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La mauvaise gestion du GIE Tahiti Tourisme est-elle derrière nous ?


PAPEETE, le 10 janvier 2016 - Une réforme profonde a été engagée au GIE Tahiti Tourisme après un rapport lapidaire de la chambre territoriale des comptes en 2013, affirme la nouvelle équipe dirigeante. De plus, il a fallu faire aussi bien avec un budget diminué d'un milliard de francs : pour y parvenir, la stratégie a consisté à resserrer les coûts à Tahiti et externaliser le travail des bureaux à l'étranger.

La gestion des nombreux satellites du Pays n'a pas toujours été très transparente, ni très rigoureuse. Prenons le cas du GIE Tahiti Tourisme, une entité de droit privé chargée par la Polynésie française de promouvoir son secteur touristique à l'international… Avec un succès que l'on sait mitigé.

Un rapport de la chambre territoriale des comptes (CTC) sur le GIE, publié en 2013, s’est révélé accablant (voir encadré). Après une loi de Pays, un changement de management et une grosse coupe budgétaire, le GIE a été forcé de se lancer dans une réforme en profondeur dès 2011, dans l'espoir de rétablir une meilleure gestion et de redresser un secteur touristique au bord du gouffre. Mais depuis l'extérieur, difficile de savoir si cet effort de bonne gouvernance a finalement payé : bien que ses budgets proviennent encore à 94 % de subventions du Territoire, les comptes de cette "société morale de droit privé" restent confidentiels (voir encadré).

Réforme dos au mur

Pour savoir ce qu'il en est, nous avons demandé et obtenu les comptes 2014 du GIE et même un entretien exclusif avec le directeur administratif et financier de Tahiti Tourisme, Aldric Chatal, en poste depuis juillet 2011. Depuis 2011, le budget du GIE est passé de 2,2 milliards à 1,4 milliard de francs.

Selon lui, cette somme est très insuffisante pour faire face à la rude concurrence à laquelle la destination "Tahiti et ses îles" fait face, mais il assure que le GIE "arrive à maintenir ses missions". Selon lui : "On voit l'augmentation des effectifs touristiques, même si l’on n'a pas la main dessus, avec moins d'argent et avec un effectif réduit. Maintenant, l'équipe du ministère du Tourisme et du gouvernement a bien compris que nous avons une structure performante, avec des outils de gestion efficaces, donc la confiance revient et les subventions augmentent progressivement." Car le budget du GIE reste presque entièrement dépendant des subsides du Pays, même si le directeur financier explique que ces aides publiques ne sont que le reversement de la redevance de promotion touristique, une taxe prélevée sur toutes les nuitées d'hôtel ou de croisière et destinée spécifiquement à la promotion touristique.

Une mise en concurrence totale

Pour répondre aux critiques du rapport de la CTC, un document qui n'était que le dernier d'une longue liste de rapports et d'audits catastrophiques, Aldric Chatal nous assure que le GIE a totalement changé ses pratiques : fermeture des bureaux à l'étranger, remplacés par des prestataires privés ; appel d'offres pour toute dépense supérieure à 10 millions de francs, devis comparatifs obligatoires pour toutes les autres dépenses ; contrôle des comptes par de multiples intervenants, dont un auditeur indépendant tous les ans ; mise en place d'un nouveau logiciel de contrôle de gestion (PHEB)… "On a revu toutes les procédures, chaque franc investit est contrôlé et il y a une mise en concurrence systématique" assure le directeur administratif et financier.

Et concernant le plus gros problème qui touchait le GIE, à savoir l'ingérence des politiques dans son organisation, il assure que la nouvelle gouvernance est au point : "On a une convention d'objectifs aujourd'hui, qui n'existait pas il y a trois ans, qui nous donne une feuille de route claire. On a aussi le rapport de la CTC qui nous permet de nous protéger. À chaque demande, on peut le montrer et dire "voilà, ingérence des pouvoirs publics, c'est écrit". Enfin, c'est l'assemblée générale du GIE qui a le dernier mot, et le privé y participe autant que le public."

La chambre territoriale des comptes va revenir sur la gestion du GIE en 2016, pour la période 2010 à 2015. La nouvelle équipe semble très sûre d'elle sur le fait qu'elle ne recevra, pour une fois, que des louanges. L'avis de la population, lui, dépendra surtout des résultats du GIE et des milliards dépensés sur les arrivées touristiques. Mais la nouvelle équipe aura effectivement présidé à la fin de la dégringolade du nombre de visiteurs en Polynésie. De 150 000 touristes, au pire de 2011, nous sommes repassés à plus de 180 000 fin 2015, dont un quart de croisiéristes. Mais le GIE peut-il en recevoir seul les lauriers ? Cette remontée du tourisme a suivi de près le retour de la croissance économique aux États-Unis…

Le chiffre : 1,45 milliard de francs, c'était le total des ressources du GIE Tahiti Tourisme en 2014 dont 1,36 milliard de subventions publiques.


Parole à : Aldric Chatal, directeur administratif et financier du GIE Tahiti Tourisme depuis 2011

"En 2010, Tahiti Tourisme c'était 52 personnes au siège, à Tahiti ; il y avait un bureau de cinq personnes en France, des bureaux de deux personnes au Japon, en Australie, en Nouvelle-Zélande, à Santiago du Chili et un bureau de six personnes à Los Angeles.

Alors que la Polynésie était au bord de la cessation de paiement, le Pays nous a demandé de revoir nos coûts qui étaient trop importants et a coupé nos budgets de 600 millions de francs. Donc on a commencé par regarder les frais de fonctionnement, "est-ce que c'est utile d'avoir tous ces bureaux de représentation à l'étranger ?" On a lancé un plan social, avec des licenciements économiques en France, où on a fermé le bureau. On a aussi fermé les bureaux au Japon, en Nouvelle-Zélande et en Australie. En 2014, enfin, on a fermé le bureau de Santiago. Aujourd'hui, il ne reste plus que le bureau aux États-Unis, qui est notre plus gros marché, et des prestataires sous contrat dans les autres marchés.

À côté de cela, il y a eu une politique de renégociation de tous les contrats. Par exemple, on avait une société de gardiennage, qui nous coûtait 9 millions par an. On a mis à la place une alarme avec un détecteur, cela nous coûte 250 000 francs par an. On a bloqué les lignes à l'international pour utiliser Skype, là-dessus on a économisé 11 millions. Les voyages qui se faisaient en business sont maintenant en classe économique. Toute l'équipe, même le top management, quand ils voyagent à l'étranger, ils voyagent en classe éco.

Enfin, il y a eu un plan social au siège, où il y a eu 19 départs négociés. Cela nous a fait faire 100 millions de francs d'économies, même si on a dû recruter de nouvelles personnes. Donc aujourd'hui, on est à 60 millions de francs de frais de salaires de moins sur le siège. Il faut y ajouter 85 millions de francs d'économies grâce à la fermeture des bureaux à l'étranger : forcément, on n’a plus de loyers à payer, on a des représentants choisis par des appels d'offres réguliers, donc une mise en concurrence qui est effectuée, et des économies dans tous les frais de structure."



Le rapport détonnant de la CTC

Dans son rapport publié en 2013 et portant sur les comptes 2005-2011, la chambre territoriale des compte n'était pas tendre : "Le GIE s’était abusivement réfugié derrière son statut de droit privé pour ne pas appliquer la mise en concurrence des fournisseurs pour ses achats, alors même que la quasi-totalité de son financement est d’origine publique." ; "La chambre a observé la gestion calamiteuse de la fin de contrat du responsable du bureau américain qui, au terme de plus de 7 années de procédure, a provoqué un surcoût évalué à près de 100 millions de francs." ; "Les charges de personnel du siège ont connu une évolution particulièrement importante de + 46 % entre 2005 et 2010." ; "Certaines dispositions règlementaires n’ont pas été respectées entre 2005 et 2011." ; "Dans plusieurs cas, le GIE Tahiti Tourisme a été amené à prendre en charge des dépenses non prévues dans ses plans d’action à partir d’initiatives politiques."… Bref, une entité téléguidée par les politiques et à la gestion calamiteuse.


Ces comptes introuvables

Les comptes du GIE Tahiti Tourisme ne sont pas disponibles publiquement, même si 95 % de son budget provient des caisses du Pays. Pourtant, d'autres satellites du Pays, dont le port autonome par exemple, publient leurs comptes annuels sur le site internet du Journal officiel, un exercice de transparence bienvenu et encore trop rare. Pour Tahiti Tourisme la position officielle est : "On a les émargements des représentants de l'Assemblée, les ministres, qui ont tous reçu nos comptes. C'est à eux de les mettre en ligne sur le site du Journal officiel. Nous, on n'a pas la main dessus."

Du coup si des élus se motivent à tout mettre en ligne, ils pourraient en profiter pour mettre à jour les comptes du CHPF (derniers disponibles : 2010), de l'OPH (2013), de l'OPT (2005) et publier ceux d'ATN, de la Socredo, de TNTV…


Rédigé par Jacques Franc de Ferrière le Dimanche 10 Janvier 2016 à 15:07 | Lu 3960 fois