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Au procès Barbion, la « société polynésienne avide de justice »


Tahiti, le 25 janvier 2020 - L'avocat général a requis vendredi en début d'après-midi la confirmation des lourdes peines de prison ferme avec mandats de dépôt prononcées en première instance contre l'ex-institutrice, Sabine Boiron, l'entrepreneur, Thierry Barbion, et l'ancien gérant de bar, Marc Ramel, lors de leur procès en appel. Des amendes de deux à six millions de Fcfp ont également été demandées au surplus. La cour d’appel rendra sa décision le 12 mars.
 
Stupeur pour les avocats de la défense au deuxième et dernier jour du procès en appel de l’ancienne institutrice Sabine Boiron, du promoteur Thierry Barbion et de l’ancien propriétaire du Ute Ute, Marc Ramel. Au terme d’un long réquisitoire, l’avocat général a requis vendredi la confirmation des peines prononcées à l’encontre des trois prévenus lors de leur procès en première instance.
 
Le 29 août dernier, Sabine Boiron, renvoyée pour proxénétisme et infractions liées aux stupéfiants, avait en effet été condamnée à sept ans de prison ferme, Thierry Barbion, mis en cause pour recours à la prostitution de mineure et corruption de mineures, à quatre ans de prison ferme et Marc Ramel, renvoyé pour atteinte sexuelle sur mineure de moins de 15 ans et infractions liées aux stupéfiants, à quatre ans de prison ferme. Toutes ces peines avaient été assorties de mandats de dépôt qui ont de nouveau été demandés vendredi par l’avocat général, et qui a également requis des amendes allant de deux à six millions à l’encontre des trois prévenus.

Faiblesse de jeunes filles

Lors de son réquisitoire, le représentant du ministère public n’a pu que « constater » qu’il était « bien rare qu’une affaire de mœurs fasse autant parler et amène autant de controverses, de polémiques ». Et ce constat, selon l’avocat général, est lié à « la position des prévenus dans la société ». A celle de Sabine Boiron tout d’abord, « une ex-institutrice à laquelle la société a pu confier ses enfants pour les éduquer et qui, en réalité, toxicomane et profitant à titre personnel de la faiblesse de jeunes filles ». A celle du promoteur Thierry Barbion ensuite, un « entrepreneur popa’a qui a brillamment réussi, propriétaire de nombreux hôtels de luxe, qui a épousé une reine de beauté » et qui, « en raison de ses apports à l’économie de la Polynésie, a pu être considéré comme intouchable ». A celle de Marc Ramel enfin, « un patron de bar farani » qui a « profité de ses connaissances pour consommer des jeunes filles polynésiennes et notamment des mineures ».
 
Évoquant un procès « emblématique », l’avocat général a affirmé que ce tableau, les faits et la personnalité des prévenus, ne pouvait que « choquer et faire réagir une société polynésienne avide, à juste titre, de justice et d’égalité contre l’exploitation du peuple par les plus puissants et pour plus de protection des plus vulnérables ».

« Vérification sérieuse »

Lors de ce réquisitoire coup de poing, le représentant du ministère public s’est attaché à strictement encadrer les faits reprochés aux trois prévenus. Thierry Barbion, auquel il est reproché d’avoir eu trois relations sexuelles avec une mineure prostituée de 17 ans, aurait dû procéder à « une vérification sérieuse » quant à la minorité de la victime. Marc Ramel, poursuivi pour avoir entretenu une relation avec une mineure de 13 ans, ne pouvait, quant à lui, ignorer que cette dernière, au regard de son physique et de ses traits encore enfantins, était loin d’être majeure. Et Sabine Boiron, qui a prostitué des mineures en échange d’ice ou d’argent, était bien « indifférente » au sort des victimes qu’elle laissait parfois avec des hommes « peu recommandables ».
 
A l’heure des plaidoiries de la défense, Me Jourdainne, conseil de Marc Ramel, a soutenu que son client s’était fait « arnaquer » : « Il a toujours indiqué qu’il avait été trompé sur l’âge de la mineure et que son jugement avait été brouillé par cette dernière ainsi que par d’autres personnes ». Et l’avocat en voulait pour preuve que la mineure concernée n’a pas « aujourd’hui le sentiment d’avoir été abusée ».

« Invasion de la morale »

Pour la défense du promoteur, Thierry Barbion, qui a toujours assuré qu’il pensait la victime majeure, Me Quinquis a vertement tancé « l’invasion de la morale » dans ce procès : « Aristote distinguait la vertu morale de la justice. Lorsque la politique entre dans un prétoire, la justice en sort et c’est peu ou prou la même chose pour la morale ». Pour l’avocat, il est absolument « surréaliste » de requérir quatre ans de prison ferme assortis d’un mandat de dépôt pour « un recours à la prostitution de mineur » et « deux faits d’exhibition sexuelle ».
 
En clôture des plaidoiries, l’avocat de Sabine Boiron, Me Des Arcis, s’en est tout d’abord pris à Thierry Barbion, le « DSK des îles » pour ensuite rappeler à la cour d’appel qu’elle se devait d’« individualiser les peines » : « Il vous faudra aménager la peine en fonction de la personnalité et, à l’époque des faits, ma cliente se trouvait dans un état de faiblesse et de dépendance qu’il était facile de capter ».

« Honneur sali »

Avant que la cour d’appel ne se retire et comme il en est d’usage, les trois prévenus ont été appelés à s’exprimer une dernière fois. Sabine Boiron, plus sincère et visiblement plus à l’aise dans ce procès qu’en première instance, a évoqué son « nom » et son « honneur » salis depuis bientôt dix ans. L’ancienne institutrice, mère de deux enfants en bas âge, a demandé « pardon » pour ses actes en implorant la justice de lui « rendre ses enfants »
 
Après avoir demandé à la cour d’avoir une « appréciation loyale et mesurée du dossier », l’homme d’affaires Thierry Barbion a curieusement évoqué le « fléau de l’ice » qu’il faut « éradiquer » afin de « protéger la jeunesse ». Dernier à s’exprimer, Marc Ramel a « réitéré » sa « demande de clémence ».
 
La cour d’appel rendra sa décision le 12 mars.

Une convention qui jette le trouble

C’est un document qui aura été évoqué durant les deux jours du procès qui s’est achevé vendredi. La convention d’indemnisation signée entre le conseil des parties civiles, Me Jacquet, et l’un des avocats de Thierry Barbion, en septembre dernier et par laquelle le promoteur s’engageait à indemniser trois victimes à hauteur d’un million de Fcfp chacune, s’est invitée à l’audience de manière parfois brutale. Cités en qualité de témoins par le parquet, les trois jeunes filles concernées ont eu quelques difficultés à expliquer pourquoi elles avaient accepté cette tractation. Quand l’une a indiqué qu’elle ne savait même pas qu’elle avait un avocat et était donc représentée dans cette affaire, l’autre s’est étonnée que la mineure qui avait eu des rapports sexuelles avec Thierry Barbion ne soit pas davantage indemnisée. 
 
Cette convention, qui fait actuellement l’objet d’une enquête préliminaire, a été durement attaquée par le conseil de Sabine Boiron lors de sa plaidoirie. Me Des Arcis a ainsi affirmé que le conseil de la seule partie civile du dossier aurait dû convaincre les autres jeunes filles de se constituer partie civile et non d’initier une convention d’indemnisation entre deux procès. 
 
Me Jacquet, le conseil de la partie civile qui a initié la convention, s’est quant à lui vivement défendu lors de sa plaidoirie car il avait « le sentiment qu’il était lui-même sur le banc des accusés » : « Je suis injustement soupçonné que quelque chose que j’ignore mais j’ai fait cela pour que les victimes soient indemnisées ». Rappelons que, dans le cadre de cette enquête préliminaire, les fonds versés par Thierry Barbion pour indemniser les victimes, ont été bloqués par le bâtonnier dans l’attente que l’UNCA (Union nationale des Caisses des règlements pécuniaires des avocats) rende son avis sur les modalités de la procédure.

Rédigé par Garance Colbert le Samedi 25 Janvier 2020 à 15:22 | Lu 6194 fois