Comment nos eaux sont surveillées


Tahiti, le 9 février 2022 - Objet de nombreux commentaires sur les réseaux sociaux, la surveillance de la ZEE polynésienne assurée par l'État -et voulue par le Pays- est jugée “efficace” par un récent rapport de la Cour des comptes et de la Chambre territoriale des comptes. Et ceci même si les juridictions jugent ces moyens "limités".
 
“Aucune action de pêche illicite n’a été constatée au sein même de la ZEE de la Polynésie française par des navires de pêche étrangers (…). La perception d’une ZEE pillée est entretenue sur les réseaux sociaux et par des groupes d’intérêt étrangers à des fins d’influence sur le modèle polynésien d’AMG, malgré les actions de communication régulières de l’État dans les médias.” À lui seul, ce court extrait du dernier rapport interjuridictionnel de la Cour des comptes et de la Chambre territoriale des comptes sur la gestion de la zone économie exclusive (ZEE) polynésienne valait bien de s'attarder sur le long passage du rapport consacré aux moyens de surveillance de la ZEE. Des moyens jugés “efficaces”, mais “limités”. Un état des lieux éclairant, alors que le haut-commissariat des Forces armées doivent tenir jeudi le bilan de “l'action de l'État en mer”.
 
L'après Thorco Lineage
 
C'est à l'État qu'il revient la responsabilité d'assurer la surveillance de la ZEE polynésienne. “Compte tenu des enjeux et de la surface de cet espace maritime, le format des forces armées en Polynésie française peut apparaître comme modeste”, souligne le rapport, qui s'attache néanmoins à détailler un dispositif présenté comme particulièrement efficient. Et sur ce point, l'échouement du cargo Thorco Lineage en 2018, et ceux qui l'ont suivi, ont conduit à “réorganiser et renforcer” la surveillance générale de la navigation maritime. Un système de surveillance intégré avec des “zones d'alerte et de vigilance” ainsi que des alarmes ont d'abord été mis en place. Conforté en 2019 par une obligation déclarative pour tout navire transitant dans les eaux territoriales et une obligation de se maintenir à sept milles des côtes s'il transporte des marchandises dangereuses. Des voies de navigation recommandées et des zones à éviter ont également été présentées récemment par le JRCC Tahiti et le haussariat. Un dossier élaboré par l'État et le Pays doit également être présenté à l'Organisation maritime internationale pour faire reconnaître une “zone maritime particulièrement vulnérable” au niveau de la réserve de biosphère de Fakarava.
 
Le Pays demande de son côté d'abaisser le seuil de signalement des navires transportant des matières dangereuses de 3 000 à 300 “UMS” (1 600 à 160 tonneaux). Problème souligné par le rapport, l'abaissement de ce seuil “aurait incontestablement un impact sur les missions de surveillance de la navigation et les moyens qui devraient y être alloué”.
 
Des navires surveillés et signalés
 
La surveillance se révèle "particulièrement efficace en matière de police des pêches”, affirme la Cour des comptes. Le dispositif combine surveillance à distance par données électroniques, par clichés satellites et par projection des moyens aériens et navals des Forces armées en cas de découverte d'un navire récalcitrant. Des capteurs électroniques permettent de détecter toute incursion dans la ZEE et de vérifier que les navires étrangers en transit ont une vitesse correspondant à un transit –soit entre 7 et 12 nœuds– et non à une activité de pêche. Les chiffres seront très certainement actualisés ce jeudi, mais en 2020 on recensait 1 701 navires de pêche étrangers suivis en permanence et 261 navires de pêche survolés dans la ZEE et à ses abords.
 
Enfin, la Polynésie elle aussi a souhaité renforcer ce dispositif de contrôle de la pêche. Elle s’est dotée d’un plan de contrôle des pêches en 2020. Un plan qui comprend des objectifs généraux comme le contrôle des obligations déclaratives, le suivi des navires de pêche par satellite et la lutte contre la pêche illicite non déclarée… Mais qui contient également des objectifs spécifiques portant sur le contrôle des eaux territoriales et lors des débarquements à quai.
 
Le plan prévoit d'ailleurs la participation des bateaux polynésiens, répartis dans toute la ZEE. Une fiche de signalement est à la disposition des professionnels de la mer polynésiens, qu'ils soient des navires de pêche ou de transport, pour rapporter les éventuelles activités étrangères de pêche illicite. Problème néanmoins, les coûts de connexion depuis les navires sont extrêmement élevés et, selon les marins-pêcheurs eux-mêmes, ils sont peu utilisés, rapporte la Cour des comptes. En 2020, deux opérations ont été conduites par l’État, sur la foi d’informations transmises de la sorte, pour lever des doutes sur des navires signalés.
 

​La Polynésie, bien loin de la surpêche de ses voisins

Évolution sur 20 ans des volumes de thon pêchés dans le Pacifique Sud
Le rapport de la Cour des comptes dresse un état des lieux à la fois assez effrayant de l'activité de la pêche dans le Pacifique et particulièrement rassurant sur l'état de la pêche dans la vaste ZEE de la Polynésie française. Depuis 2000, le tonnage moyen annuel de capture du thon dans le Pacifique sud-est de 429 249 tonnes, en hausse continue depuis 20 ans. En 2019, ces volumes ont atteint 530 940 tonnes.
 
Les données internationales indiquent que la biomasse du stock reproducteur de thon rouge est proche de son point le plus bas et que le stock est surexploité, malgré une réduction des captures depuis 2012. De grandes puissances comme l’Australie et le Japon ont participé à l’effort de réduction de pêche des thonidés. L’Indonésie et la Chine ont, au contraire, augmenté les volumes de pêche, et Taïwan a maintenu un niveau de prélèvement élevé. Les États et territoires insulaires du Pacifique ont, en 10 ans, augmenté le volume de prises, à l’exception des Kiribati : +918% dans les Îles Cook, +670 % pour les Vanuatu. La Polynésie française maintient un volume stable entre 6 000 et 7 000 tonnes par an mais vise son doublement à terme.
 
Plusieurs États, notamment aux faibles ressources, et dont les limites des ZEE bordent celles de la Polynésie française, attribuent des licences de pêche qui constituent une source de financement. Problématique posée par la Cour des comptes : "Si les efforts de la Polynésie française pour réguler la pêche au thon dans ses eaux territoriales ne sont pas partagés au-delà de la ZEE, ils auront été vains, tant la ressource est actuellement à un niveau critique".
 

Localisation des navires aux abords de la ZEE polynésienne


Rédigé par Antoine Samoyeau le Mercredi 9 Février 2022 à 20:16 | Lu 1880 fois