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Relancer les privatisations, une idée pas si simple à mettre en oeuvre


Paris, France | AFP | vendredi 02/12/2016 - Comment relancer l'investissement public quand on est endetté? En procédant à "des privatisations", estime François Fillon, qui promet de sortir l'Etat des entreprises où il n'est pas "nécessaire" en cas de victoire à la présidentielle. Un projet en théorie possible, mais qui se heurte à de nombreux obstacles.

- Que possède l'Etat aujourd'hui? -
L'Etat français est présent au capital de 81 entreprises, via l'Agence des participations de l'Etat (APE). La valeur de son portefeuille représentait fin avril près de 90 milliards d'euros, dont 62,8 milliards dans des sociétés cotées.

Parmi les entreprises concernées figurent plusieurs poids lourds du CAC 40, comme Orange, Airbus ou PSA. Le montant des participations est toutefois variable: l'Etat possède 32,8% du capital d'Engie, 19,7% de Renault, mais 85,3% d'EDF et 100% de la SNCF.

Le portefeuille devrait en outre augmenter l'année prochaine avec le renflouement d'EDF et Areva, en proie à des difficultés financières, qui seront compensées en partie seulement par de nouvelles cessions.

Car "les privatisations n'ont jamais été arrêtées" ces trente dernières années, observe Elie Cohen, économiste au CNRS, qui rappelle que l'Etat s'est récemment désengagé des aéroports de Toulouse et de Nice.

- Quelles sont les cessions possibles? -
Selon François Fillon, "l'Etat n'a pas vocation à rester durablement au capital d'entreprises qui sont dans le secteur commercial, dans le secteur concurrentiel".

ADP, Engie, Orange... "Sur le papier, plusieurs entreprises pourraient être vendues sans que cela donne lieu à des drames épouvantables", car elles "sont suffisamment solides pour fonctionner sans le soutien de l'Etat", déclare Henri Sterdyniak, économiste à l'OFCE. "La question, c'est à quel prix et à qui les vendre?"

Pour Philippe Aghion, professeur au Collège de France, "il n'y a aucune raison qu'il y ait une participation publique" dans des entreprises comme les Chantiers de l'Atlantique ou Renault.

L'Etat était monté au capital de la marque au losange en 2015, tout en assurant que cela n'était que provisoire. Mais les fluctuations du cours de la Bourse, dans le sillage de l'affaire Volkswagen, ont poussé le gouvernement à différer la revente des titres.

- Quels sont les obstacles? -
"Un certain nombre d'entreprises ne peuvent pas être gérées sur de seuls critères financiers, parce qu'elles jouent un rôle stratégique", à l'image d'EDF, observe M. Sterdyniak.

Et même si certaines entreprises n'ont pas un intérêt stratégique particulier, il faut se demander si en cédant sa participation, l'Etat ne risque pas de voir passer certains fleurons sous pavillon étranger, prévient M. Cohen.

Autre problème: celui du cours de la Bourse. "Il faut vendre bien", autrement dit à bon prix, convient M. Aghion.

La valeur du portefeuille coté de l'APE, qui comprend 13 entreprises, a ainsi baissé de 23% en 2015 du fait de l'effondrement des valeurs énergétiques, rendant moins opportune la cession de certaines participations.

Enfin, pour des sociétés comme la SNCF ou la Poste, "il y a des risques de conflits sociaux évidents", remarque M. Sterdyniak.

- Relancer les privatisations a-t-il un sens économique? -
Pour Philippe Aghion, oui, si l'on adopte le point de vue des entreprises. Les groupes ont "besoin d'objectifs de long terme. Or quand l'Etat s'en mêle, il introduit des considérations de court terme", assure l'économiste, citant le cas de la SNCF, mise à contribution pour sauver le site Alstom de Belfort.

Pour l'Etat, pas sûr en revanche qu'une relance des privatisations soit judicieuse, du moins actuellement. "En théorie, céder des titres permet de se désendetter. Mais aujourd'hui, l'Etat s'endette à 1% seulement, et cela devrait encore continuer. Du coup, vendre actuellement n'aurait pas de sens", juge Henri Sterdyniak.

Autre élément à mettre dans la balance: les dividendes potentiels auxquels on renonce en privatisant. A court terme, "on peut faire une bonne opération", mais ce n'est pas forcément le cas "sur le long terme", souligne l'économiste. Surtout si le prix de vente est sous-évalué, comme ce fut le cas avec les sociétés d'autoroutes en 2006.

Pour Elie Cohen, l'intérêt d'une privatisation dépend néanmoins des besoins du moment. "Si l'Etat veut privatiser, c'est qu'il estime qu'il a des besoins financiers maintenant, et pas d'un flux continu de revenus pour les 10-15 prochaines années."

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Rédigé par () le Vendredi 2 Décembre 2016 à 05:56 | Lu 379 fois