A 5 jours du référendum en N-Calédonie, ultimes meetings des deux camps


Nouméa, France | AFP | mardi 30/10/2018 - Drapeaux kanaks et chants à la gloire de la "Kanaky Nouvelle Calédonie" d'un côté, appel au "vivre ensemble" de l'autre: les deux principaux partis indépendantiste et non indépendantiste tenaient mardi leurs derniers meetings, avant le référendum sur l'indépendance dimanche. 

Toute la journée, plusieurs centaines de personnes ont participé dans une ambiance festive et combative à Nouméa au rassemblement final du FLNKS, qui croit dur comme fer à la victoire du oui à l'indépendance. Dans la soirée, le principal parti non-indépendantiste Calédonie Ensemble (droite modérée) a organisé à son tour sa dernière rencontre à l'université de Nouméa, devant environ 400 militants.

Après une campagne jusque-là apaisée entre les camps du oui et du non, le sénateur Pierre Frogier, président local du Rassemblement LR a jeté un peu d'huile sur le feu en annonçant qu'il demanderait, si le non l'emporte massivement dimanche comme le laissent entrevoir les sondages, l'annulation des deux autres scrutins qui peuvent être organisés d'ici à 2022, selon l'accord de Nouméa (1998).
Une demande qui a peu de chance d'aboutir, mais pourrait arcbouter le clan indépendantiste. 

L'accord de Nouméa avait été signé dix ans après ceux de Matignon, qui ont mis fin à plusieurs années de quasi guerre civile entre Kanaks et Caldoches ayant culminé avec la prise d'otage et l'assaut de la grotte d'Ouvéa en mai 1988, faisant au total 25 morts. Au terme de cet accord, 174.154 électeurs sont invités à se prononcer pour dire s'ils souhaitent "que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante".

Mardi, au centre d'activités Kowe-Kara, à la sortie de Nouméa, le drapeau kanak, une flèche faitière dans un soleil sur fond bleu, rouge, vert, est partout: sur les tee-shirts, accroché dans les cheveux des femmes. Sur une scène en plein air, des groupes de Kaneka, musique locale, mettent l'ambiance. Le titre "Pour la Kanaky je dis +oui+" remporte un franc succès.

Sur l'estrade, les principaux leaders des deux mouvances du FLNKS, l'Union nationale pour l'indépendance (UNI) et l'Union calédonienne (UC) se succèdent, sous une bannière "Oui à la pleine souveraineté Kanaky Nouvelle Calédonie".
  - Leçon de l'histoire - Roch Wamytan, chef du groupe UC-FLNKS et nationaliste au Congrès, dénonce, sous les vivats de la foule, "cet Etat qui s'accroche pour ne pas lâcher le dernier confetti de son empire". "On va gagner, il n'y a pas de raisons de douter, nous sommes arrivés au bout du combat", assure Charles Washetine, porte-parole et élu du Palika (Parti de libération kanak).

Des femmes, en robes traditionnelles aux couleurs vives, écoutent, assises sur des nattes. Marie, 64 ans, est "sûre qu'on va gagner". "Même si ça ne passe pas là, on recommence une deuxième fois, une troisième fois", insiste cette retraitée de la banque.

L'ambiance est beaucoup plus policée et encadrée au meeting de Calédonie Ensemble. Ici, pas de danse ni de chant, mais des intervenants qui défendent à tour de rôle "le destin commun" de la Nouvelle-Calédonie et la nécessité de ne pas créer plus de divisions au soir du 4 novembre.

"On a retenu la leçon de l'histoire, la leçon des événements (...) Dimanche il ne suffira pas de gagner, il va falloir être plus intelligent que ça et tendre la main", explique Philippe Michel, président de la Province sud.

Le meeting prend une tournure plus politique et agressive quand le député Philippe Gomès, président de Calédonie Ensemble, entre en scène. Il tacle les indépendantistes, dont le projet "est resté sur la base d'un logiciel des années 70 ou 80", et dont le discours, "pas à la hauteur des enjeux", oublie "le chemin accompli en trente ans".        

Mais il s'en prend encore plus vigoureusement à ses deux rivaux de droite - pourtant non indépendantistes -, Les Républicains Calédoniens et le Rassemblement LR, qui selon lui "vont +mettre la zone+ après le référendum avec leur propos électoralistes".
A la sortie, les militants ne retiennent que le discours sur le "vivre ensemble". "Ce qui nous pousse c'est la paix, je suis sereine, on va gagner", explique Nicole, une évangéliste de 51 ans, d'origine kanak. 

Les indépendantistes veulent aller "jusqu'au bout", les anti prônent le dialogue

Le député Philippe Gomes.
Dans des entretiens croisés avant le référendum dimanche sur l'indépendance de la Nouvelle-Calédonie, le patron de Calédonie ensemble (CE, droite modérée), principal parti non indépendantiste de l'archipel, le député Philippe Gomes (UDI) parie sur le "non" et prône le dialogue.  L'actuel président du groupe UC-FLNKS au Congrès, Roch Wamytan, réaffirme lui que les indépendantistes iront "jusqu'au bout" de l'accord de Nouméa de 1998 et demanderont, en cas d'échec, deux autres référendums d'autodétermination.
 
Q: Pensez-vous que la Nouvelle-Calédonie est prête pour l'indépendance ?
 
Philippe Gomes: Pas du tout. Sa population n'a pas la capacité de "vivre-ensemble" entre toutes les communautés sans le lien avec la France. Elle n'est pas prête parce que humainement et matériellement, elle n'a pas les moyens d'exercer les compétences régaliennes et enfin, elle n'est pas prête parce qu'elle a de nombreux défis à relever: défi éducatif - égalité scolaire pour tous -, défi social avec la réduction des inégalités de revenus, défi économique avec la réduction de notre dépendance à l'extérieur. L'apport financier de la France est aussi indispensable mais j'ai rarement utilisé cet argument durant la campagne pour ne pas véhiculer l'image d'une Calédonie dont l'attachement à la France ne serait que comptable.
 
Roch Wamytan : Bien sur qu'elle est prête. Nous avons mis 30 ans pour préparer les fondements d'un nouvel Etat. En 1958 (référendum sur la constitution de la Ve République, ndlr), nos anciens avaient déjà subi ce discours : "vous n'êtes pas prêts". Soixante ans après, on nous ressert la même sauce, il va falloir changer sinon on ne sera jamais prêts. Les bases du futur Etat "Kanaky Nouvelle-Calédonie" sont posées et maintenant, il faut y aller. Je pense que dimanche ça va être serré, ce sera kiffe kiffe même s'il a fallu durant cette campagne remuer le peuple kanak pour qu'il comprenne à quel point ce scrutin est important.
 
Q: Comment abordez-vous le lendemain du référendum ?
 
Philippe Gomes : Je l'aborde avec gravité parce que le résultat sera probablement sévère contre l'indépendance, sans doute sept Calédoniens sur dix voteront contre. Mais en ce qui nous concerne, quel que soit le résultat du référendum, nous serons autour de la table pour maintenir les liens d'un dialogue indispensable avec les indépendantistes. Je considère que l'organisation de trois référendum ne servirait qu'à creuser la tombe politique et économique du pays.
 
Roch Wamytan : Nous n'accepterons que de parler de l'accession à la pleine souveraineté, à l'issue des trois référendums. Nous irons jusqu'au bout de l'accord de Nouméa. Nous souhaitons discuter de l'indépendance avec l'Etat français, on ne discutera pas de quoi que ce soit d'autre. C'est une question de survie. Pierre Frogier (sénateur LR, ndlr) est pour le statu quo, c'est mortel et c'est le retour en arrière. Nous, on avance. La France aura sa place, l'Europe aussi. La richesse mondiale se crée ici dans la région Asie-Pacifique, comme l'a dit Emmanuel Macron (en visite en Nouvelle-Calédonie en mai 2018, ndlr). Il nous faut tirer avantage de cette position stratégique, pas uniquement au bénéfice de la France, nous serons en partenariat avec elle. 
 
Q: Le Premier ministre, Edouard Philippe, arrive le lundi 5 novembre à Nouméa. Qu'allez-vous lui dire ?
 
Philippe Gomes : Je vais lui dire qu'à Calédonie Ensemble, nous sommes convaincus qu'après la période un peu chaude qui risque de suivre le scrutin, on retrouvera collectivement le sens des responsabilités pour continuer à construire un pays. La venue du Premier ministre est un beau geste que la République fait à l'égard de l'archipel, dans lequel elle continuera à exercer une souveraineté refondée à partir du 4 novembre 2018.
 
Roch Wamytan : Je ne sais pas trop ce qu'il vient faire. Normalement, après ce type de consultation, on discute un peu plus tard. Là, ça va être un peu juste pour nous, pour lui donner nos analyses. Si c'est "non", je lui dirai qu'on poursuit l'accord de Nouméa. On est serein et on a tout fait pour que la campagne se passe bien. Ce sont les non indépendantistes, qui avaient peur. Il y a, parait-il, 300 gendarmes. Ils errent comme des âmes en peine, ils n'ont rien à faire.
 
Propos recueillis par Claudine WERY

le Mardi 30 Octobre 2018 à 05:00 | Lu 974 fois