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La diversité des poissons du lagon vitale pour le corail


Ces poissons herbivores se nourrissent d'algues, et se faisant ils assurent la prospérité des coraux qui ont besoin eux-aussi de lumière. (crédit photo : Gilles Siu)
Ces poissons herbivores se nourrissent d'algues, et se faisant ils assurent la prospérité des coraux qui ont besoin eux-aussi de lumière. (crédit photo : Gilles Siu)
PAPEETE, le 26 mai 2019 - Les chercheurs du CRIOBE de Moorea étudient les écosystèmes marins de l'île sœur depuis 35 ans. Ils ont publié fin avril une étude sur la résilience des espèces de poisson, qui fournissent des services indispensables au corail, principalement en mangeant les algues qui leurs cachent la lumière. Leurs résultats sont encourageants.

Les chercheurs du CRIOBE ont publié le 29 avril dans le journal scientifique Diversity and Distribution leurs analyses de 35 ans de données collectées par le centre de recherche de Moorea sur "les variations de la couverture du substrat (corail, algue, etc.) impactée par deux perturbations majeures : une invasion de Taramea entre 2005 et 2009 et le cyclone Oli en 2010". Leur article s'intitule "Synchrony patterns reveal different degrees of trophic guild vulnerability after disturbances in a coral reef fish community".

Pour cet article ils ont étudié l'abondance, la composition et la variation au cours du temps de différentes guildes trophiques de poissons. Une guilde trophique est "un ensemble d'espèces appartenant à un même groupe taxonomique (NDLR : grande famille d'espèces) ou fonctionnel, qui exploitent une ressource commune de la même manière, en même temps, donc partageant la même niche écologique." Par exemple il y aura la guilde de tous les poissons mangeurs d'algues, celle des grands carnivores comme les raies, barracudas et requins, etc.

Ce schéma résume les différents rôles des poissons au service de la survie de la barrière de corail
Ce schéma résume les différents rôles des poissons au service de la survie de la barrière de corail
Cette étude des poissons vise en fait à mieux comprendre la résilience (sa capacité à se régénérer) du corail face aux grosses perturbations comme les cyclones : "Les poissons et les coraux dépendent les uns des autres pour vivre. Les coraux fournissent nourriture et abri à de nombreux poissons, tandis que les diverses fonctions écologiques (bioérosion, régulation de population, herbivorie, etc.) assurées par les poissons permettent de contribuer à la survie du récif dans son ensemble. Parmi ces fonctions, l’herbivorie est particulièrement importante car elle limite la croissance des algues, qui sont en compétition avec les coraux."

Mais les catastrophes naturelles ont aussi un impact fort sur les poissons ce qui peut affecter la récupération de nos barrières de corail : "Le retour à un récif corallien sain après une perturbation nécessite donc, entre autres, une conservation des principales fonctions assurées par les poissons. Les perturbations environnementales, telles que les cyclones ou les Taramea (étoile de mer mangeuse de corail), impactent fortement la vie de nombreuses espèces de poissons en détruisant les coraux et/ou en détruisant la structure du récif. Si tous les poissons assurant une même fonction sont impactés de façon négative par les perturbations, la pérennité de cette fonction est compromise. Ainsi, des réponses différentes (dites hétérogènes) des espèces à une perturbation permettent le maintien de la fonction grâce à un roulement entre les espèces."

Les espèces se relaient pour assurer leur travail et assurer la survie du récif

Même les poissons qui mangent le corail, comme ce poisson-papillon, ont un rôle dans la survie du récif. (Crédit photo : Gilles Siu)
Même les poissons qui mangent le corail, comme ce poisson-papillon, ont un rôle dans la survie du récif. (Crédit photo : Gilles Siu)
"Les récifs coralliens de Moorea retournent rapidement à des populations saines de coraux, même après plusieurs perturbations successives. Si la communauté des poissons n’a pas regagné sa composition initiale (pas les mêmes espèces présentes), le nombre de poissons n’a pas baissé. En effet la plupart des groupes de poissons (dont les herbivores) ont présenté des réponses différentes, ce qui permet de conserver les fonctions écologiques qui leur sont associées. Les herbivores ont même augmenté après l’invasion des Taramea en raison de la plus grande quantité d’algues disponibles. Si le cyclone Oli a, quant à lui, fortement fait baisser le nombre de certaines espèces d’herbivores, d’autres ont augmentées. Ainsi, le roulement entre ces espèces a permis de préserver cette fonction écologique. Néanmoins, d’autres groupes comme les corallivores présentent des réponses plus homogènes aux perturbations et y sont donc beaucoup plus vulnérables."

Les conclusions des chercheurs sont donc plutôt optimistes : "La communauté de poissons coralliens de Moorea conserve donc la plupart de ses fonctions écologiques, même après de fortes perturbations. Cela pourrait être un facteur qui explique le retour rapide de la couverture corallienne (5 ans seulement !) sur ses récifs après les perturbations. Cependant, la vulnérabilité de certains groupes de poissons (les corallivores en particulier) pourrait compromettre le potentiel de rétablissement des récifs de Moorea à long terme si la fréquence des perturbations continue d’augmenter."

La nature est donc bien faite et nos récifs sont capables de survivre à toutes les attaques que la nature peut lui envoyer. Mais nos barrières de corail sont aujourd'hui confrontées à des défis inédits, cette fois provoqués par l'Homme. Entre le réchauffement climatique qui va multiplier les épisodes de blanchissement des coraux, l'acidification des océans qui dissout le calcaire de nos coraux, la surpêche qui empêche les poissons de rendre leurs services écologiques aux coraux, la modification des habitats avec les constructions qui gagnent sur le lagon, la pollution... Les chercheurs vont encore devoir beaucoup travailler pour déterminer si nos écosystèmes arriveront à se rétablir même quand ces stress supplémentaires causés par l'Homme se combinent aux catastrophes naturelles qu'ils connaissent déjà... Et comment nous pouvons les aider.

Quand de grands déséquilibres touchent la barrière, comme un cyclone ou une invasion de Taramea, c'est la diversité de l'écosystème qui assure sa survie : si des espèces sont affectées, il faut que d'autres puissent prendre le relais et continuer d'assurer leur "travail".
Quand de grands déséquilibres touchent la barrière, comme un cyclone ou une invasion de Taramea, c'est la diversité de l'écosystème qui assure sa survie : si des espèces sont affectées, il faut que d'autres puissent prendre le relais et continuer d'assurer leur "travail".

Rédigé par Jacques Franc de Ferrière le Dimanche 26 Mai 2019 à 14:37 | Lu 1900 fois