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La CTC constate l’enlisement du mammouth OPT dans son dernier rapport d’observations


La CTC constate l’enlisement du mammouth OPT dans son dernier rapport d’observations
PAPEETE, 5 octobre 2015 - Absence de stratégie de développement, gestion peu guidée par le souci de performance, une masse salariale en constante augmentation, le mammouth OPT encore trop cornaqué par le politique s’enlise peu à peu dans un environnement dorénavant concurrentiel, constate le rapport d’observations publié lundi par la Chambre territoriale des comptes.

Avec un budget annuel de l’ordre de 20 milliards Fcfp, l’Office des postes et télécommunications (OPT) compte un peu plus de 900 employés et affiche toujours en 2014 un ratio d’autonomie financière proche de 70 %, qui lui confère une bonne solvabilité. Mais tous les secteurs d’activité du groupe sont à la peine : "L’évolution du résultat consolidé du groupe OPT sur la période 2008-2013 témoigne d’un fléchissement continu : il chute de 90 % entre 2008 et 2013. Le bénéfice est inférieur à 300 millions Fcfp en 2013, contre 3,5 milliards en 2008. (…) L’essentiel du chiffre d’affaires du groupe repose sur les services et produits de télécommunications, eux-mêmes en diminution régulière sur la période", note le rapport d’observations définitives de la chambre territoriale des comptes concernant la gestion de l’OPT sur les exercices 2008 à 2014.

Ce rapport rendu public ce lundi estime, réaliste, que "confronté au défi représenté par l’arrivée effective de la concurrence sur les secteurs de téléphonie mobile et de l’internet, aux modifications tarifaires à la baisse inévitablement engendrées par une amorce de régulation du secteur, le groupe OPT ne pourra faire l’impasse sur l’adaptation de son modèle de développement : le développement de relais de croissance dans les différents métiers du groupe doit être impérativement conjugué à une baisse des coûts de structure". Il constate en outre sans détour que "les coûts de structure de l’OPT, liés notamment à la densité de son réseau, obèrent son développement dans un environnement désormais concurrentiel depuis 2011 sur l’internet et 2013 sur la téléphone mobile. Les charges de personnel ont progressé deux fois plus vite que les produits jusqu’en 2012 et le frein qui y a été mis en 2013 ne devrait pas se maintenir en 2014".

Sur la période analysée, ce rapport relève les indicateurs d’une grande entreprise qui peine à se réformer. Tout en reconnaissance un léger mieux, suite au rapport d’observations de 2008 : "l’OPT a initié une formalisation des procédures internes en matière de gestion, tant au niveau des ressources humaines que du recouvrement ou de l’activité des services financiers". La CTC constate pourtant toujours la "persistance de défaillances dans le pilotage et la gestion de l’établissement" : "L’instabilité politique pendant la période examinée a pu (…) affecter directement les rouages décisionnels de l’OPT, occasionnant revirements de stratégie, mise à l’arrêt de certains projets et absence de ligne claire".

Manque de dynamisme stratégique

Les signes précurseurs d’un fléchissement de l’activité, relevés par la chambre en 2008 (rapport d’observations sur les exercices 1996 à 2007), se sont avérés correspondre à la réalité observée entre 2008 et 2014 : "les résultats d’exploitation apparaissent en forte baisse sur la période, témoignant de la dégradation de la performance industrielle et commerciale de l’OPT. Ce constat est occulté par un résultat comptable excédentaire, conséquence des seuls apports financiers de la filiale Tikiphone/Vini. Or, le modèle économique fondé sur le financement par les télécommunications des activités déficitaires (services postaux et financiers) s’est essoufflé, comme en témoigne l’évolution inquiétante des résultats consolidés du groupe OPT, tout juste à l’excédent en 2013". Dans le même temps, "les orientations stratégiques n’ont jamais fait l’objet de bilan", note le rapport d’observation qui déplore que la moitié des postes du département "contrôle de gestion" créé en janvier 2013, étaient toujours vacants fin 2014.

Des réformes à la peine

"L’environnement devenu plus concurrentiel de l’OPT l’a incité à adapter sa structure : le choix a été fait de renforcer l’organisation par métiers et de réorganiser les filiales en les fusionnant (avril 2013)". Mais la CTC note surtout que cette réorganisation de 2013 s’est opérée sur des fondements envisagés dès 2008 "approuvée en 2010 par le conseil d’administration pour une installation mi-2011 et jamais concrétisée en raison des changements politiques. Il aura donc fallu cinq années pour que le projet se réalise (…)". Et, au passage, l'entreprise OPT a nécessairement renoncé au "caractère anticipateur qu’elle aurait pu avoir face à l’arrivée de la concurrence". Et, à cela s’ajoute pour la CTC une attitude peu regardante dans les choix stratégiques de l’établissement : l’évaluation de la "performance est loin d’être systématique".

De 2008 à 2013 le résultat d’exploitation de l’OPT a plongé de 68%, le groupe n’étant maintenu à flots que grâce aux apports financiers de Tikiphone/Vini : 600 millions Fcfp de dividendes versés en 2009 et 2010, 1 milliard en 2011, 2 milliards en 2012 et plus de 3 milliards en 2013. En se prêtant à l’exercice du retraitement du résultat par la neutralisation des dividendes versés par les filiales, la CTC met en évidence "la performance intrinsèque de l’OPT : le résultat ainsi retraité ressort en baisse de 67 % sur la période et n’est plus excédentaire que de 499 millions en 2013 (au lieu des 4 milliards affichés)", constate le rapport.

Depuis 2008, le revenu lié aux activités traditionnelles de l’OPT n’a cessé de décroitre mais, "face au déficit des services postaux et financiers, à la régression des produits issus de la téléphonie fixe, force est de constater le nombre limité d’initiatives de l’OPT. Les rares fois où des plans d’action ont été élaborés, leur caractère tardif et la lenteur de leur mise en œuvre n’ont pas encore permis de constater leurs effets".

Dans ce contexte général, la recommandation n°1 de la CTC n'est autre que l’instauration à l’OPT "d’une véritable gestion par la performance, avec détermination de feuilles de route pour les directions, fixation d’objectifs précis et mesurables et suivi des résultats atteints". En somme, elle prône l'adoption de toutes urgences de ce qui semble un principe basique de réalité.


Pour lire le rapport complet de la CTC, CLIQUER ICI
pfr201504.pdf PFR201504.pdf  (1.35 Mo)

FOCUS

Les huit recommandations de la CTC
Recommandation n° 1 :
Mettre en place les outils d’une véritable gestion par la performance, avec détermination de feuilles de route pour les directions, fixation d’objectifs précis et mesurables et suivi des résultats atteints.
Recommandation n° 2 :
Doter les entités d’audit interne et de contrôle de gestion des moyens humains suffisants pour un exercice efficace de leurs missions.
Recommandation n° 3 :
Etablir un plan de financement pluriannuel afin d’évaluer à moyen terme le besoin en investissements et son impact sur la structure financière.
Recommandation n°4 :
Mettre en place un plan d’apurement des créances irrécouvrables.
Recommandation n° 5 :
Insérer les éventuels dispositifs de départs volontaires dans une stratégie de gestion des ressources humaines : cibler les métiers concernés et planifier en amont le devenir des postes faisant l’objet de séparations négociées.
Recommandation n° 6 :
Se conformer à l’ordonnance du 24 juin 2009 en distribuant le livret A.
Recommandation n° 7 :
Réaliser une cartographie des risques des services financiers en fonction à la fois des opérations et des clients.
Recommandation n° 8 :
Assurer à la direction des services financiers les moyens d’un réel pilotage de son activité, soit en séparant nettement les activités au sein des agences postales, soit en incitant les différentes directions à un pilotage commun par la fixation d’objectifs conjoints, soit en fusionnant la direction de la poste et la direction des services financiers.


EN BREF

> 1,7 milliard de créances irrécouvrables
L’établissement constate en moyenne sur la période 2008-2014 des créances potentiellement irrécouvrables pour des montants d’environ 50 millions Fcfp chaque année. Si ce flux n’est pas considérable au regard du chiffre d’affaires de l’OPT, le stock est davantage préoccupant. Le montant des créances clients douteuses s’élève en 2013 à plus de 1,7 milliard Fcfp. Environ 70 % du montant de ces titres non recouvrés sont composés de créances téléphoniques, pour environ 970 millions Fcfp, dont plus de 800 millions concernent des créances antérieures à 2009, ainsi que des créances liées à l’activité CCP (270 millions).


> Une masse salariale de 6,8 milliards en 2013
L’effectif moyen à l’OPT, en hausse jusqu’en 2010, se tasse ensuite : il est de 900 agents en 2013 (- 3,6 % par rapport à 2008). Mais la masse salariale de l’établissement a augmenté de presque 10 % en quatre ans, de 2008 à 2012, soit une progression moyenne de 2,4 % par an, deux fois plus rapide que celle des produits. Malgré un coup d’arrêt à cette progression en 2013, elles consomment désormais 69 % de la valeur ajoutée, contre 61 % en 2008, pour un montant de 6,8 milliards Fcfp en 2013.


> Rémunération des DG et PCA
L’indemnité de fonction a évolué de 2008 à 2014 entre 200 000 Fcfp et 1 million nets par mois, tenant compte des situations individuelles, des modifications des missions dévolues au PCA et de la négociation menée avec chacun. Elle a été respectivement de 800 000 Fcfp et 850 000 Fcfp nets pour les deux dernières nominations au poste de PCA, comme pour le directeur général, avec des avantages en nature réduits (Gratuité de l’abonnement de téléphonie fixe et des communications téléphoniques, abonnement et communications de téléphonie et internet mobile, accès internet par ADSL, abonnement aux bouquets de chaînes par satellite).


> L’évolution inaboutie vers une banque postale
La question de l’évolution des services financiers vers une banque postale est pendante à l’OPT depuis 2008, et n’a toujours pas trouvé d’aboutissement en 2014. Un comité de pilotage sur le sujet n’a été mis en place qu’en 2013.
Depuis, si des études de marché ont été menées à nouveau sur les produits d’épargne, la question n’a pas été mise à l’ordre du jour des conseils d’administration.
L’essentiel des outils permettant l’évolution technique sont pourtant désormais présents dans les services financiers de l’OPT, même s’ils doivent être complétés. Mais il semble que le processus de normalisation soit encore long vers la mise en place d’une banque postale et l’extension des produits proposés : outre l’offre de services d’épargne et un partenariat bancaire à concrétiser, l’agrément auprès de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) reste à obtenir et l’organisation ainsi que la professionnalisation des agents restent à compléter.


> La mauvaise affaire du rachat de Tahiti Phone
Le rapport d’observation de la CTC rappelle la maladroite opération de rachat tardif et « précipité » du réseau Tahiti Phone et de la société Import Discount, pour 380 millions Fcfp en février 2013. Une première offre avait en effet été faite par l’équipementier privé à l’OPT en 2010, mais refusée par l’opérateur. L’option tactique était alors d’investir dans un « réseau maison », Vini Distribution, moyennant un investissement qui se montera à 263 millions Fcfp.
Mais lorsque la société Tikiphone, filiale à 100% de l’OPT, rachète finalement le réseau Tahiti Phone en février 2013, les performances commerciales de l’équipementier ont considérablement baissé. La situation est invraisemblable, mais le rachat sera acté sans connaissance des comptes 2012. Et quelques mois plus tard, Tahiti Phone achetée pour 380 millions Fcfp en février est évalué à 35 millions Fcfp en novembre. L’OPT l’a payé plus de 10 fois le prix.

Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Lundi 5 Octobre 2015 à 11:49 | Lu 2792 fois