“Je ne pensais pas priver ma femme de ses deux jambes”


Tahiti, le 28 octobre 2025 - Ce mardi, le tribunal correctionnel de Papeete a condamné un homme à trois ans d'emprisonnement, dont deux assortis d'un sursis probatoire, pour avoir causé un accident de la route en deux-roues et avoir rendu la passagère – sa compagne – paraplégique. Le tout, sans permis adapté au véhicule, sans assurance et avec 1,37 gramme d'alcool par litre de sang.
 
Si les affaires de trafic de stupéfiants et de violences conjugales sont légion au palais de justice, certaines affaires demeurent néanmoins atypiques et surprennent encore magistrats, avocats et procureurs, pourtant habitués à l'exercice. Et ce mardi, en correctionnelle, ces derniers ont dû, une fois de plus, se retrousser les manches et tendre l'oreille. En effet, à la barre, un individu de 41 ans comparaissait pour avoir, le 23 juillet 2024 à Moorea, causé un accident de la route en deux-roues avec, derrière lui, sa compagne.
 
L'homme, sous l'empire de l'alcool, aurait tenté d'éviter une voiture qui venait de face et aurait choisi, pour ce faire, une sortie de route. Quant à la suite, ni l'individu, ni sa femme ne se souviennent de ce qui s'est réellement passé et l'enquête n'a permis d'identifier aucun témoin jusqu'à ce jour. En revanche, gendarmerie et secours ont pu vite se rendre sur le lieu de l'accident afin de prendre en charge les deux tourtereaux. Et si l'homme s'en est sorti avec quelques blessures, pour sa compagne, le bilan était plus sévère : fracture au niveau de certaines vertèbres entraînant une paraplégie des pieds jusqu'au torse.
 
“Je regrette tout ce qui s'est passé”
 
Après enquête, il se trouvait que le chauffeur conduisait son engin avec un taux d’1,37 gramme d'alcool par litre de sang, et ce, sans permis pour ledit véhicule et sans assurance non plus. Interrogé par les forces de l'ordre, le couple raconte qu'ils étaient en train de quitter leur Airbnb pour se rendre au quai et prendre le bateau afin de rentrer à Tahiti. Un choix inapproprié que le chauffeur concède aujourd'hui : “J'avais bu du Gin... Je regrette tout ce qui s'est passé. (...) J'étais surpris du taux d'alcool par rapport à ce que j'avais bu. (...) J'aurais dû prendre la décision de ne pas conduire, mais on devait être à Tahiti le lendemain. Je ne pensais pas priver ma femme de ses deux jambes.”
 
Des excuses qui n'ont trouvé aucune empathie du côté du ministère public qui s'est empressé de rappeler à l'individu son passif plutôt chargé vis-à-vis de la conduite en état d'ivresse. Et pour cause, celui-ci avait déjà été arrêté à trois reprises par les autorités avant l'accident. Interpellé sur son casier, l'intéressé s'est contenté de dire qu'il n'était pas quelqu'un de “sérieux”. Une réaction qui n'a pas suffi à la présidente du tribunal : “Rendez-vous compte, il a fallu qu'il y ait un drame pour que vous compreniez !” 
 
Quant au véhicule utilisé, une moto de 500 cc, l'homme a assuré que s'il la possède depuis 2021, il ne l'utilisait que depuis très peu de temps avant l'accident. Un engin acheté par son ex-femme qu'il a récupéré et retapé pièce par pièce depuis leur divorce. Pour ce qui est du permis, celui-ci assure avoir un permis jordanien qu'il n'a jamais pris le temps de traduire et faire valider.
 
“J'ai besoin de lui”
 
Et alors que l'on pourrait croire, après l'exposé de l'ensemble des faits, que le couple bat de l'aile, aujourd'hui, il n'en est rien. Appelée à la barre, la victime explique être toujours avec son tāne malgré les circonstances et assure même avoir besoin de lui plus que jamais : “ J'ai besoin de lui. C'est lui qui s'occupe de mes enfants – 11 et 7 ans – et de moi. S'il n'est pas là, je ne peux rien faire.” Et la victime sait de quoi elle parle. Âgée de 39 ans au moment des faits, celle-ci exerçait le métier d'infirmière et était reconnue par ses collègues pour être un très bon élément. “Aujourd'hui, je dois gérer mon état physique. Car si je ne sens plus rien en cutané, j'ai des douleurs internes qui me paralysent une bonne partie de la journée”, a expliqué la victime au tribunal, tout en insistant : “ J'espère que le tribunal prendra en compte, lors de l'élaboration de sa peine, son rôle d'aidant.” Une dernière requête touchante, formulée avant de retourner aux côtés de son bien-aimé, main dans la main.
 
En revanche, pour ce qui est du ministère public, pas de sentimentalisme : “Je ne comprends pas”, a tout simplement déclaré la procureure de la République avant de souligner : “Les faits sont gravissimes ! Et au vu des antécédents de monsieur, cela fait un petit moment que ça dure !” Et pour y mettre un terme, celle-ci a requis à son encontre quatre ans d'emprisonnement dont deux ans de sursis probatoire, avec mandat de dépôt. De son côté, l'avocat de la défense a tenté de modérer, avançant que pour le prévenu, la peine avait déjà commencé : “C'est vrai que c'est extrêmement grave. (...) Mais évidemment que ces deux-là auraient aimé que ce jour ne soit jamais arrivé. Tout est dramatique dans cette histoire. C'est une double peine pour mon client puisqu'il doit vivre avec.”
 
Après délibération, le prévenu a été déclaré coupable des faits qui lui étaient reprochés et a été condamné à une peine mixte de trois ans d'emprisonnement dont deux ans assortis d'un sursis probatoire.
 

Rédigé par La rédaction le Mardi 28 Octobre 2025 à 16:34 | Lu 4963 fois