Loimia aimehoensis. Crédit : Jenna Moore. Reproduit avec l'autorisation du détenteur du droit d'auteur.
Tahiti, le 10 février 2025 - Elles ont été repérées par hasard voilà des années dans les lagons polynésiens, mais elles viennent tout juste d’être officiellement reconnues. Deux espèces de vers marins, dits vers spaghettis, portent désormais le nom de Loimia aimehoensis et de Loimia poraporaensis.
Toute cette aventure est le fruit d'un travail collaboratif entre deux Australiens, Pat Hutchings et Chris Glasby, tous les deux spécialistes des vers spaghettis, et deux Français de la station marine d'Arcachon, Nicolas Lavesque et Guillemine Daffe. Elle est surtout une histoire de passion qui ouvre la porte à de nouvelles études et découvertes dans les lagons polynésiens.
Il y a dix ans…
En 2015, Pat Hutchings, une biologiste marine de 79 ans spécialisée dans l'étude des vers marins, est venue en vacances en Polynésie. Elle a profité de son passage pour faire de la plongée à Bora Bora. Sous l’eau, de longs tentacules blancs s’étendant sous le récif de corail ont attiré son attention. Sachant que peu de collectes de vers avaient eu lieu dans la région, elle a donc soigneusement retiré le ver de sa cachette, l’a conservé dans le réfrigérateur de sa chambre d’hôtel et l’a ramené dans un laboratoire en Australie. “Il est resté là pendant plusieurs années”, raconte Nicolas Lavesque. Ingénieur de recherche à la station marine d’Arcachon, passionné par les vers sous-marins, c’est un ami de Pat Hutchings. “Nous travaillons ensemble depuis très longtemps. Je suis allé lui rendre visite en 2019-2020 et c’est à ce moment-là que nous avons reparlé du ver découvert lors de la plongée en Polynésie.” Sachant qu’un autre spécimen avait été repéré à Moorea, lui, lors d’un programme de recherche en 2010. Les deux vers sont revenus sous les feux de la rampe il y a cinq ans.
Les vers spaghettis tirent leur nom de leurs nombreux tentacules qui leur servent à fouiller le sédiment en quête de nourriture (matière organique). Ces tentacules sont dotés de cils qui permettent de transporter la nourriture jusqu’à la bouche. “Ce sont des vers qui vivent partout, des estuaires aux abysses, des pôles aux récifs coralliens”, s’enthousiasme Nicolas Lavesque pour expliquer sa passion. “Il y en a des centaines d’espèces dans le monde, et il en reste beaucoup à découvrir.”
À la manière des naturalistes du XVIIe
Nicolas Lavesque, à propos de l’identification, dit travailler comme Linné en son temps. Ce naturaliste suédois (1707-1778) a posé les bases du système moderne de la nomenclature binominale. En taxinomie, le nom binominal est une combinaison de deux mots servant à désigner une espèce. Le premier mot, le nom générique, désigne un genre ; le second, l'espèce au sein de son genre. Considérant que la connaissance scientifique nécessite de nommer les choses, il a répertorié, nommé et classé, systématiquement, l'essentiel des espèces vivantes connues à son époque, en s'appuyant sur ses observations, ainsi que sur celles de son réseau de correspondants. Nicolas Lavesque ajoute : “Nous parlons de la 6e extinction de masse, de la biodiversité qui s’écroule, ce qui est vrai. Mais en parallèle, nous découvrons de nouvelles espèces, et c’est important, pour mesurer cette extinction, il faut connaître ce qui existe.”
L’identification d’une espèce est un processus qui se déroule par étapes. Une fois le spécimen prélevé, il faut le décrire très précisément. Il faut surtout apporter la preuve que l’espèce est nouvelle. “À ce moment-là, on joue un peu les détectives.” Les taxonomistes doivent fouiller les sites, les archives, les musées, les laboratoires du monde entier qui conservent d’autres espèces. Il existe un site de référence mondial pour la faune marine qui recense toutes les espèces existantes : WoRMS (World Register of Marine Species), mais il a fallu pousser plus loin les investigations. “Ce qui nous a permis d’apprendre que l’un des vers polynésiens avait déjà été récolté par une équipe à Hawaii, sans avoir encore été décrit.”
Les vers sous-marins sont souvent difficiles à identifier à cause d’un manque de littérature exploitable (descriptions datant parfois du XIXe siècle), de la perte des échantillons types au cours du temps (ou quand ils existent, sont endommagés), mais également à cause de critères d’identification nécessitant une réelle expertise et des outils modernes (microscopie électronique à balayage, analyses génétiques). Cela explique, en partie, le temps nécessaire au processus d’identification.
Lorsque la preuve est faite, il faut ensuite trouver un nom et rédiger un article scientifique. Et voilà comment Loimia aimehoensis et Loimia poraporaensis ont rejoint la grande famille des vers spaghettis. “Nous avons soumis nos propositions de noms à Vahi Richaud, maître de conférences en langues, littérature et cultures polynésiennes, spécialité tahitien, à l’université pour ne pas faire d’erreur”, précise Nicolas Lavesque.
Un article, intitulé Spaghetti worms from the reef : two new species of Loimia (Polychaeta : Terebellidae) from Bora Bora and Moorea (Society Islands, French Polynesia) and a range extension of L. tuberculata Nogueira, Hutchings & Carrerette, 2015, a été publié dans la revue scientifique Zootaxa le 3 février dernier. Cette publication n’est pas une fin en soi. “Les vers sous-marins de Polynésie n’ont pas encore fait l’objet de recherches particulières”, rapporte Nicolas Lavesque. Il envisage de monter un programme pour venir les étudier. “Avant d’identifier de nouvelles espèces, il serait intéressant de comprendre comment un ver peut se retrouver dans deux endroits si éloignés, à Hawaii et en Polynésie. Car ces espèces se déplacent peu.” La science avance, doucement mais sûrement.
Toute cette aventure est le fruit d'un travail collaboratif entre deux Australiens, Pat Hutchings et Chris Glasby, tous les deux spécialistes des vers spaghettis, et deux Français de la station marine d'Arcachon, Nicolas Lavesque et Guillemine Daffe. Elle est surtout une histoire de passion qui ouvre la porte à de nouvelles études et découvertes dans les lagons polynésiens.
Il y a dix ans…
En 2015, Pat Hutchings, une biologiste marine de 79 ans spécialisée dans l'étude des vers marins, est venue en vacances en Polynésie. Elle a profité de son passage pour faire de la plongée à Bora Bora. Sous l’eau, de longs tentacules blancs s’étendant sous le récif de corail ont attiré son attention. Sachant que peu de collectes de vers avaient eu lieu dans la région, elle a donc soigneusement retiré le ver de sa cachette, l’a conservé dans le réfrigérateur de sa chambre d’hôtel et l’a ramené dans un laboratoire en Australie. “Il est resté là pendant plusieurs années”, raconte Nicolas Lavesque. Ingénieur de recherche à la station marine d’Arcachon, passionné par les vers sous-marins, c’est un ami de Pat Hutchings. “Nous travaillons ensemble depuis très longtemps. Je suis allé lui rendre visite en 2019-2020 et c’est à ce moment-là que nous avons reparlé du ver découvert lors de la plongée en Polynésie.” Sachant qu’un autre spécimen avait été repéré à Moorea, lui, lors d’un programme de recherche en 2010. Les deux vers sont revenus sous les feux de la rampe il y a cinq ans.
Les vers spaghettis tirent leur nom de leurs nombreux tentacules qui leur servent à fouiller le sédiment en quête de nourriture (matière organique). Ces tentacules sont dotés de cils qui permettent de transporter la nourriture jusqu’à la bouche. “Ce sont des vers qui vivent partout, des estuaires aux abysses, des pôles aux récifs coralliens”, s’enthousiasme Nicolas Lavesque pour expliquer sa passion. “Il y en a des centaines d’espèces dans le monde, et il en reste beaucoup à découvrir.”
À la manière des naturalistes du XVIIe
Nicolas Lavesque, à propos de l’identification, dit travailler comme Linné en son temps. Ce naturaliste suédois (1707-1778) a posé les bases du système moderne de la nomenclature binominale. En taxinomie, le nom binominal est une combinaison de deux mots servant à désigner une espèce. Le premier mot, le nom générique, désigne un genre ; le second, l'espèce au sein de son genre. Considérant que la connaissance scientifique nécessite de nommer les choses, il a répertorié, nommé et classé, systématiquement, l'essentiel des espèces vivantes connues à son époque, en s'appuyant sur ses observations, ainsi que sur celles de son réseau de correspondants. Nicolas Lavesque ajoute : “Nous parlons de la 6e extinction de masse, de la biodiversité qui s’écroule, ce qui est vrai. Mais en parallèle, nous découvrons de nouvelles espèces, et c’est important, pour mesurer cette extinction, il faut connaître ce qui existe.”
L’identification d’une espèce est un processus qui se déroule par étapes. Une fois le spécimen prélevé, il faut le décrire très précisément. Il faut surtout apporter la preuve que l’espèce est nouvelle. “À ce moment-là, on joue un peu les détectives.” Les taxonomistes doivent fouiller les sites, les archives, les musées, les laboratoires du monde entier qui conservent d’autres espèces. Il existe un site de référence mondial pour la faune marine qui recense toutes les espèces existantes : WoRMS (World Register of Marine Species), mais il a fallu pousser plus loin les investigations. “Ce qui nous a permis d’apprendre que l’un des vers polynésiens avait déjà été récolté par une équipe à Hawaii, sans avoir encore été décrit.”
Les vers sous-marins sont souvent difficiles à identifier à cause d’un manque de littérature exploitable (descriptions datant parfois du XIXe siècle), de la perte des échantillons types au cours du temps (ou quand ils existent, sont endommagés), mais également à cause de critères d’identification nécessitant une réelle expertise et des outils modernes (microscopie électronique à balayage, analyses génétiques). Cela explique, en partie, le temps nécessaire au processus d’identification.
Lorsque la preuve est faite, il faut ensuite trouver un nom et rédiger un article scientifique. Et voilà comment Loimia aimehoensis et Loimia poraporaensis ont rejoint la grande famille des vers spaghettis. “Nous avons soumis nos propositions de noms à Vahi Richaud, maître de conférences en langues, littérature et cultures polynésiennes, spécialité tahitien, à l’université pour ne pas faire d’erreur”, précise Nicolas Lavesque.
Un article, intitulé Spaghetti worms from the reef : two new species of Loimia (Polychaeta : Terebellidae) from Bora Bora and Moorea (Society Islands, French Polynesia) and a range extension of L. tuberculata Nogueira, Hutchings & Carrerette, 2015, a été publié dans la revue scientifique Zootaxa le 3 février dernier. Cette publication n’est pas une fin en soi. “Les vers sous-marins de Polynésie n’ont pas encore fait l’objet de recherches particulières”, rapporte Nicolas Lavesque. Il envisage de monter un programme pour venir les étudier. “Avant d’identifier de nouvelles espèces, il serait intéressant de comprendre comment un ver peut se retrouver dans deux endroits si éloignés, à Hawaii et en Polynésie. Car ces espèces se déplacent peu.” La science avance, doucement mais sûrement.
Loimia poraporaensis. Crédit : Gustav Paulay. Reproduit avec l'autorisation du détenteur du droit d'auteur.