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Pêche hauturière : le Pays quitte la partie et livre le secteur au Privé


PAPEETE, 10 décembre 2014 - Le gouvernement envisage la cessation d’activité de la SAS Avai’a en juillet 2015 tandis qu’une issue de secours est à l’étude concernant la société Tahiti Nui Rava’ai. Epilogue de quinze années de déconvenues, le Pays se désengage de la filière Pêche hauturière et laisse ce secteur au privé.

"On nous reproche de prendre la place du privé", note Frédéric Riveta, le ministre dans l’exécutif Fritch du développement des activités du secteur primaire. "Dans le secteur de la pêche, on va laisser œuvrer le privé". Cette déclaration, qui confirme mercredi matin une annonce faite aux représentants de l’Assemblée vendredi dernier, lors de l’examen du budget des fonds spéciaux, annonce un enterrement en catimini du programme territorial de développement de la filière Pêche hauturière polynésienne, initié au début des années 2000 à l’appui des aides de défiscalisation. Il marque le retrait du Pays via les intérêts détenus dans le capital de SEML Tahiti Nui Rava’ai (TNR) et de sa filiale la SAS Avai’a.

La zone océanique économique exclusive de 5 millions de kilomètres carrés polynésienne est potentiellement exploitée par 66 palangriers dont les deux tiers sont détenus par la SEML TNR. En 2013, le secteur enregistre 1200 tonnes de thons pêchés pour un chiffre d’affaires d’un peu plus d’un milliard Fcfp. En moyenne ramené par thonier, cela représente une production de 18 tonnes par an. On est bien loin des 11000 tonnes d’objectif pour la filière annoncés par le gouvernement à la fin des années 90. D’autant qu’il s’agissait à l’époque de développer une véritable filière à l’export de frais et de surgelés alors que, près de 15 ans plus tard, l’essentiel des thons pêchés dans les eaux polynésiennes est absorbé par le marché local.

"Le développement de la pêche hauturière, lancé au début des années 90, visait une exploitation des ressources par des bateaux et des équipages polynésiens. Force est de constater qu’en 2013, seule une partie du plan de développement a été réalisé : celle du développement de la pêche fraîche. Les bateaux polynésiens se sont spécialisés dans la pêche pour le marché local", constate pudiquement le document d’orientation budgétaire pour 2015.

En 14 ans d’existence, la SEML TNR et sa filiale, la société par actions simplifiée Avai’a, ont nécessité près de 2,3 milliards Fcfp de subvention du Pays pour des renflouements successifs.

TNR a été constituée en 2000 pour aider au développement de la flotte de pêche hauturière locale par la construction, en défiscalisation, de thoniers palangriers. Les navires sont loués jusqu'en fin de période de défiscalisation puis deviennent la propriété de leur locataire. Mais leur exploitation est un impératif.

C'est ainsi qu'apparaît la SAS Avai’a. Cette filiale a été constituée en 2006 sous la contrainte pour éviter une reprise fiscale qui a fait peser sur le Pays, l’actionnaire majoritaire de TNR (84,99%), un risque allant jusqu’à 3,5 milliards fcfp en 2007. Ce risque était lié à l'inexploitation de plusieurs thoniers défiscalisés. La SAS Avai’a a pris en charge la mise en service de thoniers de la flottille TNR encore sous régime de défiscalisation.

Les deux derniers navires sous ce statut en sortent fin mars 2015. « Je vais arrêter la SAS Avai’a, puisque l’objectif est de vendre ces bateaux », affirmait vendredi dernier Frédéric Riveta aux élus de l’Assemblée. Et de décliner le sort des 15 marins en CDD et des 11 en CDI tel qu’envisagé par le ministère : "L’idée est de négocier la vente des thoniers avec les matelots". La cessation d’activité de la SAS Avai’a est programmée pour juillet 2015.

Pour Tahiti Nui Rava’ai, engagée jusqu’en 2023 par le remboursement de 51 millions Fcfp de plus de 500 millions Fcfp d’avances sur trésorerie consenties par la Pays, la situation est moins simple. Après l’échouage d’un thonier en 2008, la société gère une flottille d’une trentaine de navires dont 26 sont loués à des armateurs privés qui en deviendront propriétaires in fine. Or "certains armateurs de paient pas", constate le ministère. La SEML enregistrerait près de 200 millions Fcfp d’impayés à ce titre.

Même pour solder ses intérêts dans la filière Pêche hauturière le Pays doit envisager de perdre encore de coquettes sommes d’argent.
"Nous sommes assis sur 5 millions de km2 d’océan, ne me dites pas que l’on n’est pas fichu d’en tirer quelque chose", a interpellé le Président Fritch, lors des débats sur cette question vendredi en séance à l’Assemblée. "Le problème", a relevé le représentant UPLD Vitto Maamaatuaihautapu : "On a beaucoup de navires, mais on n’a pas assez de capitaines", a-t-il soulevé, en soulignant un problème qui paralyse le développement de la pêche hauturière depuis 15 ans. La Polynésie française dispose de navires mais ne compte pas suffisamment de personnels qualifiés pour les exploiter tous. Une fois formés, pour valider leur diplôme, les apprentis capitaines ont cinq ans pour effectuer un stage pratique de deux ans sur un navire de la marine marchande et sont souvent contraints de s’expatrier pour cela, ce qu’ils ne font pas.

Dans le public comme dans le privé, cette carence en personnels qualifiés pose une problématique identique. Mais peut-être que le dynamisme d’un secteur privé contraint par ses objectifs de rentabilité conjugué avec la prise en compte par la collectivité de cet impératif en terme de formation viendront-ils à bout d’un cycle de 15 ans jonché d’échecs et de déconvenues, dans la filière locale de la pêche hauturière.

Rédigé par JPV le Mercredi 10 Décembre 2014 à 19:12 | Lu 1728 fois