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Crise aux Antilles: paroles de Guadeloupéens


Christophe ARCHAMBAULT / AFP
Christophe ARCHAMBAULT / AFP
Le Gosier, France | AFP | mercredi 30/11/2021 - Qu'ils déplorent les fréquentes coupures d'eau, le taux de chômage élevé des jeunes et la vie chère, ou qu'ils soient pro ou anti-vaccins, cinq Guadeloupéens illustrent, par leur témoignage, les problématiques de la crise qui touche actuellement l'île.

"Coupez le chauffage 1/2 journée en métropole!"

Sandrine, une habitante du Gosier âgée d'une trentaine d'années, s'énerve contre les fréquentes coupures d'eau qu'elle subit "plusieurs fois par semaine", problème chronique sur l'île depuis de nombreuses années. "Pour certains, c'est tous les jours", des "tours d'eau" étant mis en place dans certains quartiers de sa commune (comme ailleurs en Guadeloupe) afin d'assurer une distribution pour tout le monde.

Et pourtant, "la facture reste la même", assure-t-elle. "Je ne pense pas que vous imaginez. Forcément ça met en colère, quand vous ne pouvez pas vous doucher avant d'aller au travail, ou en revenant. Et alors qu'il fait 30 degrés, avec en plus l'humidité tropicale."

"Coupez le chauffage ne serait-ce qu'une demi-journée en métropole et il y a des émeutes. Et nous devrions accepter, nous ?" lance-t-elle.

Le vaccin, "la seule solution actuellement"

Contrairement à la majorité des habitants interrogés par l'AFP, Jean, commerçant âgé d'une cinquantaine d'année résidant aux Abymes, est favorable à la vaccination contre le Covid-19.

"Je suis pour le vaccin, et toute ma famille est vaccinée. Non pas parce que j'aime le vaccin, mais car c'est la seule solution actuellement" pour lutter contre l'épidémie. 

"Si tous les Etats n'ont trouvé que cette solution, ce n'est pas pour rien !" ajoute-t-il.

Mi-novembre, le taux de couverture vaccinale (personnes ayant reçu au moins une injection) de la population guadeloupéenne âgée de 18 ans ou plus était de 46%, contre 76% pour la moyenne nationale.

Comme plusieurs personnes rencontrées par l'AFP, Jean n'a pas souhaité détailler son identité, par peur des représailles. D'autres ne veulent pas que soit filmée ne serait-ce que leur plaque d'immatriculation.

"L'île est bouillante en ce moment. Il faut faire très attention à ce qu'on dit, c'est dommage car ça veut dire que la vérité n'est pas dite, que tout le monde veut aller dans le même sens", explique Jean.

"Si tu es dans un métier +en vue+, tu n'as pas intérêt à aller contre (le courant de pensée majoritaire, NDLR), sinon tu subiras des destructions", ajoute-t-il.

"400 euros pour un phare !"

Produits alimentaires, surtout laitiers, eau minérale ou encore produits d'hygiène coûtent bien plus cher en Guadeloupe (comme en Martinique et en Guyane) qu'en métropole. 

Selon la dernière étude de l'Insee, en 2015, l'écart de prix entre la Guadeloupe et la France métropolitaine atteignait 12,5 %, et même 33% pour l'alimentaire.

Joël, habitant de Sainte-Rose âgé de 50 ans, prend lui comme exemple du coût supérieur de la vie une pièce pour sa voiture: "Pour un phare de voiture, d'une Toyota, que j’ai voulu m’acheter, 400 euros! Faut pas pousser. Tu commandes sur Internet, t’en as pour 100 euros peut-être, même pas. C’est invivable."

"Nous avons peur de l'Etat français"

Danielle, âgée de 63 ans et qui réside au Gosier, refuse elle de se vacciner. Une position qu'elle explique principalement par sa défiance envers l'Etat français depuis le scandale du chlordécone.

Ce pesticide interdit en métropole en 1990 a continué à être autorisé dans les champs de bananes des Antilles par dérogation ministérielle jusqu'en 1993, provoquant une pollution importante et durable.

"Avec l'histoire du chlordécone, nous avons peur de l'Etat français. Et donc nous n'avons pas confiance dans la piqure qu'on veut nous imposer", lance Danielle.

"Il était interdit en France et encore autorisé ici. Ca veut dire que nous sommes la pourriture de la France" ajoute-t-elle.

Plus de 90% de la population adulte en Guadeloupe et Martinique est contaminée par le chlordécone, selon Santé publique France, et les populations antillaises présentent un taux d'incidence du cancer de la prostate parmi les plus élevés au monde.

"Notre avenir" quitte la Guadeloupe

Des nombreuses revendications du mouvement de contestation, il en est une qui surpasse les autres pour Ernest Losange, habitant de Sainte-Rose âgé d'une soixantaine d'années: faire baisser le taux de chômage de la jeunesse, "notre avenir (qui) est en train de quitter la Guadeloupe" faute de perspectives, alors que "la population est vieillissante".

Selon l'Insee, le taux de chômage des 15-29 ans en 2020 y était de 35% contre une moyenne nationale de 20%.

"On aura besoin d'eux, mais rien n'est fait pour donner aux jeunes la possibilité de se développer sur leur île. Je trouve ça inadmissible" déclare Ernest, pour qui les jeunes expriment sur les barrages leur "ras le bol" et ne sont "pas des voyous".

Il prend l'exemple de sa famille: deux de ses trois enfants sont partis en métropole pour travailler, le troisième cherche un emploi en Guadeloupe. Enseignante, "elle a un Bac+5 et effectué quelques remplacements en juillet-août, mais depuis son contrat a été cassé. Elle attend. Hé oh ! Alors que les classes sont surchargées" s'énerve Ernest.

le Mercredi 1 Décembre 2021 à 05:45 | Lu 289 fois