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La mort rode à Prieska, ville sud-africaine rongée par l'amiante


La mort rode à Prieska, ville sud-africaine rongée par l'amiante
PRIESKA (Afrique du Sud), 18 août 2012 - "Dans la plupart des maisons de notre rue, il y a eu un mort d'asbestose ou de mésothéliome." Chris Julius attend maintenant le même sort, comme de nombreux habitants de Prieska, une ville sud-africaine où l'amiante tue sans discrimination.

Quelques mois après la mort de sa belle-mère dans la maison voisine, M. Julius a été diagnostiqué à cette forme rare et virulente de cancer, qui attaque les poumons et peut se développer jusqu'à quarante ans après une exposition.

Asbestose ou de mésothéliome condamnent leur victimes à une mort douloureuse par étouffement. La plupart du temps en moins de dix-huit mois.

"C'est comme si j'allais à la chaise électrique", a-t-il raconté à l'AFP.

Ancien enseignant, M. Julius, 58 ans, n'a pourtant jamais travaillé à la mine, mais il habite à 100 m de l'ancienne usine qui broyait l'amiante et inondait de poussières mortelles cette localité de 11.000 habitants située au bord du fleuve Orange, dans le centre-ouest du pays.

Sur le mur d'un café accueillant, une photographie en noir et blanc montre un nuage de poussière géant s'élevant au-dessus de la ville.

Les aînés se souviennent qu'ils ont joué, enfants, dans les terrils d'amiante. Sans que personne ne les préviennent du danger.

Les habitants ont bien intenté des actions en justice contre les compagnies minières, gagnées il y a près de dix ans. Mais si certains ont été indemnisés, une maison sur trois est toujours contaminée à Prieska, près de trente ans après la fin de l'extraction de l'amiante.

Rob Jones, un spécialiste de l'environnement, estime que l'amiante tue en moyenne 52 personnes par an dans le Cap septentrional, la province où est située Prieska.

"Une urgence écologique"

"C'est vraiment une urgence écologique nationale", souligne-t-il, faisant la comparaison avec Libby, dans le Montana (nord-ouest des Etats-Unis) où des millions de dollars ont été investis dans la décontamination.

"Imaginez que vous marchez le long d'un chemin de terre contaminé par des fibres d'amiante, et qu'un véhicule passe. La poussière que vous inspirez est pleine de fibres d'amiante microscopiques", explique M. Jones.

"Le même scénario s'applique quand vous balayez la maison, travaillez au jardin, etc. Les expositions sont à peu près constantes! (...) L'amiante ne pourrit pas. Il ne disparaît jamais de lui-même", rappelle-t-il.

"Nous diagnostiquons une dizaine de nouveaux cas de mésothéliome tous les ans", soupire Deon Smith, médecin à Prieska depuis vingt-huit ans. "Et il n'y a pas de remède."

La maladie ne fait pas de discrimination. Elle frappe autant les habitants pauvres qui n'ont jamais travaillé dans les mines que les patrons des anciennes usines, et même des familles entières.

Nicholas Cilento, 60 ans, a ainsi vu mourir ses parents, deux frères et deux soeurs. Il ne lui reste qu'une soeur, en bonne santé.

Portant boucle d'oreille et tee-shirt à l'effigie de Jimi Hendrix, lui-même est atteint. Il vit sous respiration artificielle et ne peut pas marcher plus de deux ou trois pas sans devoir se reposer.

"Je savais que j'allais tomber malade, mais je ne m'attendais pas à ce que ce soit permanent. Je souffre beaucoup, je ne savais pas que je souffrirais autant. Mais j'ai appris à l'accepter", dit-il.

"Tous les gens parlent de cette maladie... Pourquoi le gouvernement ne fait-il rien?", interroge-t-il.

Le ministère de l'Environnement estimait en juin que près de 5.000 maisons étaient polluées dans le Cap septentrional, de même que 26 écoles -- dont 4 à Prieska même -- et 400 km de routes.

La décontamination des habitations est estimée à 25.000 euros par parcelle et celle des routes à 120.000 euros par kilomètre carré.

"Cela prend un certain temps parce que les activités de dépollution impliquent différents acteurs. Un plan d'action est en cours de finalisation", a indiqué à l'AFP la porte-parole du ministère Roopa Singh.

Pour les malades, les décisions judiciaires n'ont pas prévu les cas survenus après le jugement, et le gouvernement ne verse aucune indemnité.

"A part le fait d'étudier le problème, aucun réel effort n'a été fait à ce jour -- à ma connaissance" par l'Etat, regrette Rob Jones.


Par Justine GERARDY

Rédigé par AFP le Vendredi 17 Août 2012 à 18:48 | Lu 472 fois