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Le jour où j'ai préparé le Heiva


PAPEETE, le 22 juin 2017 - Une de nos journalistes se présentera sur To'ata pour le Heiva. Elle vous raconte ses six mois de préparation au grand concours du Heiva i Tahiti.

Je ne sais pas quelle mouche m'a piquée, mais je me suis mise en tête de faire le Heiva I tahiti 2017. L'idée est venue d'une amie et d'une collègue de travail qui toutes les deux m'ont entrainée dans cette aventure. Au départ, nous devions danser toutes les trois. La moins expérimentée des trois, aujourd'hui je suis la seule qui va performer sur le pa'e pa'e de To'ata dans quelques semaines.

Pour être transparente, j'ai commencé le Ori Tahiti en septembre 2016 chez Tamariki Poerani. J'assistais aux cours du mieux que je pouvais entre midi et 14 heures. Quand je me suis lancée dans l'aventure du Heiva en janvier, je savais que ça serait intense, mais jamais je ne me suis doutée de ce qui m'attendait…Stress, fatigue, engueulades, blessures, doutes, colère, frustration… rien ne m'a été épargné.

En janvier, c'est décidé, je me jette dans la course au Heiva avec une collègue de travail. Nous avons trouvé une troupe qui répète pas loin de chez nous, à Punaauia. Il y a une bonne ambiance. Les leaders sont sympas. Ils ont déjà plusieurs heiva à leur actif. Ils savent ce qu'ils font et où ils veulent aller. Les chorégraphes n'ont plus leur réputation à faire, elles non plus. Je suis la seule popa'a du groupe. Les filles me conseillent et me soutiennent, m'accompagnent techniquement et me corrigent.

Mais voilà : le lieu de répétition change et je me retrouve à devoir faire la route jusqu'à Paea pour m'entrainer. Je travaille à Fare Ute et je finis à 18 heures presque tous les soirs, donc je cours. Le mois de mars a déjà bien commencé.


Changer de groupe en cours de route

Le thème est sympa. Les chorégraphies sont superbes. La rigueur, elle, n'est pas au rendez-vous. Le doute s'installe dans le groupe. Les filles partent les unes après les autres. Elles choisissent d'autres troupes plus organisées. Début mars, nous sommes toujours à deux entrainements par semaine, alors que les autres sont passées à un rythme intensif. Mi-avril, les chefs de groupe jettent l'éponge. Ma collègue m'a abandonnée depuis longtemps. Je suis trop engagée dans l'aventure : ça fait quatre mois que je danse de façon soutenue. Je me suis mis dans la tête que je ferai le heiva. Je me suis préparée psychologiquement. Je ne peux simplement pas rester comme ça, avec ce goût d'inachevé.

Une autre copine s'est lancé le même défi que moi, avec une troupe amateur de Papeete. Je me dis que je vais tenter d'intégrer le groupe. Ils m'acceptent parce que j'arrive d'une troupe qui a déclaré forfait. Je débarque donc fin avril. Heureusement pour moi, les répétitions se passent à Fare Ute. Le rythme monte d'un cran. Ils s’entraînent quatre fois par semaine de 18 heures à 20h30. J'ai quatre chorégraphies à apprendre, mais je suis motivée donc je m'y attèle. L'ambiance n'est pas la même. Les bonnes danseuses nous bousculent un peu. Les chefs des filles haussent le ton trop rapidement à mon goût, mais j'y tiens à ce heiva. Je reste.

La cohésion a du mal à s'instaurer. Finalement deux groupes se détachent : les premières lignes et les autres… Nous sommes plusieurs popa'a. Parfois on se sent mises au banc. Petit à petit, avec le temps, le mélange prend sans jamais vraiment se fixer. On nous surnomme la Team Popa'a, c'est affectueux, mais symptomatique de notre position dans la formation.


Nuisances sonores

On répète encore et toujours, cinq fois par semaine à Fare Ute sur un parking sale. La troupe a réussi à obtenir l'autorisation de danser à Excelsior à la Mission, de temps en temps. C'est mieux, tous les jeudis, nous sommes sur un terrain digne de ce nom avec de l'espace pour les placements et loin des bruits parasites d'une zone industrielle. Le problème c'est le voisinage qui appelle la police municipale pour nuisances sonores. Nous devons arrêter la musique sous peine de voir les instruments confisqués. Nous préparons un spectacle depuis bientôt cinq mois dans des conditions déplorables. Tout le monde vend le heiva et se targue de faire de belles manifestations pour les touristes, mais nous répétons sur un parking, dans le jus des poubelles que nous avons dû déplacer. La colère gronde, l'agacement et la lassitude aussi.

Malgré tout, on avance, on répète, on commence, on recommence, on se place, se replace, on piétine du lundi au vendredi. Notre problème ce sont les absences des autres danseuses. Le dimanche on « costume ».

Début juin, notre costumière nous lâche… Il faut refaire tous les prototypes pour qu'ils collent au thème.

Une famille

La fatigue se fait sentir. Je tombe malade après une répétition à la mission. Les nuits se rafraichissent. Nous prenons froid. Le stress monte, des petites querelles apparaissent, les rivalités entre les danseuses pointent le bout de son nez. Nous voyons tout de suite sur les visages quand ça ne va pas, on commence à se connaître…Nous sommes devenus une famille. Le spectacle s'approche à grands pas. On a l'impression de ne pas être prêt. Certaines filles voudraient répéter plus, faire plus de filages, quitte à finir à 22h00, d'autres sont satisfaites de ce que nous faisons déjà.

Je n'ai plus de vie sociale. Dans mon entourage, je suis la seule à m'être embarquée là-dedans. Mes amis me regardent avec de gros yeux. Ils ne comprennent pas bien l'implication que ça demande. Certains me conseillent d'arrêter. Je refuse. C'est impensable ! Ce heiva est devenu trop important pour moi. J'y ai mis trop d'investissement. Et trop de larmes aussi. Je dois concilier répétitions et travail. Les permanences de week-end et mes horaires. Pour pouvoir finir à l'heure, je saute mes pauses-déjeuner. Quand j'ai le temps de manger, je pars plutôt en quête de « niau », ou de tissus, de coques, de raphia ou d'aiguilles. Je suis bloquée au niveau des cervicales. Une amie ostéopathe vole à mon secours quand la douleur devient trop aigüe. Même malade, je viens. Je me dis qu'à défaut d'être une bonne danseuse, je peux me démarquer par mon assiduité et mon investissement.

Vous faire pleurer

Les costumes, je les fais quand je peux. Après les répétitions, c’est-à-dire à 21 heures-21h30 ou les week-ends lorsque je ne travaille pas. Dans la troupe, tous ne sont pas aussi compréhensifs que les chefs. Ils nous mettent la pression. En soi, pour moi qui ne suis pas du tout manuelle, la « costumerie » est la partie la plus dure, mais la plus intéressante. Chercher le végétal nécessaire, le nettoyer, le coudre, le tresser. Je tiens à tout faire moi-même. Je mets trois fois plus de temps que les autres, mais je veux apprendre. Tresser une taille en pandanus me prend exactement deux heures ; mais je m'applique et une fois finie je suis fière comme un coq.

Avec cette fatigue omniprésente, j'ai les nerfs en pelote. Je ne suis pas la seule. Les larmes ne sont jamais loin. Le clash non plus… mais, avant tout, la porte de sortie est à portée de main. Elle est tentante, parfois, mais on est en juin ça fait six mois que je m’entraîne. Ce Heiva, je le fais surtout pour moi. La danse a toujours fait partie de ma vie, mais je n'ai jamais dansé dans une formation. Je n'ai jamais performé avec 48 danseuses pour ne faire qu'un. Et notre thème, écrit par Patrick Amaru me touche profondément. J'y crois, j'ai simplement l'impression de ne pas être à la hauteur du texte et de ne pas être en mesure de transmettre son message. C'est d'ailleurs la première fois que j'ai la chair de poule et les larmes aux yeux en dansant.
Mercredi, nous sommes passés devant le jury, pour la répétition générale. Il nous reste encore beaucoup de travail sur les alignements, la synchronisation et le jeu de scène. Nous devons danser comme un et réussir à porter ce thème : à le danser, mais surtout à le vivre.

Nous dansons pour nous, mais surtout pour vous et notre objectif, le soir du spectacle, sera de vous faire pleurer.

Rédigé par Marie Caroline Carrère le Jeudi 22 Juin 2017 à 17:24 | Lu 11408 fois