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Teahupoo : la famille d'accueil humiliait et maltraitait ses pensionnaires handicapés


Des peines de 2 ans de prison avec sursis à 2 ans de prison ferme ont été prononcées contre la famille d'accueil maltraitante de Teahupoo.
Des peines de 2 ans de prison avec sursis à 2 ans de prison ferme ont été prononcées contre la famille d'accueil maltraitante de Teahupoo.
PAPEETE, le 31 mai 2016 - Une mère et ses deux filles ont été condamnées, ce mardi devant le tribunal correctionnel, pour avoir fait vivre un enfer à une dizaine de personnes handicapées mentales placées dans leur famille d'accueil par les affaires sociales. Violences, mutilations, sévices sexuels, leur calvaire aura duré trois ans. Jusqu'aux révélations de l'une de leur principale victime, à bout.

Les faits jugés ce mardi par le tribunal sont anciens. Ils ont été commis entre 2005 et 2008. Mais l'enquête a nécessité de longues investigations. Des dizaines de personnes handicapées mentales sous tutelle à entendre, les suspects bien sûr à confronter, mais aussi tous les acteurs de la chaîne sociale et médicale à interroger, et dont le procureur de la République n'a pas manqué de fustiger "l'immobilisme", "les errements et les défaillances". Médecins, délégué à la tutelle, infirmières, affaires sociales, tout le monde en a pris pour son grade : "D'après les constatations du docteur qui a examiné les victimes dans le cadre de l'enquête, on aurait dû se poser des questions et s'intéresser à leur sort dès 2004" déplore le représentant du ministère public.

Il aura finalement fallu attendre trois ans et la fin de l'année 2008 pour qu'une pensionnaire, elle-même maltraitée et n'en pouvant plus, se décide à briser la loi du silence. Et ses révélations, corroborées ensuite par ses compagnons d'infortune, font froid dans le dos. Les violences étaient quotidiennes au sein de cette famille d'accueil qui entretenait de front dans sa villa de Teahupoo, "et de façon disproportionnée" selon un médecin interrogée pendant l'enquête, jusqu'à quinze pensionnaires atteints de pathologies lourdes.

Coups de balai niau, griffures au visage, brûlures volontaires, surdose médicamenteuse, fractures des os de la main, traumatismes faciaux, l'un des pensionnaires a même perdu l'usage d'un œil tant il aurait reçu de coups au visage. Neuf victimes présentaient toutes un effrayant point commun : une déformation irréversible du cartilage auriculaire. On apprendra que l'une des filles forçait l'une de ses pensionnaires, celle qui dénoncera les mauvais traitements, à leur tirer régulièrement les oreilles en guise de punition. Mais la liste est loin d'être finie. Certains étaient attachés et enfermés dans un cagibi la nuit avec les chiens. Privés d'accès aux toilettes, ils étaient priés de faire leurs besoins dans une boîte d'ice cream. Selon les victimes, il arrivait qu'on leur renverse ensuite leurs excréments sur le corps.

"On s'est laissé dépasser"

"On mesure le degré de civilisation d'un peuple à la manière dont il traite ses fous" fait remarquer le représentant du ministère public. "Cette famille est au degré zéro de la civilisation". "Ce dossier fait frémir", lâche le président du tribunal qui précise pourtant en avoir vu d'autres en quarante ans de carrière. La mère et ses filles, elles, reconnaissent a minima avoir porté quelques coups. Mais rejettent les accusations les plus sordides. Après les avoir pourtant reconnues dans le bureau du juge d'instruction lors de l'enquête. "J'étais à bout de nerfs, fatiguée", s'excuse l'une des prévenues qui admet avoir "tapé". "Certains individus étaient très difficiles, et ils avaient été placés par les affaires sociales dans notre famille contre notre avis", se défend l'autre sœur, "on a été dépassé par les événements".

Alors dans ce cas, "pourquoi ne pas en avoir fait le constat et appeler au secours !" s'emporte l'avocat des parties civiles. "On peut légitimement se demander si tout ça n'a pas été fait pour avoir d'avantage d'argent…" s'interroge, faussement naïf, le président du tribunal. Entre les aides versées par la CPS et l'association Tutelger, chaque pensionnaire "rapportait" en effet 85 000 francs mensuels à la famille d'accueil. Les prévenues ne bronchent pas, continuent de nier les accusations les plus graves. Laissent entendre que leurs victimes se tapaient souvent entre elles pour expliquer leurs séquelles. Et que de guerre lasse, elles laissaient faire. Quand elles n'encourageaient pas la plus violente de leurs malades à faire violemment la police, menaces de représailles à l'appui. Un scenario qui a eu du mal à convaincre.

Une accumulation de témoignages

"Ce qui frappe dans ce dossier c'est l'accumulation des témoignages, autant de personnes ne peuvent pas toutes raconter n'importe quoi", fait remarquer le président du tribunal. Et le parquet d'abonder dans son sens, rappelant que les experts psychiatres n'ont pas décelé de tendance à l'affabulation chez les victimes. Des victimes qui avaient aussi précisé qu'on les maquillait pour cacher les coups à chaque visite des affaires sociales, qu'on leur demandait de porter casquettes et colliers de fleurs et de dire que tout allait bien.

Après plus de cinq heures d'audience, le tribunal a finalement condamné les deux sœurs à 4 ans de prison dont 2 ans avec sursis pour l'une, et 3 ans avec sursis pour l'autre. La mère écope quant à elle de 2 ans de prison avec sursis. Elles ont aussi l'interdiction définitive de redevenir famille d'accueil. A noter que le mari d'une des deux sœurs, poursuivi lui aussi dans ce dossier mais pour agression sexuelle et abus d'autorité, a été condamné à 12 mois de prison ferme. Il a été reconnu coupable d'avoir forcé l'une des pensionnaires, ancienne prostituée, à pratiquer des fellations sur trois autres malades. Il a nié les faits. La famille a dix jours pour faire appel.

Le nouveau tuteur des victimes, lui, a conclu l'audience sur de bonnes nouvelles : ses protégés ont été déplacés dans d'autres familles depuis "et tout se passe enfin très bien : ce sont des gens qui ont besoin de sentir de l'amour".


Rédigé par Raphaël Pierre le Mardi 31 Mai 2016 à 18:00 | Lu 18648 fois