La carte Kaveka remise en cause


Tahiti, le 5 mai 2025 - Un rapport de l’Autorité de la concurrence sur l’utilisation de la carte Kaveka d’Air Tahiti pour les lignes en concurrence avec Air Moana tout autant que sur les autres lignes met en avant un problème d’abus potentiel de position dominante. La société devra trancher : la suppression de la carte ou la mise en place de deux cartes distinctes.

 
Fin janvier, le président de la Polynésie française, Moetai Brotherson, a saisi l’Autorité de la concurrence pour avis au sujet de la conformité du programme de fidélisation Kaveka de la société Air Tahiti dans le cadre des délégations de service public dont elle bénéficie, au regard des dispositions du code de la concurrence. Une demande issue des interrogations de la société Air Tahiti quant à un éventuel besoin de mise en conformité avec le droit de la concurrence, consécutivement à l’ouverture du ciel domestique polynésien à la concurrence, avec d’Air Moana.
 
En cause, la légitimité de faire profiter aux passagers des dessertes où s’applique la concurrence (les lignes couvertes par Air Moana) du programme Kaveka tout autant que les 34 destinations couvertes par la délégation de service public.
 
“Dans le cadre d’une activité mêlant lignes en libre-concurrence et lignes sous délégation de service public, la compagnie voyait dans l’application de son programme de fidélisation sans distinction de ces deux types de lignes, un risque pouvant conduire à qualifier la pratique d’abus de position dominante”, explique le rapport publié ce lundi par l’Autorité. Une position pour laquelle, paradoxalement, la Direction de l’aviation civile n’a de son côté rien trouvé à redire.
 
En effet, le Pays s’est engagé, dans son contrat de DSP sur ces 34 destinations, à apporter une compensation financière annuelle à Air Tahiti de l’ordre de 900 millions de francs pour la desserte des 32 îles concernées par la première convention, et une compensation financière annuelle de 285 millions de francs pour la desserte des deux îles des Marquises concernées par la seconde convention afin de compenser les pertes sur ces lignes déficitaires. Cette convention prévoit un tarif plafond à ne pas dépasser, et prévoit également la possibilité pour le délégataire de service public de proposer des offres commerciales à des tarifs promotionnels inférieurs au prix maximum défini. En revanche, elle ne mentionne aucunement la possibilité d’un tarif réduit ou de gratuité de billets appliqués en vertu d’un programme de fidélisation. De plus, les avantages acquis via son programme Kaveka sont tout autant utilisables sur les trajets inclus dans la délégation de service public que pour les trajets mis en concurrence avec Air Moana. Une position qui, selon la jurisprudence, peut être regardée comme dominante et qui “impose à la personne qui la détient une responsabilité particulière de ne pas porter atteinte, par son comportement, à une concurrence effective et non faussée”.

Un abus de position dominante ?

Dans son rapport, l’Autorité de la concurrence se garde bien de faire des préconisations mais liste cependant plusieurs points sur lesquels Air Tahiti devrait faire attention.
 
Ainsi, l’Autorité note que les programmes de fidélisation peuvent inciter les clients à concentrer leurs achats auprès d’une seule entreprise pour maximiser leurs avantages, créant ainsi un effet de verrouillage. Une pratique peut être considérée comme anticoncurrentielle lorsqu'elle est mise en œuvre par une entreprise en position dominante. De même, “en fidélisant une large base de clients grâce à des programmes couvrant l'ensemble de leurs services, l'entreprise dominante peut élever des barrières à l'entrée pour de nouveaux concurrents. Ces derniers pourraient éprouver des difficultés à attirer des clients déjà engagés dans un programme de fidélisation offrant des avantages substantiels”.
 
Enfin, l’APC explique que “l'utilisation des revenus générés sur les liaisons en monopole (DSP) pour financer des activités sur les liaisons concurrentielles peut entraîner des subventions croisées. Cette pratique peut fausser la concurrence en permettant à l'entreprise dominante de proposer des tarifs artificiellement bas sur les liaisons concurrentielles, rendant difficile pour les nouveaux entrants de rivaliser”.
 
Dans ses conclusions, l’Autorité de la concurrence le souligne : “Un opérateur qui utiliserait l’excédent des ressources que lui procure son activité sous monopole légal pour subventionner une activité en concurrence, est susceptible d’être sanctionné au titre des abus de position dominante”… Une sorte de mise en garde pour Air Tahiti qui doit, ou devra, faire attention à cloisonner ses comptes entre les lignes sous DSP et les douze lignes en concurrence. Une mise en garde qui s’adresse aussi à la Direction de l’aviation civile, garante “de la juste séparation comptable des activités”.
 
L’APC souffle aussi l’idée que “les pouvoirs publics peuvent également décider de répondre aux problèmes de distorsion de la concurrence et de préjudice pour les consommateurs en imposant une interdiction réglementaire des programmes de fidélisation”, ce qui sonnerait le glas de la fongibilité des avantages Kaveka entre les lignes sous concurrence (Moorea, Bora Bora, Huahine, Maupiti, Raiatea, Fakarava, Rangiroa, Tikehau, Hiva Oa, Nuku Hiva, Rurutu et Tubuai) et les autres lignes.
 
Le service juridique d’Air Tahiti réfléchirait déjà à la mise en place de deux cartes de fidélité distinctes, ce qui “commercialement et informatiquement”, s’avère malgré tout difficile à mettre en place. Le cas échéant, la compagnie aérienne pourrait complètement supprimer la carte Kaveka sur les 12 lignes en concurrences avec Air Moana.
 
Enfin, si l’APC s’est penchée sur le cas particulier de la carte Kaveka, rien n’est écrit sur les offres de la carte Evasion, qui propose des tarifs sur des vols incluant des destinations au sein de la DSP et dans la zone concurrentielle.

Rédigé par Bertrand PREVOST le Lundi 5 Mai 2025 à 18:23 | Lu 5533 fois