé, après 25 ans de grosses vagues. Avec mon âge, effectivement, je me suis fait peur. Etre 1er mondial, 6e, 9e, ce sont des chiffres. Les gens aujourd’hui prennent des tubes, se vantent sur internet du plus gros tube, du plus profond et tirent la langue, les gens ne respectent pas l’océan. Moi ce n’est pas mon truc et cela ne l’a jamais été, je n’ai même pas encore internet. Je reste simple et j’essaie de me focaliser sur mes enfants. »
 
Un remerciement ?
 
« Un grand merci à Patrick Moux et à mon sponsor Vodafone, Rony Tumahai maire de Punaauia, Ben Eastwood mon kiné, John de la marque Tabu/No fear, Yannick Lee de Naish Tahiti, Seadoo Bombardier, et surtout un grand merci à ma compagne Tehinahoohu de m’avoir sauvé la vie dans de telles conditions. »
 
Je me permettrais quelques conseils pour les jeunes :
 
1 un leash avec un clip ‘quick release’
2 Une veste de flottaison
3 Un casque
4 Une bonne évaluation des risques
5 ‘Pack Your Trash’ (ramasses tes détritus)
6 'The Ocean Wins' (L'océan gagne)

Rédigé par SB le Jeudi 30 Juillet 2015 à 14:58 | Lu 9241 fois
           



Commentaires

1.Posté par torix le 31/07/2015 07:48 | Alerter
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Le boss...

2.Posté par Melpo le 31/07/2015 12:09 | Alerter
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"Pour ceux qui ne le connaissent pas encore"... IM-PO-SSIBLE !!
Si vous etes "branché surf" de pres ou de loin (et encore plus si vous etes au Fenua), alors vous etes obligé de connaitre son nom...
Une des gloires de la Polynésie (au sens large) dans le monde !!

3.Posté par tutua le 31/07/2015 12:30 | Alerter
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je l'ai vu sur le premier stand up paddle à Tahiti, il y a ...beaucoup d'années à Papara. En tant qe surfeur, ça m'a fait drôle de le voir la dessus. Bravo Poto pour ton courage ... et ta sagesse

4.Posté par Laurent Saté le 31/07/2015 20:45 | Alerter
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Alors là.... Mon pote Poto, t'as fais du gros ! Et dire qu'il y a 15 jours je me suis moi aussi fais une grosse vague en me pétant un infarctus, là je dois reconnaître que respect man... T'es le Boss ! Avec un aussi gros coeur tu devrais pouvoir flotter sur les vagues encore longtemps et profiter de ta jolie compagne, de tes enfants et de ta famille encore de longues années. Passes le bonjour à toute la famille.
On vous biz de la métropole.
Saté et Moana

5.Posté par Vaitea Vansam le 31/07/2015 23:25 (depuis mobile) | Alerter
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Respect Vetea😌

6.Posté par Cugny languilla le 01/08/2015 09:02 (depuis mobile) | Alerter
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Jai gratte qu''il me remonte en jet a Sap !!
Merci pour la leçon poto !!!

Je rame toujours ;)

7.Posté par Evalyne le 09/08/2015 22:18 (depuis mobile) | Alerter
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Oh la la! Merci Vetea pour cet interview! Continue de nous rendre fier, prend soin de toi et surtout de tes beaux enfants meme si ils n''ont pas tous ete presente. A bientot!