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Stéphane Brouttier : "J'aimerais qu’on me laisse importer des semences d’abeilles"


Stéphane Brouttier : "J'aimerais qu’on me laisse importer des semences d’abeilles"
Papeete, le 1er août 2015 - Stéphane Brouttier est apiculteur depuis 35 ans. A l'occasion des différentes dispositions prises récemment par le ministère de l'Agriculture concernant le miel (voir encadré), il a tenu à "remettre les choses en place, dans leur contexte". Interview près de ses ruches de Tipaerui.

L'importation de miel a été interdite pendant de nombreuses années en Polynésie à cause notamment de la loque américaine…

Tahiti et Moorea était infestée de loque américaine il y a 25 ou 30 ans quand on importait des reines des abeilles de Nouvelle-Zélande ou de Hawaï. Officiellement, elle existe toujours. Officiellement je dis. Pour moi, les ruches sont désormais saines mais nos techniciens du service de développement rural (SDR) ne veulent pas prendre la responsabilité de déclarer Tahiti et Moorea indemnes de loque américaine. La loque est un bacille qui tue les larves avant la naissance et qui se développe dans les ruches.

Vous dites que la loque américaine a disparu, pourquoi ?

La loque a disparu à Tahiti il y a 15 ans, quand j’ai fait venir une souche d’abeilles, la carniolienne, une espèce d'abeilles qui ne déclare pas la maladie. C'était sous forme de semences de mâles, en provenance de Belgique, suite à un stage au cours duquel j’ai appris l’insémination artificielle. Aujourd'hui, nous sommes en fin de processus, c’est-à-dire que génétiquement, nos abeilles sont fatiguées, elles sont de plus en plus petites car il y a eu un métissage et un croisement énorme. Elles sont de moins en moins productives. Les abeilles se servent de leur langue pour aller chercher le nectar dans les fleurs et si leur langue est trop petite, elles n'ont plus accès à certaines fleurs.
La production de miel continue chuter à Tahiti en dépit du fait que beaucoup de jeunes se sont lancés dans l’apiculture. Comme ils élèvent des reines à partir de n’importe quoi, ils auront n’importe quoi ! Ils ne savent pas faire de sélection, donc ils ne font pas de sélection. Génétiquement, ils auront des abeilles qui ne tiennent pas la route. Depuis deux ans, je tire la sonnette d'alarme à ce sujet.

La solution : importer des semences d'abeilles

Où en est votre production ?

Justement, depuis deux ans, ma production s'écroule. Nous n'arrivons pas à savoir si c'est à cause de la génétique ou des produits épandus. A Tetiaroa (Stéphane Brouttier a aussi des ruches sur cet atoll), où il n'y a pas de traitement, je fais une récolte par mois. A Tahiti, c’est au maximum deux récoltes par an. Avant, j’arrivais en moyenne à tourner entre 60 et 80 kilos de miel par ruche et par an. Maintenant j’arrive difficilement à 30 – 40 kg pour les deux dernières années.

Pour vous, importer des semences d'abeilles de souche saine est une solution ?

Ce n'est pas une solution, c'est LA solution. J'aimerais qu’on me laisse importer des semences d’abeilles de souche carniolienne. Ensuite, je ferais les inséminations. La deuxième solution consiste à arrêter de pulvériser des produits tels que la deltaméthrine (pour lutter contre les moustiques).


Vous avez vos ruches installées à Tetiaroa, à la demande de Dick Belley, du groupe Pacific Beachcomber. Que produisez-vous là-bas ?

Tous les 15 jours, je vais à Tetiaroa. Mon objectif c’est refaire une insémination pour préserver une souche d’abeilles à Tetiaroa parce que c’est un milieu fermé et je sais que personne n'ira introduire d’autres espèces que moi. Après, j'espère vendre ces reines des abeilles aux gens des états insulaires du Pacifique, hors Polynésie, infestées par la loque. Moi, je fais de l’élevage de reines mais officiellement, il n'y en a pas.

Les importations vont s'ouvrir au miel ionisé pour éviter l'apport de maladie, qu'en pensez-vous ?

On m’a expliqué comment fonctionne l'ionisation : ils ont une piscine avec des sources radioactives dedans et ils mettent en contact les produits comme le miel avec la source radioactive. Tout simplement. Moi je vais dire une chose : les Polynésiens sont des moutons. On leur a toujours fait croire que les tests nucléaires étaient inoffensifs, ils l'ont toujours cru. Aujourd’hui, on va leur dire que le miel ionisé est inoffensif.

Certains consommateurs ont également peur que le miel de synthèse provenant de Chine s'installe dans les rayons.

Le miel de synthèse est artificiel, il n'est pas issu des abeilles. C’est souvent un sirop de maïs qui a la couleur du miel et qui a le gout du miel. Ils se sont aperçus que c'était du miel de synthèse en métropole car ils ne retrouvaient pas d’enzymes dans le miel provenant de Chine. En effet, les abeilles recrachent une multitude de fois le miel, c'est pourquoi on y retrouve des enzymes. Après ça les Chinois ont renvoyé du miel avec enzymes mais des enzymes humaines …

Ce qui a été autorisé par le ministère de l'Agriculture ces deux dernières semaines

- Le miel et la gelée royale traités par irradiation pourront être importés quel que soit le statut sanitaire du pays d’origine, traitement autorisé par le code de l'OIE (organisation mondiale de la santé) depuis le 15 juillet 2014. Des conditions sanitaires sont rajoutées pour le pollen d’abeilles.

- De nouvelles maladies émergentes non encore listées par l’OIE atteignent la santé des abeilles dans le monde. L’importation de reines d’abeilles constitue donc un risque important d’introduction de maladies pour les abeilles de la Polynésie française. Les nouveaux dispositifs exigeront que les semences d’abeilles proviennent d’un pays indemne de varroase.

Zoom sur l'ionisation du miel

- L'ionisation se pratique à hauteur de 10 kilogray dans des laboratoires certifiés. Un procédé qui permet de réduire le nombre de micro-organismes, notamment les spores de loque américaine. L'ionisation s'applique déjà sur la cire d'abeilles, le procédé est plus rare pour le miel.
- En métropole, les denrées ionisées sont majoritairement les cuisses de grenouille congelées (370 tonnes en 2013), les herbes aromatiques séchées, épices et condiments (314 tonnes), et la viande de volaille (7 tonnes), selon la Direction de la consommation en France (DGCCRF).

Qu'est-ce que la loque américaine ?

La loque peut être transmise par les abeilles, par du matériel d'apiculture contaminé ou par le miel. La loque américaine est une maladie infectieuse et contagieuse de l’abeille causée par une bactérie appelée Paenibacillus larvae. Celle-ci s’attaque aux larves. La gravité de la maladie vient de la difficulté à se débarrasser des spores de P. larvae qui sont une forme de résistance de la bactérie.
Cette maladie ne rend pas le miel impropre à la consommation humaine, cependant il peut prendre une odeur et un goût désagréables. Attention car le miel est contaminant pour les abeilles, il ne doit pas être utilisé pour les nourrir.

Pour développer la production de miel en Polynésie, le service de développement rural (SDR) propose d'intensifier l'installation d'apiculteurs avec de nouvelles ruches. En les aidant notamment à acquérir du matériel, en les accompagnant et en suivant leur activité. Le SDR donne délivre également des conseils sur les pratiques apicoles.

En 2014, on recense 242 apiculteurs polynésiens (professionnels et amateurs), soit plus de 2800 ruches et une production estimée à 80 tonnes.

Rédigé par Noémie Debot-Ducloyer le Samedi 1 Août 2015 à 16:15 | Lu 4036 fois