Avant-première émouvante à Tautira


Retrouvailles à Tautira pour une partie de l’équipe du film “Rāhui, le lagon en partage”. Crédit : Anne-Charlotte Lehartel.
Tahiti, le 14 septembre 2025 – Après une année de tournage entre Tahiti et Bora Bora, le documentaire “Rāhui, le lagon en partage” a été présenté en avant-première au village de Tautira. Enthousiastes, les pêcheurs du Fenua ‘Aihere et membres du comité de gestion de la zone de pêche réglementée espèrent que le fim aura “un impact auprès du public”, localement et à l’international.

 
Samedi soir, les participants au documentaire “Rāhui, le lagon en partage” s’étaient donné rendez-vous à la paroisse catholique de Tautira pour une projection en avant-première. Pendant 52 minutes, on y découvre plusieurs membres de la communauté de Tautira, acteurs de la zone de pêche réglementée (ZPR) instaurée en 2018. En parallèle, on suit des habitants de Bora Bora impliqués dans la création de leur propre projet de préservation des ressources marines. Entre ces moments de vie, des témoignages de scientifiques locaux viennent éclairer la réflexion autour du principe de rāhui. On retrouve également des élèves du collège de Taravao lors de scènes d’évocation faisant le lien entre les traditions ancestrales et ces initiatives durables contemporaines.
 

Des regards et des mots


Au terme de deux ans de travail, dont une année de tournage entre Tautira et Bora Bora, cette première diffusion publique était donc un moment fort pour l’équipe. “La première fois que je suis venue à Tautira, c’était en 2019 pour un autre film, et je rêvais de revenir pour ce nouveau projet, qui a une longue histoire”, confie Mélissa Constantinovitch, coréalisatrice avec Thomas Yzèbe. “On a noué des liens et c’était essentiel que les habitants de Tautira soient les premiers spectateurs. On a partagé tellement de moments ensemble. Ce film, ce sont leurs regards et leurs mots. Les enseignements du rāhui sont simples et universels, mais encore faut-il que les gens se mettent autour de la table et acceptent de discuter : c’est le message de ce film. Il y a une forme d’urgence alimentaire et on ne peut pas continuer à prendre sans en tirer des leçons.”
 
Entre les sourires, les larmes et les applaudissements, les protagonistes n’ont pas été déçus. L’émotion était à son comble pour Augustine Clark, pêcheuse dont le témoignage suit le fil de sa grossesse jusqu’à la naissance de sa fille. “C’était super ! C’est la première fois que je me vois comme ça : je n’ai pas l’habitude. On a pu faire passer des messages importants à retenir. Il faut maintenir le rāhui pour permettre aux poissons de se reproduire et pour que les générations futures puissent continuer à pêcher. Il ne faut pas oublier d’ouvrir de temps en temps”, a-t-elle remarqué, avant de poursuivre sa soirée en mer. La dernière ouverture du rāhui de Tautira a eu lieu en mars dernier pour quelques heures et uniquement dans deux des trois sous-zones.
 

​“Le rāhui, c’est vital”


Pilier du comité de gestion, Éric Pédupèbe transmet ses convictions à sa fille comme aux spectateurs : “Je pense que c’est un film qui va avoir un impact auprès du public. On ne peut pas mieux s’exprimer. Augustine, la pêche, c’est sa vie ! Ça lui permet de nourrir sa famille. Le rāhui, c’est vital : il y a de moins en moins de poissons, qui sont de plus en plus petits. C’est une petite zone qui est concernée et l’effet de débordement bénéficie à tous. On ne ferme pas pour embêter les gens, mais pour pouvoir encore manger demain.” 
 
“C’est un très bon film, j’aurais même aimé qu’il soit plus long !” s’est exclamé le maire délégué et président du comité de gestion de Tautira, Ueva Hamblin. “C’est une bonne chose d’avoir filmé une partie de la population de Tautira, surtout des pêcheurs du Fenua ‘Aihere. Nous avons la chance d’accueillir des jeunes du RSMA ce soir, donc j’espère que ça leur a permis de bien comprendre le rôle d’un comité de gestion et d’un rāhui. Ce n’est pas facile tous les jours : on reçoit régulièrement des plaintes pour braconnage, ce qui est frustrant pour ceux qui respectent. Mais je suis fier de dire que le rāhui est accepté par la majorité de la population de Tautira.” Une seconde zone de pêche réglementée est d’ailleurs en projet entre la mairie et l’école sur l’emprise de l’Aire marine éducative (AME), afin de tenter de repeupler ce secteur “désertique”. Sa mise en œuvre pourrait intervenir dès 2026.
 
Membre du comité de gestion du rāhui de Bora Bora, Tea Teupoohuitua tenait à être présente. Encore lycéenne pendant le tournage, elle est désormais étudiante en première année de licence Sciences de la vie à l’université de la Polynésie française (UPF). “Je voulais vraiment découvrir le film auquel on a participé. C’est encore plus fort que ce à quoi je m’attendais ! Je veux perpétuer ce que nos ancêtres ont toujours partagé avec nous. J’ai hâte de voir les résultats”, se réjouit-elle. Venu assister à la projection, le ministre des Ressources marines, Taivini Teai, a confirmé que la mise en place du rāhui de Bora Bora venait d’être actée. Par ailleurs, suite à la conférence des Nations Unies sur l’Océan, en juin dernier, des fonds issus d’organisations non-gouvernementales seront alloués en faveur de la gestion des aires marines protégées polynésiennes ; une annonce devrait intervenir à ce sujet dans les prochains jours.
 

Prochaine étape, le 5 novembre


Le documentaire “Rāhui, le lagon en partage” sera diffusé sur Polynésie La 1ère, le mercredi 5 novembre, en première partie de soirée. Les voix de Tautira et Bora Bora seront entendues au-delà du Fenua, puisque qu’une diffusion nationale sur France 3 est prévue avant la fin de l’année. Corinne Pouplard, productrice de Stories&Co, a annoncé que le film allait continuer à voyager : traduit en anglais, il sera diffusé sur Air Tahiti Nui en 2026. Il est aussi inscrit dans plusieurs festivals en Nouvelle-Zélande, aux États-Unis ou encore au Canada, sans oublier le Festival international du film documentaire océanien (Fifo). “Ce n’est que le début.”
 

Synopsis

“Quand les poissons se raréfient et que le lagon s’essouffle, une ancienne sagesse polynésienne resurgit : le rāhui, l’art d’interdire temporairement un espace pour permettre à la nature de se régénérer. À Bora Bora, où le tourisme exerce une forte pression, un rāhui pourrait répondre à l’urgence, à condition que tous acceptent de céder une part du lagon. À Tautira, il a déjà prouvé son efficacité, mais la question de sa réouverture à la pêche soulève de nouveaux équilibres à trouver. Chaque rāhui se construit alors au fil des discussions et autant de compromis, dessinant un modèle inspirant face à la crise écologique.”

Rédigé par Anne-Charlotte Lehartel le Dimanche 14 Septembre 2025 à 16:18 | Lu 3585 fois