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Un rapport sur l’hôpital de Taravao bloqué depuis plus de trois mois à la Direction de la santé


TARAVAO, le 1er juillet 2015. Depuis le 13 mars, un document de « diagnostic et de préconisations » sur l’établissement de la Presqu’île est sur le bureau du Directeur de la santé sans que rien ne bouge. Le personnel de l’hôpital, otage d’une réorganisation générale qui tarde à se mettre en place, se sent clairement abandonné. En réaction, le ministre de la Santé nous annonce dans un premier temps le remplacement du directeur actuel très décrié.

« Personne ne veut s’occuper d’un bateau qui coule… » Cette phrase lâchée par un membre du personnel de l’hôpital de Taravao résume bien la situation qui est en train de pourrir dans l’établissement de santé de la Presqu’île.

Miné par les conflits internes, secoué par les grèves à répétition, l’hôpital tourne aujourd’hui tant bien que mal, avec un personnel médical réduit au minimum, des médecins en arrêts maladies ou démissionnaires , un service des urgences qui fonctionne à peine à mi-temps (lire ci-dessous) et deux ambulances en panne. Pourtant le 13 mars dernier un rapport commandé par la Direction de la Santé (dont dépend l’établissement) est tombé sur le bureau de son directeur François Laudon. Ce « Diagnostic partagé des besoins de l’hôpital de Taravao » a été réalisé par le Dr Bakary Diakité, médecin inspecteur de santé publique. Dans ce document, dont nous avons pu avoir les grandes lignes, le Dr Diakité fait le constat d’une structure de proximité qui manque cruellement de moyens. « La viabilité médicale et financière de cette structure, écrit Diakité, exige une amélioration de son pilotage interne, un redimensionnement à la hausse de ses services de court et moyen séjours, le regroupement de certains services et le développement d’une complémentarité avec les structures existantes notamment par le développement d’un pôle ambulatoire ». Une belle ambition légitime pour un établissement qui rayonne sur un bassin de population de 30 000 à 46 000 habitants si l’on inclut les communes de Papara et Hitia o te Ra.

Alors que ce rapport d’évaluation a été ordonné par la Directeur de la santé lui-même, suite aux « demandes récurrentes de renfort pour pallier les arrêts maladie du personnel », il semble que le document soit bloqué au fond de son tiroir depuis plus de trois mois. « Faux ! » rétorque-t-on au ministère. « Nous sommes au courant de ce rapport et nous en tenons compte dans l’élaboration du SOS (schéma d’organisation sanitaire) que nous finalisons en ce moment afin de le présenter à l’Assemblée en septembre. Ce rapport ne restera pas lettre morte». Un SOS pour lequel une enveloppe de 35 millions de francs a été allouée à un cabinet d’étude parisien (Calia) actuellement à l’œuvre sur le territoire.

LA DIRECTION DE L’ETABLISSEMENT POINTEE DU DOIGT

Mais il y a un décalage énorme entre le ressenti d’abandon à la Presqu’île et le rythme de travail des autorités sanitaires et de son cabinet d’étude. « Une extension du service de long séjour a été signée en 2011, raconte à titre d’exemple cet employé de l’hôpital. Les travaux ont été mis au budget de 2014 mais aujourd’hui rien n’a été fait ou presque ». Ce sont effectivement 141 millions qui avaient été provisionnés pour ce chantier. « On a désengagé ce budget » reconnaît le ministère de la Santé. « Il fallait d’abord reloger les services existants avant de déconstruire puis reconstruire un nouveau bâtiment… » Bref, là aussi ça n’avance pas.

Dans le rapport remis à la Direction de la santé, sont aussi évoqués clairement les problèmes de « déficit de management tutélaire et interne », « l’absence de politique concertée, cohérente et continue ». Pointé du doigt pour son manque de légitimité et de formation, Patrick Cojean, le directeur de l’hôpital, refuse de commenter les conflits qui l’opposent à de nombreux personnels : « Je ne connais pas d’entreprise où il n’y a pas de conflits. Ce que je souhaite c’est qu’il y ait une définition plus claire du rôle de l’hôpital. C’est maintenant au niveau du Directeur de la santé que cela se passe… » Mais le directeur en question, François Laudon, est en passe de démissionner pour raisons personnelles. Une situation qui ne favorise pas non plus l’avancée du dossier. Aucun interlocuteur à la Direction de la santé n’a souhaité nous parler. En revanche le ministre de la Santé, Patrick Howell nous annonce qu’il va remplacer Patrick Cojean (lire interview). Une décision qui devrait satisfaire le personnel de l’hôpital. « Il n’est pas méchant, explique l’un deux, mais il n’a aucune compétence de management, il est complètement dépassé. » Patrick Cojean, qui vient, avant de partir en congés, de valider le planning des urgences de juillet (voir document) avec 16 jours sans médecins. Et le mois d’août s’annonce pire encore puisqu’il y aura un médecin de moins.

En fait, l’avenir de Taravao passe, d’abord et avant tout, par la redéfinition de son statut. Aujourd’hui classé comme un hôpital périphérique (avec Raiatea, Moorea et Nuku HIva) il ne peut pas faire bénéficier à son personnel soignant des mêmes conditions que celles accordées au Taaone. Un vrai problème d’attractivité incompatible avec la mission de cet établissement dans une zone en plein développement. Le statut actuel (service du Pays) est aussi un facteur de lourdeur administrative : le délai minimum pour recruter est par exemple de 45 jours contrairement à un établissement public administratif (comme le Taaone) qui peut engager du personnel en quelques jours, si besoin. « On est en train de tout remettre à plat et on va réorganiser tout le système » promet-on dans l’entourage de Patrick Howell. « Mais on ne peut pas aller plus vite que la musique ». Un problème de tempo que ne comprend pas le personnel de Taravao au moment où un rapport complet et précis donne toutes les clés. Et hier c’est au tour du syndicat CSTP FO de monter au créneau. Dans une lettre ouverte à Edouard Fritch, le syndicat appelle le président du Pays au secours d’un « hôpital à l’agonie ».

Actuellement, les urgences de Taravao fonctionnent sans médecin de 7 h 30 à 15 heures.
Actuellement, les urgences de Taravao fonctionnent sans médecin de 7 h 30 à 15 heures.
Des urgences à mi-temps !

Au cœur du dernier conflit social, le service des urgences est exsangue. On se souvient que le Directeur de la santé a décidé de poursuivre au pénal les urgentistes pour fausses déclarations d’astreintes. Une situation ubuesque pour ce salarié de Taravao qui explique que « ces faux étaient faits avec l’accord de la direction pour ne pas enfreindre les textes sur le nombre d’heures travaillées ». En clair, un système D officieux pour pallier le manque d’effectif et qui est revenu comme un boomerang dans la tête des urgentistes. Résultat, aujourd’hui, un médecin a démissionné, un autre est en arrêt maladie. Les Urgences de Taravao fonctionnent à peine à mi-temps. Et quand il n’y a pas de médecin le personnel soignant est chargé d’en prévenir un d’un autre service… en cas d’urgence !
Ici aussi, comme le stipule le rapport, le problème de statut empêche la bonne marche du service. Il y a par exemple une différence de 200 000 Fcfp entre le salaire d’un urgentiste du Taaone et celui d’un urgentiste de Taravao. Un décalage qui fait grincer des dents et n’aide pas au recrutement de nouveaux médecins. L’activité des urgences de Taravao (14 000 visites par an) fait aussi l’objet d’une analyse précise dans le document du Dr Diakité. Pour 90% d’entre elles, ces visites s’apparentent plus à de la « bobologie » et devrait faire l’objet d’une orientation différente vers les autres services. Mais le « sous-dimensionnement » global de l’établissement, constaté par le rapport d’évaluation, ne permet tout simplement pas, en l’état, de répondre à la demande de soin.
B.P.


Le planning des urgences pour le mois de juillet, validé par le directeur : 16 jours sur 26 sans médecins !
Le planning des urgences pour le mois de juillet, validé par le directeur : 16 jours sur 26 sans médecins !


INTERVIEW

« Je vais remplacer le directeur de l’établissement » Patrick Howell, ministre de la santé

Un rapport de diagnostic sur l’hôpital de Taravao a été rendu il y a plus de trois mois. Est-ce qu’il n’y pas une urgence à s’occuper de cet hôpital ?
Dans un premier temps, la nécessité est de maintenir les effectifs au service des urgences. Quand j’ai pris ce dossier en main il y avait deux ambulances en panne et, sur les quatre médecins, trois qui étaient hors circuit. Aujourd’hui nous en avons un qui a démissionné, un en arrêt maladie et deux opérationnels. Pour compenser nous avons fait appel à des médecins de la santé publique et durant la journée les généralistes interviennent chaque fois qu’il y a une urgence. Nous maintenons les urgences avec ces moyens. Mais si nous voulons un service d’urgence digne de ce nom il faut des moyens et des formations comme au CHPF.

Cela signifie que le prochain schéma d’organisation des soins (SOS) va transformer le statut de l’établissement de Taravao ?
Nous travaillons à l’élaboration du SOS et, au vu de ce qui se passe, il faudra se remettre en question pour cet hôpital, notamment en ce qui concerne les urgences. Il faudra par exemple aménager un héliport autour de cet établissement. L’idéal pour Taravao c’est une zone où l’on peut atterrir en hélico et créer les conditions d’un jumelage avec Taaone. Et là l’idée sera de doubler l’effectif de Taravao.

Mais est-ce qu’on ne peut pas gagner du temps en utilisant ce rapport ?
J’ai vu passer ce rapport. Mais un rapport de ce genre ne peut pas « doubler » le SOS. Ce n’est pas un praticien qui va donner toutes les orientations du système d’organisation depuis la Presqu’île jusqu’à Taaone !

Il y a aussi de gros problèmes relationnels entre la direction de l’hôpital et les salariés. Que comptez-vous faire ?
Je suis conscient de ces problèmes et je vais prendre des décisions dès cette semaine. Je vais remplacer le directeur de l’hôpital. Je vais placer cette unité de Taravao sous une autre autorité. Le document est sur mon bureau il n’attend plus que ma signature. Mon problème numéro 1, c’est de mettre quelqu’un d’autre en place. En espérant que ce soit plus opérationnel et, ensuite, il faudra créer les conditions pour qu’il y ait un statut qui se rapproche de celui du CHPF.

Propos recueillis par B.P.

Rédigé par BP le Mercredi 1 Juillet 2015 à 09:55 | Lu 1602 fois
           



Commentaires

1.Posté par John Devan le 02/07/2015 06:41 | Alerter
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Laudon, Cojean, des hommes du ministre non ?
Beau bilan...

2.Posté par TAAHOA le 02/07/2015 10:48 | Alerter
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Il faut reconnaître que le ministre Patrick HOWELL n'est pas compétent. Ce n'est pas pour rien que Mr FLOSSE ne l'a pas nommé à ce poste. Il n'y a pas si longtemps lorsque le personnel de l'hôpital de Taravao a fait grève, notre ministre a dit qu'il n'y avait pas de problème à Taravao. Et aujourd'hui il reconnaît qu'effectivement il y en a. Patrick, DEMISSION.

3.Posté par tutua le 02/07/2015 12:19 | Alerter
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à part les dents dans sa jeunesse, une véritable réussite, Howell n'est pas à la hauteur, c'est un mou, hésitant, qui traîne et parle beaucoup mais qu'on a du mal à comprendre

4.Posté par fiututafé le 02/07/2015 13:03 | Alerter
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grrrrrrrrrrrr....ce n'est pas ce que l'on souhaite, mais, si un jour c'est un gosse de ces foutus têtes pensantes du gouvernement qui se foute en l'air aux environs de taravao et que faute d'urgentiste, il passe à côté, on verra bien s'ils vont laisser traîner encore le dossier...sapipinatiao va!!!! kadèmett!! chaplin ma!!!