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Technival élève des mouches à Paea


PAPEETE, le 24 octobre 2016 - Le projet d’élevage d’insectes de Technival "Rao Pua" vise, d’une part à traiter les tourteaux du territoire dont le volume ne cesse de croître et, d’autre part, à nourrir les poissons et crevettes de Polynésie. Lauréat du premier appel à projets d’économie circulaire lancé par l'Ademe et la Diren en 2015, ce projet traite des déchets, sans en produire.

Sur le site de l’Institut Louis Malardé de Paea, des mouches volent dans des volières drapées de blanc. Elles sont huit au total et peuvent contenir 6 000 individus chacune. Non loin des pièges attirent les insectes libres qui viennent déposer leurs œufs. Ailleurs, de petits bacs en plastique grouillent de larves à différents stades de vie. En somme, c’est tout le cycle des mouches qui s’enchaîne, maîtrisé, sous l’œil attentif de la société Technival et de ses partenaires : l’Institut de recherche pour le développement (IRD), l’Institut Louis Malardé (ILM), Tahiti Faahotu, l’Ademe, la Direction des ressources marines.

"Attention, ce ne sont pas n’importe quelle mouches mais des Black Soldier Fly ou BSF", précise Domenico Caruso, ingénieur de recherches à l’IRD, spécialiste de l’animal. "Les BSF sont des insectes qui consomment de la matière organique en décomposition et qui ont un intérêt économique" ajoute celui qui a inventé un brevet de production de mini-larves de l’espèce.

Les larves de la BSF ont un fort intérêt économique car elles constituent une réserve de protéines, elles sont notamment consommées par les poissons d’élevages, les crevettes, les poissons ornementaux mais aussi les cochons, les volailles... Elles sont par ailleurs de formidables machines à recycler les déchets. Autant d’avantages qui ne sont pas passés inaperçus chez Technival.

"Il y a quatre ans, l’Huilerie de Tahiti nous a contactés pour que nous réfléchissions à un moyen de traiter les tourteaux", se rappelle Jean-Paul Peillex, le directeur général de Technival. "Elle en produit de plus en plus. Elle en exporte une partie vers l’Australie et la Nouvelle-Calédonie mais il lui en reste toujours trop." Les tourteaux sont les résidus solides obtenus après extraction de l’huile de coco.

Une première solution a été avancée par l’entreprise spécialiste du traitement des déchets. "Mais cela n’a pas convenu, l’Huilerie pensait à un traitement plus noble que ce que nous proposions. Nous nous sommes tournés vers Tahiti Faahotu pour faire une deuxième offre." C’est alors que l’équipe a rencontré la BSF, ses larves et leurs potentialités.

Il a d’abord fallu maîtriser le cycle de reproduction et les conditions d’élevage. "Ce qui est fait" affirme le chef de projet Yann Vanizette. "Nous récupérons les tourteaux, les humidifions et les mettons à fermenter." Après un certain temps, une odeur caractéristique signale que les tourteaux sont prêts pour l’étape suivante.

Les tourteaux fermentés sont placés dans des pièges, des bacs de plastique équipés à mi-hauteur d’une grille sur laquelle est posée du carton troué. "Les BSF sont attirées par l’odeur et viennent déposer leurs œufs dans les cartons." Les œufs sont récupérés, déposés dans des bacs adaptés, pleins eux aussi de tourteaux. En décomposant les tourteaux, les œufs grandissent, se transforment en larves. À ce stade du projet, les larves continuent leur croissance (elles se transforment en nymphes qui deviennent des mouches) pour fournir l’élevage. À terme, une partie seulement des larves rejoindra les volières.

"D’ici quelques semaines nous allons passer à une nouvelle étape de tests. Il s’agira évaluer la valeur nutritive des larves", annonce Jean-Paul Peillex. "Nous savons que les poissons et les crevettes ont une appétence pour les larves de BSF mais nous ne savons pas si elles seront aussi nutritives que les autres produits du marché." Les tests seront réalisés par la Direction des ressources marines et par l’entreprise Tahiti Fish à partir de début 2017. "Ensuite nous aurons l’année pour finaliser le projet et constituer notre business plan."

En Polynésie, le besoin alimentaire de la crevetticulture et de la pisciculture est de 500 tonnes par an. Le projet Rao Puha espère satisfaire 20 à 30 % de ce marché. Ils entendent produire près de 120 tonnes par an à partir de 2018. Les résidus de tourteaux récupérés seront utilisés pour la fabrication de compost. "Il faut encore que nous trouvions le juste équilibre entre le nombre de larves et la quantité de tourteaux à mélanger au départ pour obtenir un résidu sec et utilisable. Mais ensuite nous aurons une filière à zéro déchet", résume Yann Vanizette.

Rendez-vous mercredi à l’ECT

Domenico Caruso : chercheur à l’IRD est l’inventeur d’un brevet sur la croissance des black soldier fly sur tourteaux de palme. Il donnera une conférence demain sur l’aquaculture. Il résume ainsi son intervention : "l’aquaculture est considérée comme l’une des quatre ressources primaires pour la nutrition humaine. Son futur dépendra de son développement durable et de sa capacité à minimiser et à compenser les impacts environnementaux engendrés. La contribution croissante de la part de l’aquaculture à la nutrition mondiale, surviendra essentiellement par l’intensification écologique des systèmes de production par : une politique d’insertion écosystémique, la valorisation des fonctionnalités écologiques des systèmes productifs, l’innovation et développement d’approches circulaires ou cradle to cradle et l’usage raisonné des ressources alternatives dont l’élevage des black soldier fly (BSF) en est un exemple éloquent et prometteur".

Le mercredi 26 octobre à 17 heures
À l’amphithéâtre de l’École de commerce de Tahiti à la Chambre de commerce, de l’industrie, des services et des métiers.



Rédigé par Delphine Barrais le Lundi 24 Octobre 2016 à 16:45 | Lu 3823 fois