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Quatre ans de prison avec sursis et interdiction d'exercer pour l'avocat Bruno Loyant


PAPEETE, le 6 décembre 2016- Quatre ans de prison avec sursis et mise à l'épreuve pendant 3 ans, 5 millions de francs d'amende, et interdiction définitive d'exercer la profession d'avocat. Le tribunal de Papeete a rendu son délibéré ce matin à l'encontre de Bruno Loyant. L'avocat de 61 ans, suspendu de ses fonctions depuis plus d'un an par le conseil de l'ordre avait été renvoyé devant le tribunal correctionnel le 21 septembre dernier pour "escroquerie sur personne particulièrement vulnérable". Son avocat Me Piriou "a pris acte de la décision" et "va en faire part à son client" avant d'éventuellement faire appel. Il a dix jours pour le faire.

Figure atypique du barreau de Papeete, qu'il avait rejoint au début des années 80, Bruno Loyant, 61 ans, casier judiciaire vierge et jouissant d'une bonne réputation, était jugé le 21 septembre dernier pour des faits d'escroquerie sur personne vulnérable. Les victimes sont deux anciens clients. L'un est déficient mental grave, l'autre, en grande précarité, gère tant bien que mal le quotidien. Deux frères polynésiens au parcours de vie terrible dont l'avocat s'était occupés dès 1997, alors qu'ils étaient encore mineurs, obtenant la condamnation de leur grand-mère pour des faits de maltraitance et une indemnité de l'ordre de 800 000 francs.

L'affaire aurait pu en rester là si le conseil ne s'était pas lancé dans un combat, noble, que d'aucun pensait perdu d'avance à l'époque : faire reconnaître par la justice qui n'en faisait pas grand cas, et indemniser en conséquence, outre les préjudices physiques, les préjudices psychologiques graves et permanents endurés par cette catégorie de victimes de violences intrafamiliales, légion en Polynésie française.

A la surprise générale, et après avoir porté le dossier de ses deux clients devant la commission d'indemnisation des victimes (CIVI) puis devant la cour d'appel, Me Loyant allait obtenir gain de cause trois ans plus tard en 2010, avec le versement d'une indemnisation record de près de 36 millions de francs pour les deux mineurs, devenus majeurs. L'histoire est belle et le travail de l'avocat reconnu par tous, c'est quand il s'est agi de recouvrer ses honoraires que le vin a tourné au vinaigre.

En septembre 2013, après des années d'infructueuses recherches, dit-il, pour retrouver les deux hommes sans adresse connue et plus ou moins à la rue, l'avocat parvient finalement à les réunir dans son cabinet. L'accusation soutient qu'il leur aurait alors forcé la main pour signer sans délai de réflexion suffisant ses conventions d'honoraires. Des honoraires portant tout de même sur 40 % des indemnités à percevoir, soit près de 15 millions de francs sur les 36 millions promis, quand l'usage faisait état de 10 % à percevoir sur les dommages et intérêts à l'époque. L'avocat était allé jusqu’à antidater la copie d'un document "perdu" quatre ans plus tôt et valant pour accord selon lui. Il les avait accompagnés à la banque pour superviser les opérations, jusqu'aux signatures sur les ordres de virement, après leur avoir "fait signer beaucoup de papiers" a naïvement raconté l'un des deux frères mardi à la barre dans un français plus qu'approximatif. Ce dernier, s'il avait bien confirmé à l'avocat être prêt à faire "50/50" quand on lui avait annoncé la bonne nouvelle, n'avait manifestement ni toutes les cartes en main, ni la pleine mesure de tout l'argent que cette indemnisation exceptionnelle représentait. Pas plus que de la part à laquelle il pouvait prétendre une fois ses honoraires payés.

"Maladresse", "tort sur le montant de ses honoraires", "faute déontologique" d'un avocat voulant se récompenser "par fierté" du travail accompli, seul, pendant toutes ces années sur ce dossier, l'ancien bâtonnier Me Piriou, avocat de Bruno Loyant, a défendu son confrère pendant près de deux heures mardi soir. "Il n'a pas agi par appât du gain. Il n'en a pas besoin. Son cabinet tourne. Il a bonne réputation. C'est un homme passionné qui aime les gens et son métier".

Et le conseil de rappeler que son confrère, un temps menacé, dans cette affaire, de radiation à vie sur décision du conseil de l'ordre des avocats du barreau de Papeete, purge jusqu'en 2018 une suspension de son activité ramenée à 3 ans par la cour d'appel : "C'est la double peine au pénal (…) Il a commis des fautes disciplinaires, jamais contestées. Il a été sanctionné, mais la prison ferme, l'interdiction définitive d'exercer, c'est la peine de mort professionnelle et sociale".

A l'audience, le vice-procureur Monique Rouzaud, représentant du ministère public, n'y était pas allé avec le dos de la cuillère : "M. Loyant a agi à la hussarde, c'est un avocat, un auxiliaire de justice, qui a la confiance de ses clients (…) Il discrédite le barreau, les auxiliaires de justice, c'est une honte pour la justice, une forme de trahison envers ses clients et les professionnels avec qui il travaille. Il n'y a aucune indulgence. Il faut une peine exemplaire".

Cités par la défense, trois témoins de moralité, les avocats Me Millet, Me Bouyssie et la directrice de l'association d'aide aux victimes, Cécile Moreau, étaient venus témoigner pour rappeler au tribunal l'implication connue du prévenu dans ses dossiers : un avocat "passionné", "impliqué", dont aucune des victimes qu'il avait eues à défendre jusque-là ne s'était plaint, bien au contraire. "Un avocat pas connu pour ses honoraires élevés, passionné mais pas très organisé, impliqué dans la vie associative, qui ne s'intéressait pas à ses honoraires et qui avait même tendance à oublier de facturer certains dossiers" s'est étonné l'un de ses actuels proche collaborateur.

Bruno Loyant aurait déjà restitué la somme de 11 millions de francs à ses victimes selon son avocat, qui a pris l'engagement qu'il s'acquitterait de la totalité des dommages et intérêts s'il venait à être condamné. Me Piriou, qui a par ailleurs plaidé la relaxe des poursuites sur les faits d'escroquerie aggravée, estimant que la "particulière vulnérabilité" des victimes placerait l'infraction dans le champ de l'abus de faiblesse, une qualification moindre qui aurait pu, selon Me Piriou, éviter à son client le risque de voir le jugement assorti de la peine complémentaire d'interdiction d'exercer la profession d'avocat. La cour en a décidé autrement prononçant k'interdiction d'exercer.

A noter que la mère des deux jeunes hommes, absente lors de l'audience du 21 septembre, était elle aussi poursuivie dans ce dossier pour avoir indûment prélevé 10 millions de francs en deux fois sur le compte d'un de ses fils, une fois crédité de ses dommages et intérêts. Le parquet avait requis contre elle 1 an de prison avec sursis. Ironie de l'histoire, une partie de cet argent avait été converti en cadeaux divers... destinés à la grand-mère maltraitante des deux garçons à l'origine de toute l'affaire il y a maintenant vingt ans.


Rédigé par () le Mardi 6 Décembre 2016 à 08:47 | Lu 6756 fois