Améliorer l’accès à la justice pour les Polynésiens


Tahiti, le 23 septembre 2025 - Une délégation composée du président Moetai Brotherson, du bâtonnier Yves Piriou, de la vice-bâtonnière Béatrice Eyrignoux et de Roland Lejeune et Cécile Moreau, de l’Apaj “Te Rama Ora”, association d’aide aux victimes, était entendue tôt mardi matin en visio-conférence par la commission de l’Assemblée nationale chargée de rendre un rapport sur “un accès à une justice adaptée aux besoins ultramarins”.
 

“Évaluer la mise en œuvre de la politique d’accès au droit et à la justice dans les territoires ultramarins et d’identifier les obstacles qui peuvent encore assurer l’égal accès de tous nos concitoyens au droit et à la justice.” C’est ainsi que se présente la commission d’enquête sur les dysfonctionnements obstruant l’accès à une justice adaptée aux besoins des justiciables ultramarins qui a débuté ses travaux il y a près de deux semaines maintenant à l’Assemblée nationale.
 
Mardi matin, c’est le cas spécifique de la Polynésie française qui a été étudié avec plusieurs intervenants polynésiens dont le président du Pays ou encore le bâtonnier Yves Piriou.
 
Dans une salle de commission vide où seul le président de cette instance, Davy Rimane, député de Guyane, a pris la parole, les intervenants ont parlé à tour de rôle pour brosser la réalité de l’accès à la justice des Polynésiens.
 
Plusieurs sujets ont été évoqués pendant cette audition d’une heure et demie, centralisant les problèmes en Polynésie française autour d’un facteur principal : l’aide juridictionnelle.
 
Pour Cécile Moreau, de l’Apaj “Te Rama Ora”, le plus gros chantier reste celui de la problématique des coûts de déplacement pour les professionnels de la justice, couplé à un autre problème qui est celui de l’aide juridictionnelle où, pour elle, “il y a une rupture d’égalité entre les citoyens polynésiens et les citoyens métropolitains”.
 
“Il est plus compliqué d’avoir accès à l’aide juridictionnelle ici”, a-t-elle expliqué. Aussi a-t-elle pointé du doigt “le barème de l’aide juridictionnelle” qui n’est pas indexé sur le coût de la vie alors qu’en France ce dernier est indexé sur le niveau d’aide perçu par le justiciable. Les aides directes étant restreintes au Fenua, il est difficile de définir l’aide aux personnes en faisant la demande. Un problème aussi pour les professionnels (huissiers, avocats, etc.) qui doivent se déplacer.
 
Toujours au rayon des déplacements d’ailleurs, la Polynésie n’étant pas dotée de régie d’avance “il est difficile pour les victimes de se déplacer à Tahiti”, a expliqué Cécile Moreau. “Avant, on détournait le système des évasans pour cela”, est-elle obligée de rappeler. “Les victimes sont moins facilement défendues dans les îles que les personnes mises en cause.”
 
Un problème qu’a partagé Maître Piriou qui est allé plus loin concernant la défense du barreau de Papeete. “Les frais de déplacement, les frais d’hébergement que les avocats doivent avancer… On vient d’avoir le remboursement de 2023. Un jour, on va arrêter, on va faire grève. On n’a pas vocation à financer de notre travail, de notre vie, de notre énergie, de notre santé, un service public défaillant.”

La méfiance envers la justice

S’éloignant quelque peu de la nature première de la commission qui doit s’attarder à lister les difficultés et évaluer l’accès au droit et à la justice dans les territoires ultramarins, les débats ont aussi tourné autour de plusieurs points spécifiques au territoire.
 
Ainsi, le président du Pays s’est-il arrêté sur les “contraintes géographiques, linguistiques et culturelles particulières” de la Polynésie française : “Quand vous êtes aux Marquises, vous ne parlez pas la même langue que si vous êtes aux Australes. Même si le français est la langue officielle, il y a une partie de la population qui ne la maîtrise pas. L’accès au droit n’est donc pas le même. Nul n’est censé ignorer la loi, mais quand on ne la comprend pas, c’est un peu difficile.”
 
Moetai Brotherson est revenu aussi sur le “rapport historique des Polynésiens face à la justice”. “La justice au départ, c’était le bras armé du colonialisme”, a-t-il lancé. “La justice, c’est celle qui pendant 30 ans n’a pas empêché les essais nucléaires ; c’est celle qui a jugé Pouvanaa a Oopa. Il y a une méfiance de la part d’une partie des Polynésiens.”
 
S’écartant définitivement du sujet du jour, le président du Pays conclura son intervention non plus sur la justice, mais sur le droit : “Le mariage pour tous, ça a été adopté à l’Assemblée nationale mais les Polynésiens eux-mêmes n’ont pas été consultés. Le débat s’est fait à Paris et la loi a été adoptée. C’est le bloc constitutionnel qui veut ça. Aujourd’hui il y a une partie des Polynésiens qui n’acceptent pas.” Une assertion aussi vraie dans toutes les régions de France et dans certains partis politique ; c’est ce qu’on appelle la démocratie : voter pour des représentants nationaux ou locaux qui prennent des décisions qui sont parfois contre nos propres choix ou convictions.
 
“Autre exemple : la consommation de la viande de tortue dans certaines îles. Depuis la convention de Washington, ratifiée par la France, la consommation, l’élevage le commerce sont interdits. Ces Polynésiens-là ne l’acceptent pas. C’est quelque chose qu’on leur impose et qu’ils n’acceptent pas. Ce sont des pans de la loi sur lesquels il ne faut pas s’étonner qu’il y ait des contrevenants, des oppositions.”
 
Enfin, revenant sur les problèmes de l’organisation de la justice au Fenua, Moetai Brotherson a interpellé l’Assemblée nationale sur les affaires de terre : “Il faudrait que l’État se penche sur le sujet des archives”, a-t-il demandé. “Jusqu’à présent, c’est la Polynésie qui gère les archives. La convention a pris fin et certains services n’acceptent plus d’accueillir les archives de l’État. Nous appelons de nos vœux que l’État mette les moyens pour gérer ces archives.”
 
De son côté, Maître Piriou a alerté sur le manque d’huissiers. “Nous n’avons plus d’huissiers dans les îles, c’est problématique”, a-t-il relevé. “En 2019, nous rencontrions la ministre Belloubet [ancienne Garde des Sceaux, NDLR], et rien n’a avancé depuis.”
 
Cécile Moreau quant à elle a demandé que soit étudiée la “télé consultation” en justice, de la même façon qu’elle est utilisée en santé.

Rédigé par Bertrand PREVOST le Mardi 23 Septembre 2025 à 18:07 | Lu 2948 fois