Tahiti Infos

Maniniaura, un foyer pour aider les jeunes mamans en détresse


Le foyer Maniniaura peut accueillir jusqu'à huit jeunes filles avec leurs nourrissons
Le foyer Maniniaura peut accueillir jusqu'à huit jeunes filles avec leurs nourrissons
MAHINA, le 20/04/2016 - Situé à Mahina, le foyer Maniniaura accueille depuis 1998 les jeunes filles mineures ou majeures avec leurs bébés. Ce centre est le quatrième foyer mis en place par l'association Emauta pour redonner l'espoir, qui vient en aide aux personnes en situation d'errance. À Maniniaura, elles sont actuellement cinq jeunes mères à être suivies. Même si le quotidien n'est pas toujours évident, l'équipe du foyer arrive à relever les défis et les mamans ont parfois seulement besoin d'une oreille attentive pour s'en sortir.

Depuis 1998, Le foyer Maniniura accueille des jeunes mères, mineures ou majeures, qui ont été placées soit par la direction des Affaires sociales ou soit par la justice. Le dénominateur commun est la situation d'errance à laquelle elles font face. "Ce sont des personnes qui n'ont plus de logement à un temps donné. Bien souvent, pour les jeunes filles, elles arrivent ici avant de se retrouver à la rue, en général", précise Manutea Gay, président de l'association Emauta pour redonner de l'espoir.

L'association Emauta gère quatre foyers à Tahiti : Le bon samaritain pour les hommes, La samaritaine pour les femmes avec ou sans enfants, Te arata (l'arche) pour les familles et le foyer Maniniaura, situé à Mahina.

Le foyer Maniniaura peut héberger jusqu'à huit jeunes mères avec leurs enfants. Et aujourd'hui, elles sont cinq à partager leur quotidien avec l'équipe encadrante. Elles peuvent rester jusqu'à six mois, renouvelables pour une durée maximale de trois ans. "Mais avec le recul, nous nous sommes aperçus que l’on ne pouvait pas être cartésien. Parce qu'une gamine qui arrive à 13 ans, trois ans après, elle n'a que 16 ans, donc elle n'est pas encore apte à vivre seule. Il y en a qui sont restées chez nous, cinq, six ou sept ans. On ne les laisse partir que quand elles sont prêtes, quand il y a une solution viable", explique Manutea Gay.



CE N'EST PAS UN CENTRE DE VACANCES

Ce foyer n'est pas un centre de vacances, les jeunes mamans apprennent à être des personnes responsables et l'équipe du foyer les accompagne dans un projet. "Si c'est la scolarité, elle va s'inscrire et on l'accompagne ; si elle arrive enceinte, eh bien il faut la préparer à l'accouchement. Si elle arrive avec un nourrisson, eh bien il faut le mettre en garderie pendant que la jeune fille va à l'école. Si elle va en apprentissage professionnel, c'est le même processus. Si elle est apte à travailler, eh bien on lui cherche du travail et elle va travailler", détaille le président de Emauta.

Pour encadrer ces jeunes mères, l'équipe de Maniniaura est composée de cinq monitrices et une directrice. Tous les jours, ces femmes donnent le meilleur d'elles-mêmes pour guider ces jeunes filles qui n'ont pas été préparées à devenir maman si jeune. "Elles arrivent déjà avec de grosses carences affectives, éducatives, comportementales. La plupart ont besoin d'amour", souligne Violaine Utia, directrice par intérim.

Il y a eu des fois où des jeunes mères ont fugué. "On fait un signalement auprès de la gendarmerie. Et si on ne la retrouve pas, eh bien on envoie une photo que l'on diffuse à la télé. Surtout quand elles sont mineures et qu'elles partent avec leur enfant", explique Violaine. "On n'interdit pas aux personnes de s'en aller. Par contre, si on voit que le projet n'est pas solide, on travaille avec la jeune fille pour lui dire que ce n'est peut-être pas le bon moment", rajoute Manutea Gay.

Les foyers que gère l'association Emauta pour redonner de l'espoir fonctionnent grâce à des subventions du Pays à hauteur de 25 millions de francs par foyer. Une subvention qui couvre 80 % du fonctionnement des foyers (salaires, frais d’électricité, d'eau et de nourriture), les derniers 20 % sont des apports associatifs.

D’ailleurs, le projet de l'association Emauta est de rénover le foyer Maniniaura, ce qui leur coûterait entre 70 et 75 millions de francs. Manutea Gay n'est pas sûr d'atteindre cet objectif, mais l'association fera de son mieux.

CES JEUNES MÈRES ONT BESOIN D'ÉCOUTE

Parmi les cinq jeunes mères du foyer, trois d'entre elles ont accepté de nous dévoiler leur quotidien. Il s'agit de Fauve*, 17 ans et Leilanie*, 16 ans et Laetitia, 22 ans.

"On m'a placée ici parce que cela ne se passait pas bien dans ma famille. Au début, cela n'a pas été évident pour moi quand je suis arrivée ici parce que je ne connaissais personne, donc je restais dans ma chambre. J'avais peur aussi de m'occuper de ma petite, sans qu'il y ait son papa", raconte Fauve. Les deux premiers mois au foyer ont été les plus durs pour la jeune fille. "Petit à petit j'ai commencé à me confier aux taties. Quand j'allais chez mon copain, il ne faisait jamais attention à nous. Un jour je me suis disputée avec sa maman. Après, j'ai bien réfléchi et je me suis dit que c'était mieux pour mon bébé et moi de venir au foyer. Mon copain veut que je rentre à la maison mais je lui dis non parce que le jour où il va me faire des sales coups je ne saurai pas où aller." Fauve envisage de quitter le foyer à ses 18 ans.

"J'ai eu ma petite à 15 ans, je suis tombée enceinte de mon copain, qui m'a quittée depuis, pour ma cousine. J'avais des problèmes familiaux avec mes parents. Ils n'ont pas accepté ma grossesse et ils voulaient que je donne mon enfant à adopter et j'ai refusé", explique Leilanie. "Ça fait neuf mois que je suis ici et aujourd'hui, les relations sont bonnes avec mes parents. Je vais les voir pendant les week-ends ou pendant les vacances." Leilanie souhaiterait retourner chez ses parents, une fois qu'elle aura trouvé un emploi.

En revanche, Laetitia a rejoint le foyer Maniniaura, il y a trois mois, juste après son accouchement. "On m'a mise ici parce qu'il n'y a pas de place à la maison pour ma fille et moi." Le quotidien de cette jeune mère atteinte de schizophrénie n'est pas évident. "Quand je ne prends pas mon traitement, je crie sur elle et les taties me disent de ne pas faire cela. Des fois, je vais à la plage, dans un endroit calme", explique-t-elle. Femme battue, Laetitia a quitté le père de sa fille. Elle veut donner un avenir meilleur à sa fille : "je voudrais qu'on vive dans une maison et qu'elle puisse avoir sa chambre avec moi et je voudrais aussi travailler pour subvenir à ses besoins. Ma fille est comme une guérison pour moi. Je ne suis plus seule."

Cependant, le lien familial avec les parents de ces jeunes filles n'est pas coupé. Des visites sont organisées par l'équipe du foyer, les lundis ou vendredis. Aujourd'hui, ces jeunes mamans se sentent en sécurité, même si "j'ai besoin surtout que l'on parle avec moi et que l'on me conseille", glisse Laetitia.

Le foyer Maniniaura reçoit plusieurs dons d'associations ou de personnes généreuses. D'ailleurs, l'association Te Reo Meha'i, de la paroisse protestante de Mahina, organise un marathon fitness le 30 avril sous le préau du collège de Mahina de 15 à 18 heures, en faveur du foyer Maniniaura. L'entrée est fixée à 1 000 francs avec une bouteille d'eau et des fruits.


*Les prénoms ont été modifiés

Manutea Gay
Président de l'association Emauta pour redonner de l'espoir

Comment se passe l'approche entre vous, qui êtes quand même des personnes inconnues pour elles, et ces jeunes filles ?

"Cette situation, d'abord, ne leur est pas imposée, mais proposée. Elles peuvent refuser. Mais bien souvent, même si elles venaient à refuser et qu'il n'y ait pas d'autres solutions que la rue ou alors rester dans le milieu hostile qui les ont rendues dans cet état, eh bien, elles n'ont pas trop le choix. Donc, l'équipe a pour rôle de les accueillir, mais l'accueil au sens noble du terme, mais aussi de les rassurer. Pendant quelques jours, il faut les rassurer pour que ces personnes se posent. En même temps, cela permet à l'équipe de les observer et de tenir le discours qu'il faut en fonction de la personnalité de chacune. L'équipe est soutenue par des prestataires techniques, notamment des assistants sociaux et des psychologues du Pays ou de l'association."

Avez-vous déjà eu des mineures qui ont entre 10 et 12 ans ?
"À l'époque, nous avions accueilli une fille de 8 ans, mais c'était exceptionnel."

Ces jeunes filles n'ont pas été préparées à être maman si jeune. Comment sont-elles suivies ?
"L'équipe et les psychologues interviennent. Certaines ont besoin d'un soutien psychologique pendant un temps plus ou moins long. Et quand on s'aperçoit que la personne est stabilisée, l'équipe suffit."

Fauve, 17 ans

"Aujourd'hui, avec ma fille, on se sent bien"


"L'équipe m'a appris à élever ma petite et quand je m'énerve, il ne faut pas la taper. On m'a appris aussi à dire pardon, chose que je n'avais jamais faite. Aujourd'hui, avec ma fille, on se sent bien. À un moment donné, on a eu un problème avec quelques filles du foyer et j'ai tout ramené sur ma petite, mais maintenant ça va mieux. J'aime ma fille de tout mon cœur et je la préfère à mon tane."

Leilanie, 16 ans

" Je n'ai jamais voulu faire adopter ma petite"


"Je ne suis plus avec le père de ma fille, il est aujourd'hui avec ma cousine mais leur relation dure depuis longtemps, depuis que je suis tombée enceinte. Il me trompait. J'ai connu ce foyer par ma maman parce qu'elle voulait faire adopter ma petite. Nous sommes allées en ville pour voir une assistante sociale qui se charge des adoptions. Je n'ai jamais voulu faire adopter ma petite et je ne regrette rien aujourd'hui. Ma fille représente toute ma vie et mes parents l'aiment beaucoup. Je compte rester ici jusqu'à ce que j'aie mon diplôme. Après j'irai chercher un travail pour nourrir ma petite."

Laetitia, 22 ans

"J'apprends des choses avec les taties"


"Je suis bien entourée dans ce foyer, il y a beaucoup de personnes qui m'aident et qui m'accompagnent. Je m'en sors bien et j'apprends des choses avec les taties. Tous les jours, au réveil, je donne le biberon à bébé et je prends mon petit déjeuner, je m'occupe ensuite de ma fille. Je suis souvent à côté d'elle pour lui parler, et pour lui raconter ce qu'on fera plus tard. À l'école, j'ai appris à m'occuper des enfants et des personnes âgées et c'est ce que je voudrais faire comme travail. On m'accompagne à trouver des formations qui correspondent à mes études, parce que j'ai quitté l'école. Au début, ma maman avait accepté mon copain, mais depuis qu'il a commencé à me frapper, eh bien les tensions ont commencé. C'est pour cela que je me sens mieux ici. Des fois, il vient nous voir les lundis et vendredis. Je ne veux plus retourner avec lui et j'envisageais déjà de le quitter quand je suis tombée enceinte."

Une partie de l'équipe du foyer Maniniaura, avec Violaine Utia, directrice par interim, à droite
Une partie de l'équipe du foyer Maniniaura, avec Violaine Utia, directrice par interim, à droite

Après leur journée de travail, les jeunes mères s'occupent de leurs bébés
Après leur journée de travail, les jeunes mères s'occupent de leurs bébés

le Mercredi 20 Avril 2016 à 16:21 | Lu 4326 fois