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L’île d’elle




Des bruits inhabituels d’oiseaux, d’une nature étouffante me parviennent sans déclencher chez moi aucune autre réaction. Mon souffle est court et mon corps ne répond plus. J’inaugure ma première paralysie du sommeil.
 
Cet environnement sonore inconnu m’inquiète et j’essaie de recomposer mes souvenirs. Une soirée en boîte avec Edouard, mon éditeur, des rires, des reproches puis le néant.
 
Les draps qui m’emprisonnent sont en lin. Mes paupières sont scellées. Je m’obstine jusqu’à leur ouverture. Je fais la mise au point sur une pièce spartiate, des murs de granite, un bureau.

Qu’est-ce que c’est que cette expérience interdite ? J’ai migré dans un autre corps ?
 
Une éternité et demie plus tard, j’arrive à bouger et à me lever. Je m’approche de la fenêtre et me voici face à une mer bleu vert d’un calme olympien.

J’appelle, j’élargis ma zone de découverte et me trouve dans un jardinet d’hortensias avec pour tout panorama cette putain de mer. Depuis quand les boîtes de nuit parisiennes ont-elles des débouchés dans des îles bretonnes ?

Je me touche, je dois prendre conscience de ma réalité. Ma main rencontre un papier dans ma poche de veste et s’en empare fébrilement.

 
Mon cher Arthur,
 
Je t’offre une rédemption avant que tu ne touches le fond. Je me suis permis d’annoncer via tes réseaux sociaux ton envie de retraite créatrice. Tu n’as rien publié depuis 3 ans et ces trésors endormis que tu recouvres de sédiments alcoolisés ne demandent qu’à être redécouverts. J’ai donc loué cette maison sur une île déserte pour une durée de 6 mois et t’ai déménagé pendant ton sommeil. Maria sera ton seul lien avec l’extérieur. Veille bien sur elle.

Bien à toi,

Edouard


PS : J’espère que l’effet des somnifères s’estompera rapidement.

Hébété, fou de rage, je pense qu’il s’agit d’une émission de télé-réalité, que je vais retrouver d’ici peu mon appartement rue du Cherche-Midi.

Les heures passent sans signe de vie humaine. Quant à la vie ornithologique, elle est surreprésentée !

Me réappropriant mes esprits, je dresse un inventaire des placards. Mon kidnappeur me connaît et a reconstitué un mètre linéaire de l’épicerie du Bon Marché. Cet Edouard est un Machiavel des temps modernes.

Je pars ensuite à la conquête de mon île adoptive mi île de Sein mi île de Bréhat. Au détour d’une crique, j’aperçois une femme brune hiératique contemplant l’océan. Elle se tourne vers moi et je suis saisi par la beauté rude de son visage. Maria me souhaite la bienvenue et me demande de lister mes besoins pour la prochaine navette.

Je passerai le mois suivant à topographier cette île prison sans parvenir à établir de plan d’évasion. La confrontation avec ma vacuité sera terrible mais source de transformation. Maria ne me sera d’aucun secours car contemplative et quasi muette. Le temps aidant, je fantasmerai ce mystère de l’îlienne recluse et m’en inspirerai pour le personnage principal de ce qui s’avèrera être mon meilleur roman, L’île d’elle, paru aux Editions Edouard Replet, un an plus tard.

 
 
Claire Le Gall

le Mardi 29 Octobre 2019 à 17:16 | Lu 1426 fois


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