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"Ce n'est pas le prix du tabac qui va me faire arrêter de fumer"


PAPEETE, 17 mars 2017 - Au 1er avril, le prix des cigarettes et du tabac va augmenter de manière fulgurante suite à la loi du Pays du 6 décembre 2016 portant diverses mesures fiscales à l'importation. Question de santé publique pour le gouvernement, mauvaise blague pour les fumeurs, cette mesure devrait contribuer au financement de la politique de solidarité.

Fine fumée grisâtre, poussière incandescente qui s'envole dans les airs et odeur tenace. Aux alentours du marché de Papeete, la cigarette est reine. Il est un peu moins de 12 heures. De nombreuses personnes commencent leur pause méridionale, casse-croute dans une main et cigarette dans l'autre. Une habitude. "Je fume beaucoup, reconnaît Louise, 33 ans de Faa'a. Je fume des cigarettes à rouler et un paquet de tabac dure environ trois jours." Cette mère de deux enfants a goûté à la cigarette quand elle avait 18 ans. Depuis, elle n'a jamais arrêté. Peu importe les différentes augmentations du prix.

"DE 770 FRANCS A 1050 FRANCS"

Le 1er avril prochain, une nouvelle hausse du prix du tabac entrera en vigueur, suite à la loi du Pays adoptée le 6 décembre 2016. Selon le gouvernement, la consommation de tabac en Polynésie a fortement augmenté ces dernières années, particulièrement chez les 18-24 ans. Pour enrayer le phénomène, le Pays a décidé de frapper fort et d'augmenter de 38,7% les tarifs du droit de consommation sur les tabacs. Dans deux semaines, le prix du paquet de tabac à rouler passera de 750 francs à 1 000 francs, celui d’un paquet de 20 cigarettes (type Marlboro) de 750 à 1050 francs et celui du paquet de 25 cigarettes (type Winfield) de 900 à 1 300 francs. "C'est beaucoup trop cher ! Malgré tout, je vais continuer à fumer. Ce n'est pas le prix qui va me faire arrêter de fumer. Je vais essayer de chercher d'autres astuces pour payer moins cher mon tabac."

Les Polynésiens sont nombreux à réagir de cette façon. L'augmentation du prix de leur paquet de cigarettes ou de tabac ne les poussera pas à arrêter de fumer. Beaucoup réfléchissent à la manière de payer moins cher. "Je ne pense pas arrêter de fumer mais je vais regarder les paquets de cigarettes moins cher, ou acheter du tabac à rouler par exemple. Pourquoi pas, même, essayer la cigarette électronique", témoigne un jeune homme.

POURSUIVRE LA LUTTE CONTRE LES MEFAITS DU TABAGISME

Faire baisser la consommation de tabac des Polynésiens reste pourtant l'argument premier du gouvernement pour faire passer ces augmentations. Dans l'exposé des motifs du projet de loi du Pays, du 2 novembre 2016, il est possible de lire : " […] on peut dire que les modifications fiscales introduites en 2014 ont eu un impact significatif en terme de consommation des tabacs tout en préservant le budget de la collectivité. Le gouvernement souhaite aujourd’hui poursuivre sa politique de lutte contre les méfaits du tabagisme en proposant une nouvelle augmentation des taux du droit de consommation sur les cigarettes et le tabac à fumer."

Quelques lignes plus loin, le document cite des rapports d'expert selon lesquels : "une politique de lutte anti-tabac est efficace en terme de santé publique si le relèvement des prix s’effectue de manière rapide et substantielle." Louise étouffe un rire. La trentenaire balaie cet argument : "Le gouvernement a juste besoin de sous, ils augmentent les taxes, ce n'est pas pour notre santé." Cette mesure fiscale contribuera au financement de la politique de solidarité.

Assis à l'entrée du marché, Heioro roule une cigarette. L'homme de 75 ans fume "depuis au moins 40 ans". Sa consommation est de deux paquets de tabac à rouler par semaine. L'ancien est prêt à payer le prix fort pour sa dose de tabac journalière. "Je sais qu'il faut que je réduise ma consommation, mais ce n'est pas à cause du porte-monnaie, c'es plutôt à cause de ma santé…", expose t-il avant de se tourner pour tousser. En ce qui concerne les jeunes, Heioro doute de l'effet dissuasif du prix. "Ce n'est pas en augmentant le prix des cigarettes que les jeunes vont arrêter de fumer, il faut trouver un autre moyen." Diane, 29 ans et fumeuse depuis ces 16 ans, conforte ce point de vue : "J'ai toujours connu des augmentations. Je pense que l'administration a fait en sorte que l'on s'habitue à ces changements."

En ville ou dans les îles, la cigarette, roulée ou à rouler, a pris ses quartiers depuis des années. Au 1er avril, les consommateurs feront face à la plus forte augmentation jamais connue. Peut-être celle-ci aura-t-elle au moins la vertu de dissuader les jeunes non fumeurs de goûter à la cigarette.

"Cette mesure va en tout cas permettre de dissuader les jeunes de commencer."

Trois questions à Jacques Raynal, ministre de la Santé.

Pourquoi augmenter les taxes sur le tabac ?
Cette augmentation des prix se fait partout dans le monde. Un des moyens de faire baisser la consommation est de responsabiliser les gens par le portefeuille. Cela devait aussi marcher en Polynésie française. Bien sûr, cette mesure qui vise à augmenter les prix a ses limites. Il n'est pas possible d'augmenter les prix en permanence. On ne peut pas mettre le paquet à 10 000 francs.

Pensez-vous que cette mesure va vraiment inciter les gens à arrêter ?
Il est difficile de faire arrêter les gens qui fument depuis longtemps. Cette mesure va en tout cas permettre de dissuader les jeunes de commencer. Ce qui est important aujourd'hui pour lutter efficacement contre ce phénomène est de savoir pourquoi ils se mettent à fumer. Nous avons créé récemment un comité de prévention qui va donner des pistes de réflexion : mettre l'accent sur l'activité physique et sportive ou encore donner des conseils pour éviter le tabac.

Ne craignez-vous pas que l'augmentation des prix incite les fumeurs à aller vers les cigarettes ou le tabac moins cher, et donc parfois plus nocif ?
J'ai demandé à ce qu'on me donne des arguments de ce côté-là avant que l'on ne prenne des mesures. On ne peut pas supprimer un tabac comme ceci sans faire d'études. Tout comme on ne peut pas supprimer le tabac tout court.

"Une grosse fumisterie"

Du côté de fournisseurs, très peu ont souhaité s'exprimer sur le sujet. Ceux qui l'ont fait, tiennent à rester anonymes. Aujourd'hui, trois entreprises se partagent le marché d'importation des cigarettes et du tabac. Pour l'une d'entre elles, cette nouvelle mesure fiscale n'est qu'une "grosse fumisterie". "Le gouvernement a besoin de gagner de l'argent et doit trouver le moyen de le faire. Augmenter le prix du tabac ne fera qu'amener les gens qui ont peu de moyens vers un tabac à rouler plus nocif." En Polynésie française, le tabac à rouler de la marque néerlandaise Bison est en vente alors que celui-ci est interdit en métropole. Selon une étude de Alliance française contre le tabac publiée en 2013 : "En effet, la nicotine et le goudron libéré dans sa fumée atteignent des taux extrêmement élevés, comme l’avait notamment montré l’étude réalisée par le Laboratoire National d’Essais de Paris (LNE), à la demande du Comité polynésien de la Ligue nationale contre le cancer"

Les dispositifs pour arrêter

Pour les fumeurs qui cherchent à arrêter de fumer et qui ont besoin d'aide, plusieurs moyens existent :
- rencontrer un professionnel de santé : Auprès du médecin traitant, du pharmacien, ou encore du centre de consultation spécialisé en tobaccologie et alcoologie de Polynésie française. "Certains ont besoin d'un soutien pour les accompagner, explique Marie-Françoise Brugiroux, médecin chef du centre de consultation spécialisé. Les consultations aident à l'arrêt tabagique."

- Un kit pour arrêter de fumer : destiné à tous les professionnels de santé qui peuvent être amenés à aider les fumeurs en souffrance. Marie-Françoise Brugiroux et son équipe écument actuellement Tahiti et ses îles pour distribuer le kit et former les gens à son utilisation. Ce kit se compose de deux vidéos : l'une à destination des professionnels de santé et la deuxième des patients ainsi que deux brochures qui distillent des conseils et différentes informations. "Dans notre service, nous avons de plus en plus de personnes qui viennent nous demander de l'aide pour arrêter de fumer. C'est une des raisons pour lesquelles nous avons décidé de mettre en place ce kit." Sa distribution devrait être finalisée en fin d'année.


Rédigé par Amelie David le Vendredi 17 Mars 2017 à 05:00 | Lu 7873 fois