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L’autre affaire qui embarrasse l’APC


Papeete, le 17 octobre 2019 – Déjà secouée par les soupçons “d’impartialité” de son collège dans l’affaire des boissons réfrigérées du groupe Wane, l’autorité polynésienne de la concurrence est également accusée de “graves irrégularités procédurales” dans une enquête portant sur une entente de sociétés de gardiennage.

C’est une affaire particulièrement embarrassante pour l’Autorité polynésienne de la concurrence (APC). Qui plus est dans le contexte de la décision de sursis à exécution de l’amende infligée au groupe Wane, prononcée mercredi par le premier président de la cour d’appel de Paris en raison “d’un risque sérieux d’annulation fondé sur l’impartialité du collège” de l’APC. Dimanche, nos confrères de Polynésie la 1ère ont révélé des accusations de “graves irrégularités procédurales” portées contre l’APC dans le cadre d’une enquête de l’autorité portant sur une suspicion d’entente entre deux sociétés de gardiennage, Jurion et Tahiti Vigiles.

La procédure, initiée à la suite d’une plainte de la société Haumani Sécurité, concerne l’attribution d’un marché de la Direction du commissariat d’outre-mer de Polynésie française (Dicom) en 2015. Le marché portait à l’époque sur le gardiennage de sites appartenant à la Défense sur le territoire de la Polynésie française. Et il avait été remporté par une offre “groupée” des deux sociétés, Jurion et Tahiti Vigiles. Or, en droit de la concurrence, les offres groupées ne sont autorisées que si elles sont “justifiées sur le plan technique et économique”.

Pour les avocats des deux sociétés, Me Mikou et Poullet-Osier, la justification technique et économique reposait sur la taille du marché –qui demandait un nombre trop élevé d’agents de sécurité pour une seule entité– et sur sa courte durée –un marché à bon de commande sur trois ans, incertain à cause de la rétrocession en cours des terrains militaires. Mais le 18 juillet 2019, le service instructeur de l’Autorité polynésienne de la concurrence a rendu un rapport établissant effectivement que le groupement constitué par Jurion et Tahiti Vigiles était susceptible de relever de “pratiques anticoncurrentielles”.

Mauvaise note

Comme le veut la procédure, le dossier a été renvoyé en juillet 2019 devant le collège de l’Autorité polynésienne de la concurrence. En effet, dans l’organisation de l’APC, il existe une stricte séparation entre le service instructeur (chargé de mener les enquêtes) et le collège (chargé de juger les pratiques éventuellement anti-concurrentielles). La séance du collège sur le dossier Jurion-Tahiti Vigiles a donc été programmée au 16 septembre dernier.

Or, au cours de la procédure, les avocats des deux sociétés de gardiennage incriminées ont déniché une embarrassante note interne à l’APC datée du 16 mai 2018 et adressée par la rapporteure générale du service instructeur au collège de l’autorité. Dans cette note, que Tahiti Infos a pu consulter, la rapporteure générale explique au collège que son adjoint en charge du dossier Jurion-Tahiti Vigile s’apprête à rendre une “proposition de non-lieu” et semble interroger le collège sur la suite à donner au dossier.

La rapporteure générale fait référence dans son courrier au contentieux ouvert avec son adjoint –par ailleurs largement médiatisé– expliquant que ce dernier semblait s’orienter vers une décision de poursuite, avant de changer d’avis. Mais enfin et surtout, la rapporteure générale interroge en conclusion directement le collège pour lui demander des instructions. Elle propose même trois solutions au collège : laisser son adjoint “continuer dans sa démarche” ; lui demander de “revoir sa position” alors même qu’elle reconnait ne pas avoir “une position totalement éclairée” sur le dossier ; ou “substituer” à son adjoint un “nouveau rapporteur afin qu’un regard neuf soit porté sur la réalité de pratiques anticoncurrentielles alléguées”.

“Simulacre d’instruction”

Lors de la séance du 16 septembre dernier, les avocats de Jurion et Tahiti Vigiles ont averti le président de l’autorité de l’existence de cette note et la séance a été reportée sine die. Le dossier étant toujours en cours. Mercredi soir, Me Mikou et Poullet-Osier ont diffusé un communiqué, expliquant “n’avoir d’autre choix (…) que de dénoncer publiquement ce simulacre d’instruction”. Les deux avocats s’indignent de la “preuve absolue d’une collusion manifeste et d’un lien de subordination contre-nature entre le service instruction et le collège, caractérisant une violation du strict principe de séparation des fonctions d’instruction et de jugement”.

Contacté, le président de l’Autorité polynésienne de la concurrence, Jacques Mérot, s’est refusé hier à “tout commentaire sur un dossier en cours”. Mais de sources proches de l’APC, on se défend en affirmant qu’aucune directive n’a été donnée au service instruction, autre que des questions d’agenda et de calendrier. On évoque également une note du collège, en réponse à celle de la rapporteure générale le 30 mai 2018, qui rappelle à cette dernière que “le collège ne peut s’immiscer dans le contenu du dossier” et qui demande à la rapporteure de s’entretenir du dossier avec son adjoint, y compris dans l’éventualité d’un non-lieu.

Et maintenant ?

Dès le 17 septembre 2019, les avocats de Jurion et Tahiti Vigiles ont déposé des conclusions complémentaires, dénonçant une “violation des principes fondamentaux de séparation des pouvoirs et d’impartialité des membres du collège”. Il reviendra maintenant au tout nouveau collège de l’autorité de décider, ou non, de maintenir le dossier à flot. Au risque d’une annulation totale de la procédure. Et surtout au risque d’un nouveau front pour l’APC, dans un contexte qui s’en passerait bien.

Rédigé par Antoine Samoyeau le Jeudi 17 Octobre 2019 à 21:10 | Lu 4329 fois