L'immeuble GIP au bord de l'effondrement


Tahiti, le 11 décembre 2020 - Fêlures inquiétantes et parois qui se désolidarisent : l'immeuble Toa Arai, dit GIP, menace de s'effondrer sur les quelques 100 personnes qu'il abrite. Livrés à leur sort, des locataires se sont mobilisés pour alerter les autorités. Sur les lieux ce matin, la mairie de Papeete a dressé un constat pour retrouver le propriétaire.

Au départ c'était des petites fissures. « Elles sont apparues il y a trois mois » rapporte Cheyenne, locatrice d'un appartement au 5e étage de l'immeuble Toa Arai. Plus connue comme le « bâtiment GIP » dans le quartier de la Mission, la structure d'environ 30 appartements qui abrite une centaine de personnes trahi désormais un niveau de dégradation avancée. Depuis quelques jours, les locataires entendant même des craquements suspects la nuit.

Dans la chambre des enfants, chez Miriama, les 3 centimètres d'écart entre le sol et les parois laissent entrevoir le salon du dessous. Une vision qui donne le tournis. Dans ce F3 en duplex, la présence des étais çà et là donnent une idée du niveau d'affaissement général. « Quand on ouvre les vannes, il y a une cascade » plaisante Marise, sa belle-sœur, colocatrice du trois pièces. « Je suis rentrée des Marquises le 29 novembre et quand j'ai vu ça, j'ai refusé de passer une nuit de plus ici, je veux pas mourir hein ! » Si elle trouve refuge provisoirement chez sa tante, la jeune fille ne cache pas son inquiétude pour sa belle-sœur, qui n'a pas de plan B pour mettre ses enfants à l'abri. 
 


Même discours pour Cheyenne. « Je travaille au snack qui est juste à côté, mais si l'immeuble s'effondre, j'aurais jamais le temps de remonter au 5e étage chercher mes enfants. » Pas d’ascenseur dans ce bâtiment, mais des escaliers sombres et exigus. « Vu la rapidité d'évolution, on ne va pas attendre d'avoir des morts pour réagir » s'impatiente Cheyenne. Aux premières loges, les deux femmes tentent de mobiliser l'ensemble des résidents de l'immeuble. La mairie de Papeete, l'OPH, le service de l'urbanisme. Rien à faire. « On a fait les signalements, on a essayé de toquer à toutes les portes. Tout le monde est soi-disant en train de se pencher mais la vérité c'est que tout le monde se renvoie la patate chaude » déplore Cheyenne, devenu porte-parole du mouvement par la force des choses.

Jeudi après-midi, une vingtaine d'entre eux se sont présentés à la DSP pour une dernière tentative, mobilisant au passage la presse pour alerter le grand public. A défaut de pouvoir y porter plainte contre X, le collectif a enregistré une main courante. Sans conviction. « On voulait porter plainte pour non assistance à personne en danger, mais finalement on a eu un retour de la mairie de Papeete, donc on va voir, on met la plainte en stand by pour l'instant » confie Cheyenne.

Alerté par les médias justement, Patrick Bordet, adjoint au maire chargé de l'urbanisme et de la police, s'est dit choqué par les images. « On n'était pas du tout informé de ce dossier, d'autant que moi je ne suis arrivé à la mairie qu'en juin, j'ai donc demandé à une équipe de venir faire un constat pour savoir qui a construit ce bâtiment, précise l'élu. Il faut d'abord qu'on sache qui gère cet ensemble, qui l'a assuré et le cas échéant auprès de qui. On doit retrouver le vrai propriétaire, ou le vrai gestionnaire et l'obliger à faire le nécessaire. » 
 

Ce propriétaire que tout le monde cherche s'est bien gardé de se manifester jusque là. « Le certificat de conformité que nous avons retrouvé date de 2005, en principe la mairie garde une copie de tous les permis de construire qui ont été délivrés. On devrait donc retrouver ça dans les archives » indique l'adjoint au maire. Selon les résidents, la gérance était jadis confiée à une SCI du GIP dirigée par Rere Puputauki. Empêtré dans des démêlés judiciaires, celui-ci aurait alors été écarté de la société racontent les habitants.

« C'est sous son autorité que le bâtiment a été construit » confirme à son tour Me Jean-Pierre Eli, sollicité pour faire un état des lieux du bâtiment dans le cadre d'une vente aux enchères de certains appartements. « L'administration fiscale a demandé au tribunal de nommer un administrateur afin de faire vendre les appartements dans des situations ambigus pour récupérer les droits qui n'ont jamais été versés au profit territoire » rapporte l'huissier.

C'est que dans ce bâtiment, il y a des propriétaires, des locataires et d'autres individus qui n'ont pas de titre particulier. Pour les uns comme pour les autres, il faudra bien trouver une solution. « En tant que locataire, on sera obligé de partir dans l'urgence, comment on va faire ? On espère une action des autorités avant qu'un drame se produise, mais est-ce qu'on pourra être relogé en urgence ? » interroge Cheyenne. Idem pour les propriétaires qui s'acquittent tous les mois depuis des années de remboursements pour un bien susceptible de s'effondrer sous leur pied du jour au lendemain. Une ambiance particulièrement anxiogène à l'approche des fêtes.
 

La chambre des enfants chez Miriama au 5e étage.

Rédigé par Esther Cunéo le Vendredi 11 Décembre 2020 à 18:31 | Lu 5394 fois