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Nucléaire : au moins 368 retombées radioactives sur la Polynésie entre 1966 et 1974


Tir aérien au-dessus de Moruroa. Après avoir procédé à 46 tirs nucléaires aériens à partir de 1966, de 1975 au 27 janvier 1996 la France a effectué 147 essais souterrains à Moruroa et Fangataufa.
Tir aérien au-dessus de Moruroa. Après avoir procédé à 46 tirs nucléaires aériens à partir de 1966, de 1975 au 27 janvier 1996 la France a effectué 147 essais souterrains à Moruroa et Fangataufa.
PAPEETE, lundi 1 juillet 2013 – "Les cinq archipels ont été victimes de retombées nucléaires (…). L’Etat Français n’est pas à une incohérence près : on parle par exemple de retombées de plutonium dépassant la dose de 500 fois la concentration maximale admise, à Mahina", dénonce Roland Oldham. Nous sommes en milieu de matinée à la conférence organisée par Moruroa e Tatou et l’antenne locale de l’Association des vétérans des essais nucléaires (AVEN).

Le point presse entend communiquer la synthèse des travaux d’analyse réalisés par Bruno Barrillot sur les 2 050 pages des 58 côtes d’archives déclassifiées en décembre dernier par le ministère de la Défense. Le 20 décembre 2012, l’Etat déclassifiait en effet 58 documents «Secret» et «Confidentiel Défense» relatif à la période 1966-1974 au cours de laquelle la France a procédé à 46 essais nucléaires aériens au-dessus des atolls de Moruroa et Fagataufa, dans l’archipel des Tuamotu.

L’analyse de ces documents tenus secrets jusqu’alors fait état d’un total de 368 retombées radioactives mesurées sur 28 sites à travers les 5 archipels de Polynésie française sur la période 1966-1974 et notamment : 17 à Bora Bora, 29 à Hao, 26 à Hiva Oa, 31 à Mangareva, 17 à Puka Puka, 14 à Raivavae, 17 à Rangiroa, 39 à Tahiti et 37 à Tureia. Ces sites ayant tous été équipés d’instruments de mesure des retombées radioactives à la suite d'expérimentations aériennes. Jusqu'alors l'Etat français reconnaissait 119 retombées radioactives sur la période.

Question d'indemnisation

"La question que je me pose est : si à Tahiti, à 1 400 km de Moruroa, on observe de telles retombées radioactives (…) qu’en est-il des îles proches telles ?", s’interroge encore Roland Oldham qui ajoute : "L’Etat français se moque complètement des preuves : en 10 ans de combat, nous avons apporté des preuves. Là encore, nous en apportons", évoquant le combat que mène l'association qu'il préside avec l’AVEN depuis 3 ans pour demander une révision de la loi Morin relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français. Une loi jugée insatisfaisante et contestée depuis 2010 et la publication de son décret d’application.

Le décret d’application de la loi Morin, paru au Journal officiel du 13 juin 2010, dévoile la Liste Morin largement décriée pour son caractère incomplet : 14 cancers des personnels civils et militaires employés sur les sites d’essais, complété de 3 cancers féminins (sein, ovaire, utérus) et du cancer de la thyroïde, limité aux seuls enfants au moment de l’exposition. Cette liste a été complétée par décret en mai 2012, du cancer du sein chez l’homme, ainsi que de trois nouvelles pathologies (lymphomes, myélomes et myélodysplasies).

D'autre part, les zones géographiques retenues par le décret du 11 juin 2010, pour les 46 essais aériens entre 1966 et 1974, concernent quatre îles ou atolls et quelques communes de Tahiti. La loi Morin inclut Moruroa et Fangataufa dans la zone géographique concernée pour la période allant du 2 juillet 1966 au 31 décembre 1998. Elle ajoute certaines zones de l’atoll de Hao pour la même période et certaines zones de l’île de Tahiti pour la période allant du 19 juillet au 31 décembre 1974. La loi élargit la zone géographique "à des zones exposées de Polynésie française inscrites dans un secteur angulaire" pour la période allant du 2 juillet 1966 au 31 décembre 1974, notamment les îles Gambier et les atolls de Tureia, Pukarua et Reao. En mai 2012, l’exposition à la radioactivité a été reconnue par décret sur l’ensemble du territoire de l’atoll de Hao et de l’île de Tahiti, dans les mêmes conditions que précédemment.

Après avoir procédé à 46 tirs nucléaires aériens à partir de 1966, de 1975 au 27 janvier 1996 la France a effectué 147 essais souterrains à Moruroa et Fangataufa. Les explosions ont été réalisées dans le socle basaltique de ces deux atolls, au pied de forages profonds de 600 à 900 mètres. Aussi, l’intégralité des résidus de plutonium produits par ces expérimentations est-elle encore concentrée au fond des 10 puits aménagés pour réaliser ces 147 explosions sous-terraines d'une puissance de 5 à 150 kilotonnes équivalent TNT.

On estime que les sous-sols de Moruroa et de Fangataufa peuvent contenir une masse résiduelle d'environ 500 kg de plutonium 239. Cette quantité de matière nucléaire extrêmement radiotoxicique - environ 250 000 fois plus nocive par gramme que l'uranium 238 - ne sera pas dissipée avant 240 000 ans.

Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Lundi 1 Juillet 2013 à 12:00 | Lu 7690 fois