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Tea Frogier « Nous devons travailler à rendre les personnes employables de manière durable »


PAPEETE, le 04 décembre 2017 - Tea Frogier, ministre du travail, de la formation professionnelle et de l’Education, a accepté d’évoquer les grandes orientations qu’elle réserve à ses portefeuilles pour l'année 2018. Cette année sera marquée par la poursuite des grands travaux de rénovation des établissements scolaires, mais aussi la réforme du code du travail ou encore, la lutte contre le travail illégal...

Le document d'orientation budgétaire (DOB) évoque un programme d'investissement public avec près de 26 milliards de crédits de paiements nouveaux en 2018. Quelle part de ces investissements ira au Ministère du Travail, de la Formation professionnelle et de l'Éducation ? Qu'est-ce qui sera priorisé ? Est-ce suffisant ?

On doit être à 3,4 milliards de francs pacifiques. On parle des nouveaux crédits de paiement, cela ne concerne pratiquement que l'éducation et les opérations d'éducation qui verront les plus gros investissements. Si on prend le portefeuille travail, il n'y a pas d'opérations d'investissements puisqu'on se consacre essentiellement à la réglementation du travail, et à la mise en place et l'adaptation. Il n'y pas de grosse opération immobilière sur la direction du travail. Il y a une enveloppe également au niveau du service de l'emploi, de la formation et de l'insertion professionnelle, c’est une petite opération d'investissement qui est vraiment minime d'une quarantaine de millions de francs pour une base de données, gestion des dispositifs au niveau du SEFI.
L'enveloppe est suffisante puisque les investissements en matière d'éducation sont déjà programmés pour les années à venir. Ces travaux lourds sont donc programmés sur plusieurs années. Ça ne sert à rien de demander trop d'argent, si derrière nous ne sommes pas en capacité de mettre en œuvre l'investissement.
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Les secteurs du travail et de l’éducation seront-ils des points d’attention forts du budget 2018 ?
Il n’y a pas de portefeuille plus important qu’un autre. J’ai une stratégie sectorielle pour chacun de mes portefeuilles. Je fonctionne avec le même schéma pour l’ensemble de mes portefeuilles. J’établis des objectifs, un plan d’action avec une programmation et un échéancier. Il faut avoir une politique sectorielle pour chaque ministère. Chacun a sa mission à remplir.

Quels sont vos objectifs et priorités pour 2018 ?
En matière de travail, nous avons quatre axes d’interventions. Le premier est de promouvoir la santé et la sécurité au travail. C’est ce que nous faisons depuis trois ans, avec notamment une collaboration entre la direction du travail et la caisse de prévoyance sociale sur des aspects risques professionnels et les mesures et recommandation au niveau de la sécurité et la santé au travail.
Le deuxième axe est de garantir l’effectivité du droit. On est bien sur un schéma pour garantir le respect du Code du travail.
Le troisième axe d’intervention est de promouvoir le dialogue social, c’est-à-dire réunir les partenaires sociaux : employeurs et salariés pour pouvoir faire évoluer de manière cohérente et équitable le droit du travail. Nous sommes bien dans le schéma de la réglementation du droit du travail. Ce droit du travail, nous devons le construire avec nos partenaires sociaux, que ce soit les employeurs ou les salariés. Nous avons su créer une plateforme de dialogue et d’échanges.
Le quatrième axe, c’était de réduire le travail illégal. Il y a un texte, élaboré dans le cadre des réflexions bipartites, qui devrait être présenté à l’assemblée de Polynésie prochainement.


TRAVAIL

Comment le ministère va-t-il lutter contre le travail illégal ? Quels sont les outils qui seront mis en place à cet effet en 2018 ?
Le travail illégal ou travail dissimulé est une problématique qui revient sur le devant de la scène. Afin de lutter contre ce travail illégal, nous avons élaboré un texte qui sera présenté prochainement à l’assemblée de Polynésie française. Nous avons travaillé sur la définition du travail illégal et du travail dissimulé, la différence entre les deux notions et mis au point un certain nombre de dispositions. Nous avons également travaillé sur la question des patentés au sein des entreprises.

L’emploi salarié est en hausse de 2,4% ce qui est bien, quels sont les objectifs du ministère en matière de soutien à la création d’emploi et de garanties de l’employabilité durable ?
Nous devons travailler à rendre les personnes employables de manière durable en regardant les besoins du marché. Là encore, nous travaillons sur quatre axes.
Le premier est d’améliorer le service public de l’emploi en favorisant l’accompagnement des entreprises et des chercheurs d’emploi. Cela implique que nous nous inscrivons dans une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences.
Ensuite, nous anticipons et nous nous projetons dans l’avenir en nous demandons quels sont les profils dont nous aurons besoin à l’avenir afin de planifier les formations. En étudiant bien le marché nous détectons quels seront les besoins du marché du travail dans l’avenir et adaptons les formations en fonction, afin d’assurer des emplois durable aux Polynésiens.
Nous avons également mis en place des aides à la conclusion de contrats à durée indéterminée. Je parle de toutes les mesures d’aide au contrat de travail (ACT, ACT Prim, ACT Pro…),
Nous devons également, favoriser la professionnalisation de nos jeunes grâce à l’alternance par la formation professionnelle. {…} Ce type de formation apparaît adaptée, car cela leur permet d’avoir les bonnes pratiques tout en découvrant le milieu professionnel par la pratique. J’ai voulu dès le départ accentuer sur la formation en alternance, c’est un schéma qui est bien adapté au monde du travail.
Enfin nous nous devons d’encourager l’entreprenariat. Il y a un dispositif qui s’appelle l’ICRA qui est géré par le SEFI. C’est une initiative pour la création et la relance d’activité. Cela vient aussi compléter, un accompagnement pour des personnes qui ont une idée d’activité et pourront bénéficier d’une aide pour la création d’une entreprise.

Quelles seront les orientations du SEFI pour 2018 ? Comptez-vous améliorer les outils de communications du SEFI pour faciliter la recherche d’emploi et la mise à disposition des offres pour les entreprises ?
Il est vrai que les missions du SEFI restent les même. Nous sommes dans une recherche de performance au niveau du service public. Les chantiers sur lesquels j’ai placé le SEFI sont une amélioration du service public, notamment en développant un certain nombre d’outils informatiques au-delà d’une simplification des procédures d’instruction des demandes et des dossiers.
Le SEFI devra, également, mettre en œuvre un outil de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. C’est important parce qu’il faut préparer l’avenir et il faut anticiper les besoins du marché. {…}
Enfin, le SEFI a aussi une mission de formation professionnelle. J’ai demandé au SEFI d’être véritablement un service de la formation professionnelle et de ne pas simplement de limiter son action à la formation professionnelle des demandeurs d’emploi. Pour moi avoir développer la formation professionnelle est le troisième gros objectif du SEFI pour 2018.

50% des demandeurs d’emploi ont moins de 30 ans, comment lutter contre le chômage des jeunes en Polynésie ?
En arrivant, j’ai demandé à avoir des chiffres afin d’avoir une visibilité sur le profil de nos chômeurs. Aujourd’hui, seulement 20% des chômeurs n’ont aucun diplôme. C’est pourquoi, j’ai demandé au SEFI de penser en termes de « parcours sécurisé de formation » afin de bien identifier les profils des demandeurs d’emploi. Il y aura deux catégories de demandeurs d’emploi, ceux avec qualification et ceux sans qualification et sans expériences, avec deux sous-catégories où une maîtrise les savoirs de base et l’autre non. L’objectif est une insertion professionnelle.
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On parle souvent de société d'assistés, mais n'avez pour pas peur de créer un système ou les entreprises ne seront pas capables d'embaucher sur le long terme sans aide du Pays ?

La stratégie était de proposer une aide publique pour les contrats à durée indéterminée. Cette aide publique sera conditionnée à la conclusion d'un CDI. L'employeur embauche un salarié en CDI. L'incitation, est de prendre en charge les cotisations patronales pour une période de deux ans, mais le patron paie le salaire de son employé. En définitive, c'est une toute petite partie que l'aide vient prendre en charge. Nous sommes bien dans une mesure incitative qui aide les patrons à sauter le pas et non dans de l'assistanat.


FORMATION PROFESSIONNELLE

Manque-t-on de formations et de centres de formation dans notre pays ?
Le fait de récupérer l'éducation m'a permis d'avoir une vision globale de l'offre de formation en Polynésie française. On ne peut pas tout avoir en Polynésie française et on ne peut pas créer des structures pérennes pour toutes les filières vu la configuration du territoire et du marché du travail local. On ne peut pas tout mettre en place. Nous faisons en sorte d’être cohérents avec les besoins du marché du travail local pour ce que nous avons en termes d'outils de formation professionnelle.

Comment faire pour avoir des diplômes en phase avec les évolutions du monde du travail ?
C'est pour cela que nous avons mis en place l' « outil de gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences». Cet outil va nous permettre d'anticiper des besoins. Nous ne pourrons pas absorber sur notre marché l'ensemble des diplômés polynésiens, mais on pourra les éclairer sur les secteurs d'avenir.

Pourquoi vouloir favoriser l'alternance et la Convention d'accès à l'emploi professionnel (CAE Pro)?
La formation en alternance nous l'avons aussi sur les voies généralistes. Cela fait partie des dispositions que j'ai souhaité développer et mettre en œuvre. Les entreprises m'ont suivie sur ce volet-là. Le fonds paritaire de gestion m'avait approchée à l'époque, ils sont venus me voir en me disant qu'ils voulaient que l'on développe l'ACT Pro. Le schéma de professionnalisation, c'est ce que je voulais décliner aussi au niveau des stages. Le but était d'intégrer en plus du stage, une formation qualifiante.

Vous parlez de ne pas former les futurs chômeurs, mais préparer des jeunes au secteur de la perliculture qui est un secteur en crise, n'est-ce pas justement former des futurs chômeurs ?
Le secteur a subi une crise effectivement. Aujourd'hui nous revenons sur un schéma sain avec la réforme. Le secteur est restructuré, il repart sur de bonnes bases donc, demain il ne devrait pas y avoir de difficultés. C'est un secteur qui va perdurer. Il faut voir que la problématique n'est pas la même entre Tahiti et les archipels. L'emploi va dépendre des spécificités des secteurs de développement économique de nos iles.

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EDUCATION

Quels sont les grands chantiers de l'éducation en Polynésie pour 2018 ?
Je reviens du dialogue de gestion avec le ministère de l'Éducation nationale. Il y avait déjà une volonté de dire que la charte de l'éducation qui a été adoptée par l'Assemblée de Polynésie en juillet 2017 est un outil important. Elle affirme que l'Éducation est une priorité de la Polynésie française. Comme c'est une priorité, elle s'implique dans une dynamique de performance et d'efficience. {…}Notre système éducatif doit être dans une logique de performance. Dans la configuration du territoire, nous avons deux choses, l'accord de l'Élysée de mars 2017 et les réflexions qui sont menées dans le cadre des assises de l'outre-mer. Ces deux éléments mettent en exergue la volonté de la Polynésie française de s'inscrire dans une application de l'égalité réelle, y compris en matière d'Éducation. Sachant cela, et notamment quand on regarde manière plus précise le territoire il y a quatre axes d'actions que nous souhaitons développer.
Nous voulons développer l'École numérique. On voit bien que c'est une réponse au désenclavement des archipels. Le numérique est une réponse qui semble très adaptée à la configuration de notre territoire.
Ensuite, pour ce qui concerne le cycle 3 (CM1, CM2, 6e), quand on regarde la configuration de notre territoire, on remarque que nous avons des écoles de premier degré qui sont implantées sur l'ensemble du territoire. Par contre lorsqu'on bascule du côté des collèges, on remarque que le maillage est moins dense. On a deux collèges aux îles Marquises, deux aux Australes. Nous n'avons pas la même configuration. L'idée que nous avons souhaité exposer au ministère de l'Éducation nationale qui a reçu un bon accueil était de proposer une finalisation du cycle trois à l'école, par la mise en œuvre de la sixième à l'école. Cela permettrait de retarder d'un an le départ et l'éloignement de la famille d'un an. Évidemment, cela ne pourra se faire qu'une fois le câble domestique mis en place, en 2019. Rien n'empêche que l'on démarre d'ores et déjà l'expérimentation. On devra entrer dans un nouveau schéma de gouvernance. Le référent administratif restera le principal du collège, il sera en lien avec le directeur de l'école et le professeur des écoles. Le responsable de la pédagogie restera l'inspecteur de l'Éducation nationale. Pour que ce système fonctionne, il faudra qu'il y ait un lien entre le principal du collège, IEN et le directeur de l'école et le professeur des écoles. L'intérêt que je vois c'est que cela permet de retarder d'un an la séparation avec les familles. Pour l'intérêt de l'élève, tout le monde y mettra du sien, j'en suis convaincue.
Deux autres aspects sont importants, on parlera de bien-être et vie scolaire pour renforcer la persévérance scolaire. En effet, elle permet de lutter contre le décrochage scolaire et contre l'illettrisme. Pour favoriser la persévérance scolaire, il faut qu'il y ait de bonnes conditions en termes de transport scolaire, mais aussi en termes de construction scolaire. Pour les transports scolaires, j'ai tenu à remercier la participation de l'État qui est de 25%. Cette participation de l'État nous permet de libérer ce budget à d'autres activités, dont des dispositifs en internat, la mise en place d'activité et projet de loisir éducatif en internat.
Le dernier point en termes de vie scolaire, c'est tout ce qui est construction scolaire avec le vaste plan de réhabilitation et construction. Là encore, il y a une participation de l'État de 2,5 millions d'euros par an pour la réhabilitation et la rénovation de nos établissements scolaires. Il y a trois opérations que Nicole Sanquer a réussi à négocier dans le cadre du plan d'investissement d'avenir. Le dispositif "internat d'excellence" permet à trois internats de Polynésie (Faa'a, Mahina qui bénéficiera d'une extension et celui des Marquises) qui pourra bénéficier de ces investissements.
Le ministère de l'Éducation s'est engagé dans une démarche de rationalisation des moyens et véritablement de rechercher une efficience des moyens. Nous sommes dans un schéma de performance, mais aussi d'évaluation de rapport cout efficacité.

Comment atteindre l'objectif « une école pour tous, une école performante, une école ouverte » ?
La politique éducative, je ne reviens pas sur les grands principes que j'ai énoncés plus haut. « Une école pour tous », renvoie à l'obligation scolaire jusqu'à 16 ans, c’est-à-dire la lutte contre le décrochage et lutte contre l'illettrisme. Nous nous attachons à la réussite pour tous, {…}.
« L'école performante » est de pouvoir garantir les connaissances et performances de base. C'est également tout ce qui est la qualité de l'enseignement, l'élévation de l'ensemble des qualifications, c'est tout ce qui concerne la recherche et l'innovation pédagogique, c'est une meilleure orientation pour chaque élève. Tout cela doit s'appuyer sur les réalités polynésiennes.
« L'école ouverte », c'est à aussi l'implication des familles, avec l'idée d'avoir une salle dans chaque établissement qui pourrait accueillir les parents de manière à ce que les parents aux côtés de la communauté éducative. Il y a aussi le volet interaction et une ouverture sur un mon professionnel et le Pacifique.
Ces grands principes sont déjà déclinés en mesures et actions, ils seront poursuivis.

Comment le ministère va-t-il lutter contre le décrochage scolaire ?
Il y a justement cette mission de lutte contre le décrochage scolaire. Nous avons diminué par deux le taux de décrocheurs en mettant en place cette mission et un certain nombre d'actions qui en découle. Nous sommes passés de 100 décrocheurs enregistrés à 470 en un an. Pour la lutte contre le décrochage scolaire, la mission que nous avons mise en place, elle a mis en place un certain nombre d'action qui ont déjà fait effet. 470 décrocheurs, ça reste encore beaucoup. La mission poursuit son action. L'idée est de démultiplier l'action, en mettent en place des référents dans les établissements. En signalant l'absentéisme des élèves entre autres.

Quelles solutions propose le ministère pour lutter contre l'absentéisme des professeurs ? Notamment en fin d'année…

J'avais déjà insisté la dessus. On parle toujours des quelques moutons noirs. Je tiens à préciser que l'absentéisme chez les professeurs n'est pas à des taux importants, les absences des professeurs ne sont pas là règle. Nous avons un corps enseignant qui a choisi ce métier et qui exerce en grand professionnel. C'est leur cœur de métier et ils l'exercent au mieux.



Rédigé par Marie Caroline Carrère le Lundi 4 Décembre 2017 à 16:31 | Lu 2843 fois