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Carnet de voyage - Le baron de Thierry, « roi » français de la Nouvelle-Zélande


Un portrait du baron de Thierry, roi de Nuku Hiva et souverain de la Nouvelle-Zélande. Lors de son passage à Panama, il monta un projet de canal, devant relier l’Atlantique au Pacifique.
Un portrait du baron de Thierry, roi de Nuku Hiva et souverain de la Nouvelle-Zélande. Lors de son passage à Panama, il monta un projet de canal, devant relier l’Atlantique au Pacifique.
NOUVELLE-ZELANDE, le 4 mai 2017. A première vue, il pourrait ne s’agir que d’un simple original un peu mégalo. Ce qu’était sans doute le personnage que nous allons évoquer dans les lignes qui suivent. Mais compte tenu du contexte dans lequel il prit crânement possession de la Nouvelle-Zélande, il contribua largement à décider la Grande-Bretagne à mettre la main sur ce pays pourtant déclaré indépendant par les Anglais eux-mêmes.

De parents exilés en Angleterre à cause de la Révolution française naît, en 1794, le petit Charles Philippe Hippolyte de Thierry. Son enfance sera celle d’un fils de noble sans le sou, le pater familias finissant même, un beau matin, par atterrir dans une prison pour cause de dettes. Charles, rebelle, répète dès sa prime adolescence qu’il aura sa revanche sur le sort s’acharnant sur sa famille et que, mieux même, il modifiera la face du monde !

Musicien, officier, diplomate…

Il apparaît sur la scène internationale à vingt ans, lors du congrès de Vienne qui partage l’Europe au terme des guerres napoléoniennes. Joueur de harpe et vaguement diplomate, il se fait expulser d’Autriche pour son inconduite envers une respectable dame qu’il séduit. 1m70, cheveux châtain, visage ovale, barbe soignée, il plait aux femmes et s’en retourne en Angleterre où il devient officier de cavalerie au 23e régiment de dragons légers. Mais la discipline militaire ne lui convient guère ; après avoir pris le temps d’écrire un roman, « Isabelle », il quitte l’armée ; profitant de sa double nationalité, Français et Anglais, il devient attaché à l’ambassade de France à Londres et finit par s’installer à Paris, son rêve. A 24 ans, il a un passeport diplomatique en poche, mais les choses ne vont pas assez vite à son goût : il démissionne et devient prof’ de musique en Angleterre

Des Maoris à Cambridge !

L’archevêque de Gloucester a une fille pas trop mal de sa personne, le baron l’épouse, se convertit pour devenir anglican et entame des études de théologie, puis de droit à Cambridge. C’est là que sa vie va basculer : dans cette ville universitaire, il a un choc lorsqu’il rencontre deux chefs maoris de l’île du nord de la Nouvelle-Zélande, Hongi Hika et Waikato. Ils sont arrivés en Grande-Bretagne à bord du baleinier « New Zealander », accompagnés par le pasteur Thomas Kendall, missionnaire de la Church Missionnary Society à la Baie des îles. Un « hongi » plus tard (le salut maori, fait en se frottant les nez), de Thierry s’enflamme, poussé il est vrai par Kendall. Charles lui verse pour 800 à 900 livres d’argent et de marchandises diverses afin d’acheter des terres dans l’Hokianga (selon Kendall, qui flatte le baron, il verse de quoi acquérir toute l’île du Nord).

Le 7 août 1822, Kendall revient en Nouvelle-Zélande et établit un titre de propriété et un contrat, portant sur l’achat de 40 000 acres, soit la bagatelle de 875 km2 de terres dans l’Hokianga. Pas bête et magouilleur, le pasteur ne paye à trois chefs de la région que 36 haches pour le terrain compris entre Mangungu et Rangiahua, sur la rivière Waihou. Pas sûr que les vendeurs, Mudi Wai, Eruera Maihi Patuone et Tamati Waka Nene aient bien compris la signification de l’échange ; toujours est-il que de Thierry sollicite un prêt de 8 000 livres pour commencer la colonisation. Mais le prêt lui est sèchement refusé par le Colonial Office à Londres. Furieux, de Thierry en conclut que la Grande-Bretagne n’exerce aucun contrôle sur la Nouvelle-Zélande et décide dont d’en faire une colonie à son nom. Londres sourit et ne lui prête pas une livre.

Chou blanc en Hollande et en France

De Thierry part en Hollande et essuie un nouveau refus malgré une surenchère de sa part, puisqu’il propose de donner toute la Nouvelle-Zélande aux Hollandais, pourvu qu’ils l’y nomment vice-roi. Beaucoup d’agitation et de dépenses pour rien ; comme son père, plus tôt, de Thierry atterrit en prison pour dettes. Sa famille, qui a ouvert une pension à Bruxelles, paye et lui obtient un passeport français au nom de Charles Thierry, ce qui lui permet de se réfugier à Paris avec sa femme et ses deux enfants. De sang bleu, il est présenté à la cour du roi et offre bien entendu ses terres à la France pour qu’elle en fasse une colonie dont il serait le gouverneur. Du 21 avril au 27 juillet 1825, il multiplie les démarches mais fait encore chou blanc.

Il se démène alors pour se faire une situation et crée, en association avec un Anglais, Baker, le Grand Bazar. Mais Charles étant plus intéressé par la Nouvelle-Zélande que par les affaires, le Grand Bazar fait faillite le 10 juillet 1826. De Thierry, sentant venir le désastre, avait eu le temps de fuir en Angleterre, sans penser que Baker, avant de partir aux Etats-Unis, finirait de piller la société. Fou de rage, de Thierry met les voiles pour le Nouveau Monde et disparaît de la circulation, à la recherche de Baker.

Roi de Nuku Hiva

En 1832, de Thierry (qui n’a jamais retrouvé Baker) réapparaît pour s’embarquer à destination du Brésil, ayant en tête de se créer un royaume pour lui seul (tout en gardant en mémoire ses terres kiwies). En 1827, Dumont d’Urville fait une escale à la Baie des îles où Kendall lui confirme que de Thierry possède 14 000 arpents ; mais Dumont d’Urville juge ridicules les prétentions au titre de roi de ce baron de Thierry.

En 1830, ce dernier navigue toujours, mais dans la Caraïbe : Guadeloupe, Martinique... Pour vivre, il joue de la harpe et finit par se faire financer, à Pointe-à-Pitre, par un groupe d’amis, son voyage jusqu’au Panama (atteint en décembre 1834) et en Nouvelle-Zélande.

Il embarque en juin 1835 sur un bateau américain à destination de Tahiti, mais il interrompt son voyage aux îles Marquises. A Nuku Hiva, il se fait proclamer « roi » de l’île ; son règne est très court puisqu’il arrive à Tahiti en août 1835 (il ne retournera jamais aux Marquises). A Papeete, de Thierry ne perd pas de temps et recrute des hommes, notamment des militaires pour constituer sa garde royale. Le capitaine Fitzroy, en escale à Papeete, le traite d’imposteur, mais sa grandeur a de l’entregent puisque le même Fitzroy est expulsé par la reine Pomare à la demande du baron « roi ».

Des canons, des fusils et des soldats

Le 9 décembre 1835, le brick américain « Charles Dogget » ancre à la Baie des îles, porteur d’une lettre qui va semer la consternation : de Thierry annonce sa venue prochaine, avec des navires de guerre, des canons, des fusils et des soldats, pour prendre possession de son royaume. Missive signée « Charles, baron de Thierry, chef souverain de la Nouvelle-Zélande et roi de Nuku Hiva ». Evidemment, les Anglais sont furieux et James Busby, premier résident de Sa Majesté en Nouvelle-Zélande, monte colons et Maoris contre ce prétendu roi de pacotille. Busby demande même une aide militaire à Bourne, gouverneur de la Nouvelle-Galles du Sud, mais celui-ci la lui refuse.

Le 28 octobre 1835, Busby signe, avec 44 chefs maoris du nord (c’est très peu), un document proclamant l’indépendance de la Nouvelle-Zélande, placée sous la protection du bon roi d’Angleterre, Williams IV. Parmi les chefs signataires, un certain Waikato, qui confirme que les haches reçues de Kendall n’étaient qu’une avance, en aucun cas un paiement pour une vente ferme.

La vente de ses terres déclarée nulle !

Après bien des tribulations, le baron, sa famille royale, sa cour et sa garde quittent finalement Tahiti, puis Sydney le 22 octobre 1837 à bord du « Nemrod » pour l’Hokianga ; le drapeau blanc et cramoisi du baron flotte sur l’estuaire de l’Hokianga le 4 novembre 1837, salué par la batterie de canons du village maori Te Horeke. Au plus vite, on débarque colons, soldats, chèvres, cochons, outils. Le baron harangue ses troupes et surtout les Maoris du voisinage et explique ses ambitions. Les Maoris ne bronchent pas, surtout intéressés par la blondeur de la baronne Emilie. Le 12 novembre 1837, de Thierry s’installe sur une colline baptisée « Mont Isabelle ». Il pourrait triompher, mais en réalité, il est perclus de dettes, sans moyens à hauteur de ses ambitions et sans force armée. En plus, malgré son statut d’anglican, il est accusé par les pasteurs de la région d’être un papiste catholique. Ces mêmes pasteurs, hystériquement hostiles à ce Français, parviennent même à faire déclarer à Tamati Waka Nene et Eruera Patuone que la vente des 40 000 acres est nulle ! Or Kendall, le pasteur à l’origine de la vente, est mort. C’est, pour de Thierry, le début d’interminables procédures pour faire reconnaître ses droits. En fait, sa terre a déjà été revendue et finalement, il ne reçut que 1 000 acres (1 500 autres un peu plus tard) dans l’Hokianga, mais il dut pour cela abandonner toute revendication de souveraineté.

Pauvre, isolé et harcelé

Petit à petit, ses employés abandonnent leur baron fauché, plus seul que jamais. Désespéré, il se tourne alors vers la France pour soutenir son Etat naissant et sollicite un prêt de 500 000 F remboursable en cinq ans. Demande classée sans suite. A Waihou, isolé avec sa famille et quelques derniers fidèles serviteurs, de Thierry est harcelé par les Maoris et les colons chauffés à blanc par les pasteurs. Il vit cerné par ses ennemis, sans ami, sans soutien, sans confort, pour tout dire dans la misère… Même son frère, François de Thierry, qui remue ciel et terre à Paris, ne parvient à aucun résultat alors que, dans le même temps, le journal anglais The Times fait les louanges de cet entreprenant aventurier.

Finalement, c’est du ciel que viendra une aide en la personne de Monseigneur Pompallier, évêque de Maronée, en charge de la Nouvelle-Zélande, qui arrive à Hokianga le 10 janvier 1838. Le 13, il célébra la première messe catholique en terre kiwie, mais il resta lui aussi bien seul et sans moyen dix-sept mois dans l’Hokianga. Recevant enfin des renforts en prêtres et des fonds, l’évêque décida d’aller s’installer au cœur des terres « pasteurisées », à Kororareka (actuelle Russell), à la Baie des îles.

Des prétentions « absurdes »

Dumont d’Urville rencontra de Thierry et reconnut ses mérites, mais ses conclusions mirent en évidence « ce qu’il devait y avoir d’absurde dans les prétentions d’un individu qui se disait possesseur de toute la Nouvelle-Zélande n’ayant acheté que quelques arpents de terre d’une seule tribu ».
La messe était dite pour le baron français qui, pourtant, faillit bien intéresser la Belgique à son projet de colonisation.

Le traité de Waitangi, signé le 6 février 1840, mit définitivement fin à ses espérances ; la Grande-Bretagne avait réussi à faire main basse sur un pays qu’elle avait pourtant proclamé elle-même indépendant moins de cinq ans avant. La situation se tendit peu après, car les Maoris entrèrent en guerre contre les colonisateurs et, compte tenu des troubles et de la violence qui s’installaient dans la région, Charles de Thierry et toute sa famille (sauf un fils marié à une Maorie) embarquèrent en mars 1845 à bord du « Sir John Franklin » et quittèrent définitivement l’Hokianga après huit ans de vain travail. C’en était fini du rêve français ; le drapeau bleu et cramoisi du « roi » fut brûlé dès son départ…

Daniel Pardon

Les armoiries du « roi » français de la Nouvelle-Zélande, qui ne fut jamais vraiment pris au sérieux.
Les armoiries du « roi » français de la Nouvelle-Zélande, qui ne fut jamais vraiment pris au sérieux.

Californie, Hawaii et retour à Auckland

Réfugié à Auckland, devenue la capitale de la Nouvelle-Zélande après la mise à sac de Kororareka, la famille de Charles de Thierry survécut très modestement avant de s’embarquer en 1850 pour participer à la ruée vers l’or en Californie. Mais manier la barre à mine était trop difficile, de Thierry regagna San Francisco, puis vint tenter sa chance à Pitcairn, avant de finalement regagner Auckland (grâce à un petit travail qui lui fut fourni à Honolulu, au consulat de France, en plus des leçons de musique qu’il dut donner pour survivre dignement). Le consul tombé malade, c’est de Thierry qui hérita de la charge. Malheureusement, dans une affaire de succession, le baron se montra, semble-t-il, trop gourmand. A sa demande d’obtenir le même poste en Nouvelle-Zélande, il reçut de la Chancellerie une réponse négative.

Ulcéré, de Thierry « piqua dans la caisse » du consulat mais avoua. Il se défendit bien, certes, et put même sauver sa tête en restant en poste au consulat, sous l’autorité d’un autre consul que lui, mais il refusa cette rétrogradation avec orgueil et partit à Auckland, en renouvelant toutefois (par courrier à Paris) sa demande d’un poste de consul. Avis négatif.

Deux années à Honolulu avaient fini de le « griller » auprès des autorités françaises.

Il finit sa vie à Auckland, comme accordeur de pianos et professeur de musique. Veuf, il se rapprocha de Mgr Pompallier, installé lui aussi à Auckland, écrivit une autobiographie dans laquelle il se plaça en colonisateur de la Nouvelle-Zélande. Réclamant toujours ses 40 000 acres de l’Hokianga, il reçut du gouvernement britannique 106 acres de terre. Il se lança alors dans la culture du phormium (sorte de lin) tout en continuant à donner des cours de musique.

Détestant les Anglais, il écrivit un long poème épique racontant l’invasion de l’Angleterre par la France.

Une soudaine paralysie le frappa. A minuit, le 8 juillet 1864, âgé de 71 ans, il rendit son dernier soupir, victime d’une rupture d’anévrisme. Il fut enterré au cimetière de Grafton, à Auckland, auprès de sa femme Emilie, de sa fille Isabelle et de son fils William. Il laissa cinq autres enfants qui tentèrent, en vain, de revendiquer sinon les terres de leur père, du moins une compensation financière. En vain…

En décembre 1933, la baronne Mary Jane de Thierry, décéda à l’âge de 100 ans. Elle était la belle-sœur du baron et fut la dernière à être enterrée à ses côtés. Mais la construction d’une route obligea à la destruction des tombes, les dépouilles de la famille de Thierry reposant à Auckland dans le « general Anglican Memorial ».
En décembre 1933, la baronne Mary Jane de Thierry, décéda à l’âge de 100 ans. Elle était la belle-sœur du baron et fut la dernière à être enterrée à ses côtés. Mais la construction d’une route obligea à la destruction des tombes, les dépouilles de la famille de Thierry reposant à Auckland dans le « general Anglican Memorial ».

Un extrait du manuscrit du baron de Thierry, dans lequel il se met en scène comme le véritable colonisateur de la Nouvelle-Zélande.
Un extrait du manuscrit du baron de Thierry, dans lequel il se met en scène comme le véritable colonisateur de la Nouvelle-Zélande.

L’évêque catholique Jean-Baptiste Pompallier fut le premier à occuper cette fonction en Nouvelle-Zélande. Il passa 17 mois dans l’Hokianga, proche de Charles de Thierry qu’il retrouva à Auckland à la fin de sa vie.
L’évêque catholique Jean-Baptiste Pompallier fut le premier à occuper cette fonction en Nouvelle-Zélande. Il passa 17 mois dans l’Hokianga, proche de Charles de Thierry qu’il retrouva à Auckland à la fin de sa vie.

Après la prise de possession de la Nouvelle-Zélande, des guerres sanglantes opposèrent les Maoris entre eux et les Maoris aux Anglais. Ce climat de violence obligea de Thierry à quitter ses terres et donc son royaume.
Après la prise de possession de la Nouvelle-Zélande, des guerres sanglantes opposèrent les Maoris entre eux et les Maoris aux Anglais. Ce climat de violence obligea de Thierry à quitter ses terres et donc son royaume.

Rédigé par Daniel PARDON le Jeudi 4 Mai 2017 à 16:10 | Lu 1942 fois
           



Commentaires

1.Posté par Jérôme Mainguet le 04/05/2017 19:06 | Alerter
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Passionnante évocation d'un destin ambitieux,hasardeux et unique. Merci Daniel Pardon pour ce superbe article, qui nous change un peu du quotidien !