La France se met en ordre de bataille pour agir dans la très haute altitude


Bertrand GUAY / AFP
Le Bourget, France | AFP | mardi 17/06/2025 - Plus haut que les avions dans le ciel, plus bas que les satellites dans l'espace: la France a dévoilé mardi sa stratégie pour se protéger et agir dans la "très haute altitude", une "zone grise" qui se militarise.

Comme les fonds marins et le spatial, cette zone comprise entre environ 20 et 100 kilomètres d'altitude devient un espace de conflictualité, symbolisé par l'affaire du "ballon chinois", abattu par un chasseur américain en février 2023 après avoir survolé le Canada et les Etats-Unis.

Pour Paris, cet épisode a agi comme un "déclic", admet le général Alexis Rougier, chargé du dossier au sein de l'armée de l'Air et de l'Espace. L'utilisation par la Russie en Ukraine et par Israël contre l'Iran en octobre 2024 de missiles hypervéloces capables de manoeuvrer, rendant ainsi moins prédictibles leurs trajectoires, n'a fait que renforcer la nécessité de s'intéresser à la question.

"Il s'agit pour la France de faire face de manière crédible à ces nouveaux rapports de force et de pouvoir y exercer une supériorité opérationnelle", résume le ministre des Armées Sébastien Lecornu.

La très haute altitude (THA) n'est pas clairement définie. D'un côté, l'espace aérien au-dessus d'un pays est considéré comme souverain mais aucun traité ne précise à quelle altitude il s'arrête.

"A l'inverse, le traité de l'espace de 1967 dit que l'espace n'est pas souverain mais ne dit pas quand commence l'espace, on est face à une zone grise", explique le général Rougier.

Paris considère la très haute altitude comme souveraine, "mais il n'y a souveraineté que si on est capable de la faire appliquer", estime-t-il.

"Ne pas pouvoir agir dans la THA exposerait la France à des vulnérabilités exploitables par ses compétiteurs maîtrisant cet environnement", selon Sébastien Lecornu.

Paris entend donc disposer "à court terme de moyens nationaux d'appréciation de situation et d'action dans cet espace".

Cela passe notamment par l'adaptation des radars existants pour être capables de regarder plus haut et par un financement de 2 millions d'euros pour développer le radar transhorizon Nostradamus installé en Normandie, qui permet une détection précoce malgré la courbure de la Terre.

- Aller vite -

"C'est un programme ancien (il remonte aux années 1990, ndlr) sur lequel on a décidé de remettre de l'argent", a expliqué le ministre, selon qui "la question des alertes avancées est un enjeu de souveraineté", alors que Paris dépend pour l'heure de Washington dans ce domaine.

"Entre 0 et 250 kilomètres d'altitude, on voit arriver sur 3.000 kilomètres aussi bien les planeurs et missiles hypersoniques que les ballons", qui sont eux très lents, explique-t-on à l'Onera, l'office de recherche aérospatial français. Soit de quoi voir jusqu'à Moscou ou l'Est de la Méditerranée.

Paris entend également développer ses propres ballons, comme le BalMan, un engin manoeuvrant à près de 25 kilomètres d'altitude qui peut servir de relais de communication ou de capteur de renseignement. BalMan doit être qualifié lors d'un vol en fin d'année en Guyane et le ministère va y consacrer 5 millions d'euros.

La France entend également financer pour 2,3 millions d'euros l'avion solaire Zephyr d'Airbus, qui a déjà réalisé un vol de plus de 60 jours à 20 kilomètres d'altitude.

L'armée de l'Air veut par ailleurs développer ses capacités d'interception des engins volant à très haute altitude, qui sont considérés comme des pseudo-satellites (HAPS), comme le Zephyr.

"Dans les prochaines semaines", elle va mener une campagne de tirs en haute altitude avec des Mirage 2000 et des Rafale contre des ballons-cibles.

D'ici 2030, elle veut enfin pouvoir compter sur le Stratobus, un dirigeable HAPS pouvant voler un an à 19 kilomètres d'altitude et capable de porter une charge utile de 450 kilos. Elle y consacre 10 millions d'euros.

Elle mettra en place pour cela une unité spécialisée dans les HAPS, installée sur la base aérienne d'Istres (sud de la France).

Si les Chinois sont en avance dans le domaine de la très haute altitude, la France ne se considère pas en retard mais elle veut aller vite. Pour M. Lecornu "il n'est pas question de revivre ce que nous avons vécu avec les drones", domaine dans lequel Paris s'est fait distancer.

le Mercredi 18 Juin 2025 à 06:53 | Lu 389 fois