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Marcel Tuihani dénonce : "On kidnappe la démocratie"


Marcel Tuihani a reçu la presse ce lundi matin avant le début de la séance dans l'hémicyle.
Marcel Tuihani a reçu la presse ce lundi matin avant le début de la séance dans l'hémicyle.
PAPEETE, le 18 avril 2016. Les élus territoriaux étaient, ce lundi, réunis en séance avec au débat une proposition de modification de différents articles du règlement intérieur de l'assemblée. Ces modifications présentées par le président de l'assemblée Marcel Tuihani, ont été sérieusement amendées par le groupe Rassemblement pour une majorité autonomiste (RMA). Sur l'un des amendements adoptés le président de l'assemblée a annoncé qu'il allait informer la Chambre territoriale des comptes.

La séance a été longue ce lundi matin à Tarahoi, mais menée tambour battant et d'une seule traite. Les élus ont quitté la salle des délibérations vers 14 heures. Toutefois, le débat quoique ferme et parfois intransigeant de la part du groupe Rassemblement pour une majorité autonomiste (RMA) est resté courtois, presque terne. Depuis la fin de la semaine dernière, pour contrer les envies d'ouverture de l'opposition au sein de l'assemblée territoriale, la majorité pro-Fritch avait déposé pas moins de 11 amendements pour détricoter les 25 articles de la proposition de délibération signée par le président de l'assemblée en personne.

Avant même le début de cette séance, le président de l'assemblée polynésienne avait tenu une conférence de presse en tout début de matinée pour expliciter, en avant-première, sa position quant à cette impressionnante liste d'amendements. "Ma déception est réelle. J'ai saisi à plusieurs reprises le bureau de l'assemblée sur ces questions, j'ai fait de la concertation, j'ai même vu les présidents des différents groupes à plusieurs reprises. C'est un travail de longue haleine pour faire évoluer notre institution" explique Marcel Tuihani (voir en interview ci-contre). Or, alors que le consensus semblait donc avoir été atteint -au moins de son point de vue-, le président de l'assemblée a découvert, jeudi dernier, à l'issue de la séance d'ouverture de la session administrative que onze amendements, signés par le RMA, venaient anéantir toutes ses tentatives d'ouverture vers l'opposition.

C'est depuis l'hémicycle que Marcel Tuihani a défendu ses propositions, mais sept articles de sa proposition de délibération, les plus emblématiques, n'ont pas pris la tournure qu'il souhaitait. Exit par exemple la commission d'évaluation des politiques publiques. Le RMA invoque les conclusions d'un audit demandé sur la question et dont le rapport, remis aux présidents de groupes en juin 2015, n'a pas encore été débattu publiquement.

En revanche, via un amendement du RMA, désormais ce sera la conférence des présidents (et non pas le président de l'assemblée, seul) qui décidera de l'emplacement des groupes politiques et des élus non inscrits au sein de l'hémicycle. Cela peut paraître anecdotique mais cette répartition physique a beaucoup agité les élus territoriaux à l'époque où le gouvernement se cherchait une majorité. "Ce n'est pas acceptable ! Cela remet en cause les compétences du président de l'assemblée de Polynésie française et il y a un risque d'illégalité" met en garde l'élue orange Sandra Lévy-Agami. Mais le rouleau compresseur RMA est en marche et approuve cette modification de la force de ses 30 voix.

LA CHAMBRE TERRITORIALE DES COMPTES SERA INFORMÉE


Vient enfin le contrôle du travail et des missions des collaborateurs des élus territoriaux. Le président de l'assemblée, mettant en avant sa signature personnelle sur chacun des contrats collaborateurs, estimait légitime d'exercer ce contrôle via un dispositif. D'autant que la Chambre territoriale des comptes (CTC), pointant des "risques importants" sur ce sujet (avec l'embauche de proches des élus) a épinglé l'assemblée polynésienne dans son dernier rapport d'observations définitives. L'assemblée dépense en moyenne 445 millions de Fcfp par an pour des crédits collaborateurs (ils sont près de 150 personnes), alors que "l'institution ne procède à aucune vérification sur la qualité ou la réalité des prestations effectuées" commentait la CTC.

L'amendement du RMA est liminaire. "Bien que le président de l'assemblée soit le signataire du contrat d'embauche, chaque représentant doit être responsable des missions qu'il confie à ses collaborateurs" explique Gaston Tong Sang. "La Chambre territoriale des comptes demande de mettre en place des outils d'évaluation. Ce ne sont que les préconisations de la CTC ! Si l'amendement est adopté, j'informerai la Chambre de cette décision. Je ne peux en assumer seul les conséquences" prévient Marcel Tuihani qui est fait l'apprentissage de l'ingrate position de l'élu d'opposition.

Le vote des élus amendement par amendement

Sur les 11 amendements déposés par le RMA pour contrer les propositions rédigées par Marcel Tuihani du règlement intérieur de l'assemblée, tous n'ont pas été adoptés. En effet, deux amendements ont été finalement retirés pendant la discussion : l'un concernait les discussions, au sein des différentes commissions de l'assemblée, du débat d'orientation budgétaire (DOB). Cet exercice a été testé, cette année pour la première fois, et Marcel Tuihani souhaitait l'inscrire dans le règlement intérieur mais la lourdeur de la procédure a un peu rebuté. Sept autres amendements (les principaux) portés par le RMA pour aller contre les propositions du président de l'assemblée ont été adoptés à la majorité des voix (30 pour et 27 contre). Enfin, deux amendements dont les enjeux étaient nettement moins politiques ont été adoptés à l'unanimité des représentants : il s'agissait notamment de garantir le secret des débats qui se tiennent lors des réunions des commissions.

ILS ONT DIT

Michel Buillard (RMA)

"Marcel Tuihani veut apporter un peu plus de démocratie : mais à force de vouloir trop contrôler, il faut éviter un procès d'intention fait au gouvernement. Il ne faut pas que ce processus de contrôle vienne accentuer l'instabilité dont notre Pays a beaucoup souffert. C'est le sens des propositions que nous avons faites. A l'assemblée nationale, un attaché parlementaire n'a pas à justifier de son travail devant le président de l'assemblée nationale ! Nous, on estime que nous sommes maîtres des décisions politiques que nous prenons et que nous contrôlons le travail de nos collaborateurs : nous sommes responsables".

Valentina Cross (UPLD)

"En tant que présidente de la commission de l'Equipement vous pouvez compter sur moi pour respecter le règlement intérieur de l'assemblée, pour faire preuve de neutralité par rapport aux projets de loi ou aux délibérations qui seront transmises par le gouvernement. Dans les commissions, il y a un cadre et des règles, mais si être à la hauteur signifie être une béni oui-oui de votre majorité, je ne pense pas être à la hauteur."

Sandra Lévy-Agami (Tahoera'a)

"Des choses existent déjà par le statut d'autonomie. Marcel Tuihani a voulu mettre noir sur blanc ce qui existe déjà : il pèche peut-être par excès de zèle. Aujourd'hui des présidents de commission peuvent saisir des services pour avoir plus de précisions, des informations, mais c'est vrai que ce n'est pas écrit dans le règlement intérieur. Au-delà des clivages politiques actuels, ce texte profitera à tout le monde par la suite. L'objectif c'est d'avoir le maximum d'informations".

MARCEL TUIHANI
"Arrêtons de déclarer des choses qu'on n'est pas capable de mettre en place"


Le RMA groupe majoritaire a déposé de nombreux amendements contre vos propositions de modification du règlement intérieur, que dénoncez-vous ?

Je pose la question de ce que veulent aujourd'hui les élus de la majorité : est-ce que les élus souhaitent que l'assemblée de Polynésie soit une véritable institution législative ou simplement une chambre d'enregistrement ? Je fonde ces interrogations sur les amendements qui m'ont été remis ; des amendements qui consistent à refuser le droit d'information des élus que nous sommes et pire, un amendement qui consiste à retirer le contrôle qui est demandé par la Chambre territoriale des comptes auprès du président s'agissant du travail des collaborateurs.

Vous parlez de décalage entre les paroles et les actes de la majorité…

Il y a des propos qui sont tenus pour modifier la gouvernance, pour respecter les points de vue des uns et des autres, pour faire participer l'opposition : les paroles sont dites mais les faits sont complètement inexistants à ce jour. Arrêtons de déclarer des choses qu'on n'est pas capable de mettre en place. Je souhaite positionner l'institution dans son véritable rôle tout en évitant d'empiéter sur les compétences de l'exécutif. Il est temps que l'assemblée puisse exercer un véritable rôle. J'estime que les décisions que nous prenons méritent d'être vérifiées, pour voir si leur efficacité est réelle et constatée.

Mais pourquoi avoir attendu que le Tahoera'a ait perdu la majorité à l'assemblée pour faire ces propositions de modifications du règlement intérieur ? Pourquoi ne pas l'avoir fait avant ?

Il y a deux approches. Soit on le fait quand on a la majorité, mais finalement on force les choses. Et il y a l'approche de la recherche du consensus. J'ai préféré rechercher le consensus en faisant fi justement des majorités qui se créent au sein de cette institution. C'est un travail que j'ai commencé depuis l'année dernière, que j'ai présenté au bureau à plusieurs reprises, en consultant même les présidents de groupe. Au final on me dit : "tais toi, tu aurais dû utiliser la force".


Rédigé par Mireille Loubet le Lundi 18 Avril 2016 à 17:47 | Lu 2269 fois