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A Bora Bora, l'eau douce devient rare et aussi précieuse que son lagon


A Bora Bora, l'eau douce devient rare et aussi précieuse que son lagon
Bora Bora, France | AFP | vendredi 14/08/2015 - Bora Bora, la "perle du Pacifique", connue surtout pour ses hôtels de luxe, s'est engagée dans la gestion active de sa ressource en eau douce, qui se fait de plus en plus rare en raison du changement climatique.

Son lagon turquoise, ses plages de sable blanc, ses bungalows sur pilotis face à la silhouette noire du mont Otemanu: côté pile Bora Bora marie les merveilles de l'atoll corallien avec la majestueuse rudesse d'un ancien volcan, dont la crête sommitale à 727 mètres accroche les nuages.

Côté face, l'afflux d'environ 100.000 touristes internationaux par an sur cette île de 9.600 habitants, dans un espace de 40 km2 îlots compris, a nécessité de résoudre un problème majeur: "Ici, on doit faire de l'eau sans eau", résume Gaston Tong Sang, maire de Bora Bora depuis 1989.

"Les gens disent "l'eau est un don du ciel". Oui, mais ce n'est pas abondant!", nuance l'élu. "L'eau, c'est comme le diamant, c'est rare. C'est le mur auquel nous nous sommes trouvés confrontés", raconte cet ancien ingénieur en génie civil.

Lui qui est né en 1949 n'a pas connu la présence militaire américaine de la Seconde Guerre mondiale et la construction de la piste de l'aéroport sur un motu (îlot corallien). En revanche, il a grandi avec l'ouverture de la liaison Bora Bora-Paris en 1958, qui a marqué l'arrivée des premiers touristes.

Réputée internationalement, l'île compte 11 hôtels dont huit classés luxe (quatre et cinq étoiles). Et qui dit luxe, dit confort.

Eaux industrielles

"L'eau potable, on l'a depuis 25 ans sur Bora Bora", s'enorgueillit son maire, quand certains quartiers de la zone urbaine de Tahiti, l'île qui concentre les deux tiers de la population polynésienne, en sont encore dépourvus au robinet.

Le réseau d'assainissement date d'une quinzaine d'années et relie tous les hôtels bâtis sur les motu. Pour obtenir depuis 2000 le précieux "pavillon bleu" de l'Union européenne, pas question de souiller le lagon, attrait touristique majeur pour les "honeymooners" (couples en lune de miel) et célébrités du show business.

"Pour économiser la ressource, les eaux usées sont retraitées et remises dans le réseau comme +eaux industrielles+ que l'on peut utiliser pour le nettoyage, l'arrosage, etc", explique M. Tong Sang.

Confrontés au même enjeu de gestion raisonnée de l'eau douce, des dirigeants de petits pays insulaires du triangle polynésien (Tuvalu, Tonga, îles Cook, etc) sont venus en juillet glaner des idées chez leur voisin français.

Dès leur arrivée, ils ont gagné en camion un chemin de traverse boueux pour aller visiter la station d'épuration.

Dans un grand bassin, des pales métalliques brassent une soupe marronnasse, qui passe ensuite dans un autre bassin. "L'ensemble du traitement est biologique: on utilise le pouvoir des bactéries et la décantation", précise Vincent Sturny, responsable Opérations îles à la Polynésienne des eaux (filiale de Suez).

Épandues sur des carrés de terre, les boues servent de substrat pour des roseaux. L'ensemble repart en engrais pour l'agriculture et les espaces verts des hôtels. Quant à l'eau, elle est chlorée après décantation puis ultrafiltration et peut ainsi servir pour tout type de lavage et d'arrosage, économisant ainsi l'eau potable.

Gestion privée

Des campagnes de sensibilisation et surtout une tarification au mètre cube ont poussé les hôteliers (qui paient 77% du coût global pour 50% de consommation) et la population à lutter contre le gaspillage.

"Avec la sécheresse et l'augmentation du nombre d'hôtels, on a dû trouver une nouvelle solution, et la seule évidente était le dessalement d'eau de mer", explique M. Sturny, dont l'entreprise privée a obtenu la délégation de service public en 1990 pour 40 ans.

Bora Bora s'est ainsi dotée progressivement de trois unités en 2001, 2006 et 2007 pour atteindre une capacité de production de 3.000 m3/jour soit "la plus importante de France", avance le dynamique quadragénaire.

"On l'utilise uniquement quand les nappes s'épuisent car c'est une technique coûteuse en maintenance et en énergie", reconnaît le responsable. En effet, il faut 3m3 d'eau de mer pour en tirer 1m3 d'eau douce et surtout quand 1m3 d'eau douce nécessite par les moyens classiques 3,7 kW pour devenir potable, l'osmoseur en consomme 12.

Alors "on cherche à optimiser le consommation électrique avec des panneaux solaires" mais ils ne fournissent que "5% des besoins de l'osmoseur", admet M. Sturny. Le reste provient de centrales thermiques au fioul. Son entreprise travaille aussi sur un projet d'usine de 1 mégawatt de puissance en biomasse.

Mais la gestion de l'eau confiée au privé hérisse le secrétaire général du parti Heiura-Les Verts (écologiste). "On est entré dans un délire de vouloir, au nom de la création d'emplois dans le tourisme, accepter une confiscation du domaine public (le lagon), un épuisement des ressources naturelles (l'eau) et pour le compenser la création d'un activité coûteuse pour la collectivité (l'osmoseur)", dénonce Jacky Bryant, ancien ministre de l'Environnement du gouvernement indépendantiste d'Oscar Temaru.

"Le choix du privé est là pour rémunérer les grandes entreprises", déplore-t-il, "et des Iles-Sous-Le-Vent, il n'y a que Bora Bora qui a fait ça".

Rédigé par Noémie Debot-Ducloyer le Dimanche 23 Août 2015 à 12:00 | Lu 2772 fois