Tahiti Infos

Justice : La cour d'appel de Papeete fait sa rentrée solennelle, bilan et perspectives


Hervé Leroy (à d.), procureur de la République au tribunal de première instance de Papeete, a détaillé l'activité du parquet.
Hervé Leroy (à d.), procureur de la République au tribunal de première instance de Papeete, a détaillé l'activité du parquet.
PAPEETE, le 13 janvier 2017 - Le bilan de l'année judiciaire 2016, un point sur la délinquance, la situation de la juridiction et l'avancement des projets et réformes en cours ont été passés en revue, ce vendredi, lors de la traditionnelle audience solennelle de rentrée de la cour d'appel de Papeete.


La grande famille judiciaire s'est rassemblée vendredi dans la grande salle du palais de justice de Papeete, le temps de la traditionnelle audience de rentrée solennelle. Un rendez-vous immuable qui permet, entre quelques rafales de chiffres, de prendre le pouls de l'activité générale de la juridiction en Polynésie française, et plus particulièrement la mesure de la délinquance observée au fenua sur l'année qui vient de s'écouler. Le discours du procureur de la République est, à ce titre, toujours très attendu.

A l'occasion de sa première allocution dans cet exercice à Tahiti, le patron du parquet de Papeete, Hervé Leroy, arrivé en septembre, a fait état d'"un bilan général plutôt stable, voire très légèrement en baisse en 2016 par rapport à 2015", mais "qui présente des postes négatifs voire inquiétants s'agissant des violences sexuelles, des cambriolages, des violences aux personnes et de la délinquance routière".

La délinquance stagne, mais...

Si le parquet a été amené à enregistrer moins d'affaires nouvelles l'année dernière, traduisant une stagnation de la délinquance voire même une légère baisse, Hervé Leroy a appelé à "nuancer" cette analyse "selon la nature des faits constatés". Le nombre de cambriolages, par exemple, est en augmentation de 5,36%. Le nombre de mis en cause est lui aussi en légère hausse. Stable chez les majeurs -7 492 contre 7 478 en 2015- il grimpe en revanche de plus de 10 % chez les mineurs passant de 1 202 en 2015 à 1 325 en 2016.

Au chapitre des meurtres et assassinats, 8 crimes ont été commis l'année écoulée, comme en 2015, "même s'il faut déplorer une espèce de loi des séries au 4e trimestre avec trois affaires criminelles réparties comme suit", a détaillé le magistrat : "L'affaire de Moorea avec une victime âgée de 13 ans et un auteur du même âge, l'affaire de cette fin d'année à Punaauia dans laquelle un jeune homme de 21 ans a perdu la vie mortellement blessé par un couteau de cuisine par un auteur âgé de 54 ans, et un vol avec violences ayant entraîné la mort d'un homme de 83 ans à Pirae".

Agressions sexuelles en hausse

Les viols, agressions sexuelles et violences intrafamiliales restent un fléau. Les femmes représentent à elles seules près de 31% des victimes de violences et les violences sur concubin ont augmenté de 7,2%, passant de 775 à 831 faits constatés en 2016. Après une baisse remarquable en 2015, les violences sur majeurs et mineurs, toutes qualifications juridiques confondues, repartent en hausse de 22,1% avec 2 686 procédures enregistrées contre 2 199. S'agissant des viols et agressions sexuelles, 257 procédures ont été ouvertes en 2016 contre 248 en 2015.

A l'instar des années précédentes, les mineurs paient encore un lourd tribut au chapitre des viols et agressions sexuelles puisqu'ils représentent plus de 71% des victimes. A ce titre, Hervé Leroy a rappelé l'importance de ne pas voir faiblir le partenariat entre le parquet, les services du territoire, l'enseignement, les affaires sociales ou encore le centre hospitalier "pour détecter et signaler les mineurs victimes de maltraitances et d'abus sexuels".

Plus de morts sur les routes

Mais la hausse "la plus significative et la plus inquiétante" pour le parquet en 2016 concerne la délinquance routière, avec 27 tués contre 17 en 2015 (+58,82%). Les forces de l'ordre n'ont eu de cesse de constater un relâchement des comportements sur la route cette année. 1 684 conduites sous l'empire d'un état alcoolique ont été sanctionnées, 134 sous l'influence de stupéfiants, 1 180 conduites sans permis et 2 933 excès de vitesse. Le nombre des blessés a lui aussi augmenté comme celui des accidents corporels.

"Dans toutes ces affaires de violences volontaires, viols, agressions sexuelles et violence routière, force est de constater qu'une fois sur deux l'auteur se trouvait sous l'emprise de l'alcool ou de stupéfiants, voire les deux", a déploré le représentant du ministère public. "Dans de moindres proportions, la victime était également dans une conduite addictive. Il est essentiel de mobiliser les moyens de l'Etat et ceux du territoire pour lutter contre le fléau de l'alcool et des drogues : le pakalolo mais aussi et de plus en plus, l'ice".

La délinquance en col blanc

S'agissant de la délinquance politico-financière, "une baisse certaine du nombre de nouvelles affaires" a été constatée par le parquet avec 23 nouvelles procédures en 2016 contre 42 en 2015. "Est-ce à dire qu'il faut baisser la garde ? Certainement pas", a averti Hervé Leroy qui promet la poursuite de la politique pénale instaurée par le parquet en la matière ces dernières années : "Depuis mon installation, j'ai reçu un certain nombre de dénonciations anonymes laissant à penser que des décideurs publics se servent de leurs fonctions dans leurs intérêts particuliers au détriment de l'intérêt général".

A noter que si les politiques semblent se faire plus discrets, il n'en va pas de même dans le secteur économique puisque les infractions à la législation sur les sociétés (abus de biens sociaux, banqueroute) ont bondi de près de 118 % avec 61 procédures nouvelles en 2016 contre 28 en 2015 : "Comme en matière d'atteintes à la probité la politique pénale sera identique", assure Hervé Leroy qui ne s'interdit pas d'"initier des enquêtes" en lien avec le tribunal mixte de commerce : "Confiscation en valeur pour le montant des sommes détournées des biens des dirigeants et peine d'interdiction de diriger et d'exercer une activité économique", avertit-il enfin.

Les petites phrases

François Badie, procureur général.
François Badie, procureur général.
-"Depuis mon installation, j'ai reçu un certain nombre de dénonciations anonymes laissant à penser que des décideurs publics se servent de leurs fonctions dans leurs intérêts particuliers au détriment de l'intérêt général". Hervé Leroy, procureur de la République.

-"Certains, y compris au plus haut niveau du pouvoir local, ont pu –à tort- se croire au-dessus des lois et libres d'agir impunément, ce qui dénote une perte de repères affligeante. Ces affaires-là, parfois vieilles de plus de 10 ans, sont en train d'être soldées, et il est urgent qu'elles le soient définitivement pour tourner la page d'une époque révolue". François Badie, procureur général.

-"S'agissant d'infractions commises au cours d'un mandat électoral, il importe qu'elles puissent être jugées au cours de ce même mandat afin qu'une sanction d'inéligibilité puisse, si elle est justifiée, être utilement requise devant la juridiction pénale de première instance et d'appel". François Badie, procureur général.

-"Le renforcement du service des terres a suscité de nouvelles vocations de plaideurs et généré une forte augmentation de nouvelles affaires, 152 contre 85 en 2015 (…) La crainte d'un engorgement et d'un blocage des affaires en appel est devenue à présent une réalité". Régis Vouaux-Massel, premier président de la cour d'appel.

Cour d'assises : 16 affaires criminelles restent à juger

La cour d'assises de la Polynésie française a jugé et rendu 22 arrêts dans des affaires criminelles cette année. Ces affaires sont dans leur quasi-totalité des affaires de viol, d'inceste ou de meurtres liés à l'alcool et dans un contexte intrafamilial. Pour François Badie, procureur général, "elles illustrent tristement la réalité d'une Polynésie violente, réalité qui coexiste avec celle de la Polynésie accueillante et agréable qui heureusement reste encore une vérité la plupart du temps".

16 affaires criminelles restent à juger et "devraient toutes pouvoir l'être au plus tard lors de la quatrième session de l'année 2017", promet le magistrat. Il y en avait encore 25 début 2016.

Le procureur sur Facebook, c'est pour bientôt

Le ministère de la Justice a donné son feu vert, en début de semaine, pour la création d'une page Facebook du procureur de la République. "Les préfectures connaissent cela depuis longtemps en métropole, ce sera une première nationale pour une juridiction", a annoncé vendredi le procureur général François Badie qui promet l'activation de cette page "dans les jours à venir".

Une page Facebook qui se voudra facile d'accès et d'utilisation et sera dédiée à la prévention et surtout au signalement des violences intrafamiliales afin de permettre au procureur "d'apprécier la nécessité d'une réactivité immédiate".

Le tribunal foncier en novembre

Les travaux de réhabilitation du site de l'ancien hôpital Vaiami ont officiellement commencé vendredi selon le parquet général. Le tribunal foncier qui y sera installé devrait ouvrir ses portes, au plus tôt, en novembre 2017. Un service d'accueil, des salles de réunion, des bureaux et une salle d'audience de 100 m2 accueilleront le public et les trois sections de jugement du service des terres. Attendu de longue date, sa mise en service revêt aujourd'hui un caractère d'urgence. Le nombre des appels en matière de terre a triplé en 2016. 737 affaires ont été définitivement jugées l'année dernière mais il en reste encore… 1170 en stock.

A plus long terme, le site de Vaiami devrait évoluer en véritable cité judiciaire pour soulager le palais de justice voisin où l'on commence à pousser les murs dans certains services.

Surpopulation carcérale et peines non exécutées

Si le procureur Hervé Leroy insiste sur le fait que "des individus dangereux et condamnés n'ont jamais été laissés libres", 266 individus cumulant 363 condamnations sont aujourd'hui dehors, en attente de pouvoir exécuter leur peine d'enfermement. Il s'agit de peines de prison inférieures à 1 an pour les récidivistes, et 2 ans pour les primo-délinquants. La surpopulation carcérale du centre pénitentiaire de Nuutania (400 détenus pour 165 places) en est la principale raison.

Les clés du centre de détention de Papeari, 430 places, seront remises en mars 2017, en présence du garde des Sceaux selon François Badie, procureur général. L'établissement fonctionnera à blanc en avril et mai. 150 condamnés définitifs à des peines supérieures à 6 mois de prison seront susceptibles d'y être ensuite rapidement transférés.

Le tribunal pénal en chiffres

- 200 audiences correctionnelles en 2016.

- 160 comparutions immédiates.

- 2057 jugements prononcés.

- 171 affaires en cours d'instruction, 73 nouvelles et 122 terminées.

Le haut-commissaire René Bidal et les élus locaux ont assisté à l'audience solennelle

Justice : La cour d'appel de Papeete fait sa rentrée solennelle, bilan et perspectives

Représentants des forces de police et de gendarmerie, de la douane et de l'administration pénitentiaire étaient présents

Justice : La cour d'appel de Papeete fait sa rentrée solennelle, bilan et perspectives

Régis Vouaux-Massel (en haut à d.), premier président de la cour d'appel de Papeete

Justice : La cour d'appel de Papeete fait sa rentrée solennelle, bilan et perspectives

Rédigé par Raphaël Pierre le Vendredi 13 Janvier 2017 à 18:31 | Lu 3489 fois