L'attaque mortelle d'un requin tigre dans le lagon plonge Poé dans l'horreur


La paisible plage de Poé est de plus en plus fréquentée. Mais après l’attaque, c’est un lagon uniquement sillonné par le bateau des pompiers, survolé par l’hélicoptère du Samu, qui s’offrait au regard.
Poé, Nouvelle Calédonie | LNC | lundi 11/04/2016 - Une sexagénaire a été tuée par un requin-tigre, samedi matin, à Poé. Derrière le récit de la terrible attaque, il y a aussi celui d’une communauté soudée, qui aime son lagon, et qui a tout fait pour sauver la victime.

Il est 10 h 45, ce samedi. Il fait beau, le vent est modéré et on est au milieu des vacances scolaires. Habitants de Poé, touristes, Nouméens en goguette, tout le monde profite des joies du lagon. Thierry Chanson, la cinquantaine, est dans l’eau avec son fils de 5 ans. « Je lui apprends à naviguer en planche, en me servant d’un bout de 15 mètres, c’est notre jeu à tous les deux. »
Soudain, ce paisible moment familial est interrompu. « J’ai entendu un cri derrière moi, à une cinquantaine de mètres. Je me suis retourné et j’ai tout de suite vu une caudale et des remous, j’ai compris que c’était une attaque. J’ai crié à mon fils : “reste sur la planche, et continue jusqu’à la plage !” et je suis allé le plus vite possible vers la personne. »

Juste après l’herbier

La victime, c’est Nicole Malignon, une voisine du lotissement Tropical, à côté du Poé Beach. A 69 ans, elle reste très active et on la connaît bien à Poé, où on la voit souvent à vélo ou en train de nager. Comme à son habitude, elle est allée se baigner en compagnie de son chien, un peu après la longue bande d’herbier. Elle a pied, il y a « moins d’1,50 m d’eau » , souligne Thierry Chanson.
Pourtant, c’est un requin-tigre d’environ 2,50 m qui s’acharne encore sur sa proie, dont les deux avant-bras sont sectionnés. La scène est terrible, sanglante. Et le requin, menaçant : « Il a commencé à tourner autour de nous, j’ai eu vraiment peur. Puis, il s’est tourné vers moi et je suis allé vers lui, pour l’effrayer. Après, je ne l’ai plus vu. »

Thierry attrape la victime sous les aisselles et la ramène sur la plage. Prof d’EPS, il possède le brevet de secouriste et ne tarde pas à prendre deux serviettes pour faire des garrots. Peu après, le mari de la victime arrive sur la plage, découvre la scène d’horreur et court alerter les secours. D’autres voisins ne tardent pas à arriver, se relaient pour tenir les garrots, vont chercher une couverture de survie. Peine perdue. Nicole Malignon perd connaissance. Ses voisins lui prodiguent un massage cardiaque, jusqu’à l’arrivée des pompiers, qui prennent le relais. A 11 h 45, son décès est prononcé. « Quand je l’ai sortie de l’eau, je pensais qu’elle allait s’en sortir » , souffle Thierry Chanson, d’une voix blanche.

Le lagon évacué

L’interdiction de baignade et d’activités nautiques est prononcée jusqu’à nouvel ordre. On fait évacuer le lagon, à l’aide du hors-bord des pompiers, sans haut-parleur. Les habitants du quartier donnent la main pour faire sortir tout le monde de l’eau.
Dans ce coin où « tout le monde profite de la mer et fait des activités nautiques », le choc est rude. « C’est la première fois que j’entends parler d’une attaque à Poé, reconnaît la maire, Brigitte El Arbi, qui, comme tout le monde, voit en Poé « un endroit où on se dit qu’on est tranquille avec les enfants, protégés par le récif. » « Mes enfants y sont tous les jours de 10 heures à midi et c’est un site touristique de plus en plus fréquenté », témoigne Sophie, une voisine qui était sortie de l’eau peu avant l’attaque.
Certains habitants ont « envie de prendre le bateau et de le chasser, mais c’est une réserve ». Thierry Chanson, lui, est allé se promener à vélo en famille, hier, pour chasser les images d’horreur. « La leçon que je transmettrai à mes élèves, c’est que c’est important d’être en bonne santé et en bonne forme, pour pouvoir porter secours. Même si, cette fois, ça n’a pas marché. »

Un drame inexplicable

Un jeune requin-tigre
De retour de Bourail, hier, Claude Maillaud, médecin légiste et spécialiste des requins, et Philippe Tirard, retraité de l’IRD et auteur de Requins du Caillou, confirment les affirmations des témoins. « Il s’agit bien d’un requin-tigre juvénile mesurant entre 2 mètres et 2,50 m », annonce Claude Maillaud. Une conclusion tirée de l’examen des blessures, qui permet de déterminer l’espèce en cause et d’estimer sa taille.

Attaque inhabituelle
« Cette attaque sort de l’ordinaire, en pleine zone de baignade, où habituellement on ne trouve pas ce type de requins et sans qu’il y ait de facteur déclenchant. Il y a deux types d’attaque : celle qu’on voit en Australie, à la Réunion, en Afrique du Sud, en eaux troubles, en fin de journée, sur une victime isolée et de la part d’un gros prédateur. Et une configuration océanienne, en plein jour, en eau claire, mais qui touche la plupart du temps des chasseurs sous-marins. Cette fois on n’a pas de facteur de provocation. »
Les consignes de sécurité
A Poé, l’interdiction de baignade et d’activités nautiques est toujours en cours. Ce matin, la maire, Brigitte El Arbi, espère faire survoler le lagon par un ULM pour essayer de repérer le squale.
Une décision sera ensuite prise concernant l’interdiction. Rappelons qu’elle ne concerne pas que la baignade, mais aussi toute activité nautique : kitesurf, stand-up paddle, kayak… « Il faut vraiment être prudent, même si ce n’est pas évident pour les sportifs, qui se sentent frustrés », souligne la maire.
Plus généralement, les consignes de prévention restent inchangées. « Ne pas s’aventurer seul en eaux troubles à la tombée de la nuit et, pour les chasseurs sous-marins, ne jamais conserver le poisson dans l’eau à côté de soi. Enfin, il faut savoir céder la place au requin lorsqu’il est présent », par exemple lorsqu’il a été repéré depuis un bateau, souligne Claude Maillaud.
12 attaques mortelles ont été signalées en Nouvelle-Calédonie depuis un peu plus de cinquante ans. Cela représente environ 20 % des attaques de squale.


Repères

Un requin tigre
Trois requins potentiellement tueurs
En Nouvelle-Calédonie, les trois espèces de requin qui attaquent habituellement l’homme sont présentes : tigre, bouledogue et grand requin blanc.

Les rumeurs
Une rumeur fait état d’un bateau déversant des déchets d’origine animale dans le lagon peu avant l’incident. Mais ni les témoins immédiats de l’attaque, ni les secours, ni les spécialistes dépêchés sur place n’ont constaté quoi que ce soit.
Certains observateurs se demandent si la présence d’un chien aux côtés de la victime aurait pu attirer le squale. Mais, d’après les deux spécialistes venus sur place, cela n’a pas eu d’incidence sur l’attaque.

Réactions de la Réunion
Sur les réseaux sociaux, un certain nombre de commentaires à ce drame viennent de la Réunion où, depuis la résurgence des attaques de requin, il y a une dizaine d’années, le clivage est intense entre défenseurs de la nature et les pourfendeurs de squales. Dans ces réactions, c’est la « sanctuarisation » des eaux calédoniennes qui est montrée du doigt.



Rédigé par Julia Trinson / julia.trinson@lnc.nc le Lundi 11 Avril 2016 à 05:31 | Lu 4183 fois