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"La danse je l'ai dans la peau, sous la peau, je la transpire"


PAPEETE, le 20 juillet 2017 - Makau Foster a présenté son dernier Heiva i Tahiti en tant que chef de troupe. C'est au sommet de sa gloire, en remportant le prix Madeleine Moua qu'elle commence à se retirer de la scène et du monde de la danse. Le lendemain de sa victoire, elle se confie sur sa carrière, ce prix et l'avenir… dans une interview chargée d'émotion


Tu as remporté le Heiva, c'est la consécration d'une carrière ?
Oui. 2017 m'a apporté beaucoup de joie. J'ai remporté plein de prix tout au long de ma carrière, sans jamais réussir à gagner le Heiva i Tahiti. C'est fait. Je suis très fière de ce spectacle.
C'est la consécration de mon travail, de six mois de répétition, mais c'est surtout la récompense du travail des danseurs. Ça valait la peine d'attendre. Ce prix est pour eux.

Tu as annoncé que ce serait ton dernier Heiva, ta décision est prise ?
C'est mon dernier Heiva. La troupe continue. Il y a Kohai, Poerani et Frankie, j'ai déjà assez d'éléments pour continuer. La suite n'est pas le problème. Le vrai souci c'est le financement, trouver les bonnes personnes, les jeunes, des gens qui veuillent bien danser et qui comprennent que c'est important.
La relève est assurée, ils l'ont prouvé cette année. (…) Comme j'ai commencé à lâcher les rênes, je les ai laissé travailler. J'ai vraiment délégué cette année. Chacun avait un rôle. Je vais pouvoir me consacrer à ce qui me plait. Je serais toujours là. Je resterai aussi un garde-fou, toujours présent pour leur rappeler la signification de chaque pas, chaque geste.

Tu prends ta retraite, mais est-ce que tu arrêtes complètement la danse ?
J'ai la danse en moi. Même si je suis aux Tuamotu je continuerai de danser, mais pas comme maintenant.
Aujourd'hui, je danse matin, midi et soir. J'ai dansé tous les jours de ma vie. Je suis enfermée dans ma salle de danse du matin jusqu'au soir. Je pense que l'usure commence à se faire sentir.
Je vais avoir 62 ans, j'ai besoin de prendre soin de mon corps pour que je puisse pouvoir profiter un peu plus encore. Mes genoux, mes chevilles, mon dos commencent à me faire mal. Si je continue jusqu'à 70 ans, je pense que je serai assise et je ne pourrai plus rien faire. La santé, la famille rentrent en compte.
Je vais finir les projets que j'ai commencés. Je céderai vraiment ma place l'année prochaine, mais le sacrifice doit s'arrêter.


Et maintenant quels sont tes projets ?
Je vais écrire tout ça. Je vais tout coucher sur du papier, raconter tout ce que j'ai fait. Il n'y a que maintenant que je vais pouvoir le faire tranquillement quand je serais aux Tuamotu. Je veux revivre tout ce que j'ai vécu, tous mes hauts et mes bas. Je veux laisser une trace. Qu'on ne dise pas simplement – tu te souviens de cette danseuse, comment s'appelait-elle? – Je crois que les gens me connaissent mieux que moi-même.

Ça fait longtemps que tu penses à arrêter ?
Ça fait trois ans que je mijote ça. Je me demande tous les jours si j'arriverai à arrêter. La danse je l'ai dans la peau, sous la peau, je la transpire. Même maintenant ça me fait mal de me dire que je vais arrêter. C'est une souffrance d'arrêter la danse.

As-tu apporté tout ce que tu avais à apporter au ‘Ori Tahiti ?
J'ai encore tellement à apporter, mais je pense que c'est à cette nouvelle génération de s'en charger maintenant. Ils vont continuer notre travail et ils vont trouver ce qui manque encore. Nous apprenons sans cesse. J'ai enseigné tout ce que j'ai pu, mais il y a encore beaucoup à donner.

Pour toi, où en est le ‘Ori tahiti aujourd'hui ?
C'est une bonne question. Il a tellement évolué. Dans mon apprentissage je lie la tradition et la modernité. Je préfère vivre la tradition, c'est là où le battement de mon cœur est le plus fort. On ne peut pas ignorer la modernité. La danse n'est pas simplement un jeu de hanche. La danse, c'est un art !

Qu'est-ce que tu souhaites pour l'avenir du ‘Ori Tahiti ?
Le ‘ori tahiti est bien parti. La danse avance bien. C'est à cette nouvelle génération de décider comment elle veut la faire évoluer. Les cartes sont dans leurs mains. La jeunesse d'aujourd'hui à sa manière de voir les choses, de s'exprimer.

Les jeunes aujourd'hui sont-ils suffisamment investis dans la danse et la culture ?
Oui. Ils n'attendent qu'une chose c'est que nous leur passion le flambeau. Nous devons leur donner les moyens. Ils ont besoins que nous partagions avec eux et que nous les soutenions. Nous avons trop tendance à tout garder pour nous. Pour ma part j'ai décidé que le moment était venu pour moi de partager cette fierté d'appartenir à la tradition, ma rigueur. Il faut respecter et garder ce que nos ancêtres nous ont donné. Il faut juste que les jeunes comprennent qu'ils peuvent faire évoluer la danse tout en préservant quand même la tradition et les pas.
Ce qui manque à cette nouvelle génération c'est la maitrise de la langue. Tant qu'ils ne sauront pas parler le tahitien, ils ne pourront pas connaître ce que j'ai connu. Ils répéteront simplement ce que les yeux leur ont donné et ce que la langue française a traduit pour eux. Quand ils maitriseront le tahitien, le ressenti, la profondeur et la force ne seront pas les même. La langue est très importante, les mots sont lourds de sens. On ne peut pas les traduire en français. Quand tu connais ta culture, ta fierté d'appartenance est plus forte. Quand tu danses, tu danses avec ton cœur parce que tu es fier de ce que tu es. (…) Chaque geste a un sens, il faut les comprendre pour pouvoir faire voyager les spectateurs, les faire vibrer.
Quand les jeunes dansent le ‘ori tahiti, quand ils font le Heiva, même si ce n'est qu'une fois dans leur vie, ils s'expriment pour une bonne cause : la survie de notre culture.





Rédigé par Marie Caroline Carrère le Vendredi 21 Juillet 2017 à 03:00 | Lu 5147 fois