Tahiti Infos

L'audiovisuel polynésien veut passer à la vitesse supérieure


Les premiers états généraux de la production audiovisuelle en Polynésie française se sont déroulés à la Présidence sous le patronage du ministère de la relance économique.
Les premiers états généraux de la production audiovisuelle en Polynésie française se sont déroulés à la Présidence sous le patronage du ministère de la relance économique.
PAPEETE, le 1er décembre 2015 - Une journée rassemblant les professionnels de l'audiovisuel était organisée ce mardi à la Présidence pour faire le point sur le secteur. Des états généraux qui ont débouché sur un document censé représenter le consensus du secteur, ce qui est contesté.

Ce mardi 1er décembre ont eu lieu les premiers états généraux de l'audiovisuel à la Présidence. Organisées par deux associations de producteurs, l'ATPA et le SPAPF (qui regroupent une trentaine de professionnels), elles ont pour but de faire le point sur l'état du secteur audiovisuel en Polynésie et de décider de propositions à adresser au gouvernement.

EN POLYNESIE "LA FICTION VA POUVOIR COMMENCER"

Christine Tisseau Giraudel, membre du SPAPF, organisatrice du Vini Film Festival on TNTV, co-fondatrice de la boite de prod Creative.TV (qui a créé les Hiro's) et à l'origine de ces états généraux, explique que "aujourd'hui c'est la restitution des premiers états généraux de la production audiovisuelle en Polynésie française. Donc les deux associations de producteur historiques ont décidé de concevoir ces états généraux pour y faire un état des lieux – la production audiovisuelle est née ici en 2007, donc 8 ans plus tard il était temps de le faire – et sur cette base de déterminer les enjeux dans nos marchés ici et ailleurs, quels sont les objectifs qu'on doit se fixer et surtout quelles sont les propositions d'action à mettre en place."

Pour la première partie, l'état des lieux, le bilan est très positif. "Pour l'instant les consultations ne sont pas terminées, donc on n'a pas encore de conclusions à présenter, mais ce qu'on peut se dire c'est qu'aujourd'hui la production audiovisuelle fonctionne plutôt bien en Polynésie française. On est partis de un documentaire par an en 2007 à vingt aujourd'hui. De 15 techniciens en 2000 à 100 aujourd'hui. On a maintenant deux présences sur des salons à l'extérieur, donc on a de vrais succès. Ça reste sur du documentaire, mais tous les autres pays ont commencé par des documentaires parce que ça nécessite des budgets moins conséquents que pour les fictions par exemple. Mais là aujourd'hui, le documentaire est un vrai succès, on est tous "Fifo-addicts". Et on voit émerger depuis quelques années de premières fictions sur TNTV et Polynésie Première. Un premier court-métrage cinématographique a été produit en 2013 qui a été au Short Film Corner de Cannes… La fiction va pouvoir commencer."

DES IDÉES POUR FAVORISER DE PLUS GROSSES PRODUCTIONS

Au niveau des demandes, surtout après que le ministre ait entamé la journée en assurant que les professionnels ne devaient pas tomber dans la recherche de la subvention à tout prix, la productrice assure que ce dont le secteur a besoin est surtout "plus d'accompagnement. Aujourd'hui on est en train d'apercevoir notre futur en se disant "on va se développer, on va aller sur des gros projets de documentaires et de la fiction". Alors pas du cinéma tout de suite, mais des séries plus conséquentes, peut-être de l'unitaire ou des collections, et du coup on se demande qu'est-ce qui pourrait nous empêcher de le faire."

Là, elle cite quelques exemples, comme l'absence d'un bureau d'accueil des tournages, des problèmes réglementaires comme l'interdiction pour le SCAN de financer les longs métrages de cinéma, et des propositions comme exonérer les films de cinéma de la TVA comme c'est déjà le cas pour les grands événements…

PREMIERS ÉTATS GÉNÉRAUX, PREMIÈRE POLÉMIQUE

Une quarantaine de participants étaient présents pour discuter de la proposition de rapport préparée par un comité de pilotage qui s'est réuni toutes les semaines depuis septembre. Sur la composition de ce comité, une polémique agite le petit monde de l'audiovisuel local (voir encadrés) au point que certains professionnels aient boycotté les états généraux.

Christine Tisseau Giraudel leur répond que "d'abord les conclusions ne sont pas décidées, aujourd'hui on continue les consultations et on inclura les pistes proposées dans le rapport. Bien sûr les deux associations ne représentent pas tout le secteur, comme Force Ouvrière ne représente pas tous les ouvriers. Mais on a invité tout le monde à participer, c'était porte-ouverte, on invitait toutes les bonnes âmes. Le rapport a été écrit de façon collégiale avec les deux associations de producteur et plusieurs techniciens de l'APTAC, dont Teva Juventin qui a participé au comité de pilotage. Pour hier on a lancé 100 invitations pour la validation de l'ensemble des travaux, et 96 ne sont pas venus... Et puis il y a un moment, au lieu de se plaindre et de ne pas avancer, on se dit 'si on se posait, si on faisait un bilan et faisions des propositions ?' Le ministre l'a dit ce matin dans son discours, il était assez touché que les professionnels prennent le problème à bras le corps. Et aujourd'hui, la moitié de la salle n'était adhérente d'aucune de nos associations."


L'APAC devenue le SCAN

Les aides publiques polynésiennes pour la production audiovisuelle sont attribuées via le SCAN (Soutien à la création audiovisuelle et numérique). Les aides sont attribuées à travers une commission qui se réunit trois fois par an pour examiner les dossiers déposés. Le SCAN a attribué pour 53,3 millions de francs d'aides publiques cette année, ce qui selon le gouvernement générera plus de 200 millions de francs de dépenses locales.

Le prédécesseur du SCAN était l'Apac créé en 2007. Il a été réformé et a changé de nom début 2015. Le principal reproche qui lui était fait : "un dispositif vieillissant, inadapté et qui, contrairement aux objectifs initiaux, avait laissé place au financement majoritaire de documentaires qui certes contribuent à la visibilité de notre Pays mais qui emploient peu de personnels." Malgré tout, le SCAN ne finance pas les projets de long métrage, se concentrant sur les clips, courts métrages et documentaires. Une consultation aurait été entamée depuis janvier pour trouver un autre dispositif pour les gros projets, mais il n'aura pas été dévoilé lors de ces états généraux.


Si les professionnels apprécient le SCAN, plusieurs critiques ont été entendues lors des états généraux : le fait que les projets numériques et audiovisuels passent devant la même commission alourdit les dossiers et les processus ; il faut deux fois plus de temps qu'avant pour traiter les dossiers ; les longs métrages ne peuvent pas être financés ; des problèmes législatifs subsistent, comme le fait que les rushes doivent être livrés alors que les producteurs assurent ne pas les posséder…


Teva Rohfritsch, ministre de la relance économique

"Je veux, à l'occasion de ces états généraux, rappeler à tous ces professionnels réunis que l'argent public est rare aujourd'hui. Nous souhaitons, au gouvernement, positionner l'argent public là où c'est utile et là où ça permet de déclencher des productions.

J'ai aussi rappelé le bilan, depuis la création de l'APAC pour en avoir été, avec d'autres, à l'origine, depuis 2007 il y a plus de 654 productions qui ont été soutenues, 421 millions de francs investis, il y a eu une vraie création d'expertise localement puisqu'on est passés de 15 à une centaine de techniciens, ce qui nous permet aujourd'hui de dire qu'on pourrait se positionner sur l'accueil de tournages internationaux. Par contre, voilà, ma mise en garde est 'attention de ne pas tomber dans cet écueil' comme on a pu le voir dans d'autres secteurs, parce qu'on a été habitués en Polynésie à faire en sorte que ce soit du 'tout subvention'.

C'est néanmoins un secteur qui nécessite du soutien, mais il y a aussi des dispositifs nationaux qui doivent être utilisés, je pense notamment aux aides du CNC, il y a eu un gros travail de fait ces dernières années. Je souhaite rencontrer à nouveau les équipes du CNC lors d'un prochain voyage à Paris, et souhaite maintenant voir comment avancer. Parce que pour le coup il y a des dispositifs nationaux qui ne sont pas assez utilisés alors que la Polynésie n'a pas les moyens seule de soutenir cette filière qui à mon avis, a le mérite d'exister et qui doit être soutenue."


Ces invités qui ont boycotté les états généraux

Marie Eve Tefaatau
Marie Eve Tefaatau
Marie Eve Tefaatau, de Pacific Production

Marie Eve Tefaatau, connue pour produire Rai et Mana, ne cache pas son opposition à ces états généraux. Selon elle, ils "pourraient induire le ministre en erreur" et elle conteste la légitimité du comité qui a rédigé le texte :

"Cette restitution des états généraux en l'état n'est pas fiable et pourrait induire le ministre Teva Rohfritsch en erreur dut à la non représentativité des personnes ayant porté le projet, apparemment au nom de la filière audiovisuelle entière. Nous sommes approximativement plus de 123 personnes travaillant dans l'industrie audiovisuelle Polynésienne. Il n'y a que 4 personnes qui ont travaillé sur ce projet. Cherchez l'erreur ?

Beaucoup des professionnels de la place ont boycotté ses états généraux, d'autres ont été zappés ou pas invités à participer. La raison ? La non-légitimité de certaines personnes portant le projet. Je pense que leur action "états généraux" est plus du lobbying auprès du ministre de leur part, qu'un travail de construction de la filière elle-même. Globalement faire un point sur la filière est intéressant mais ce n'est pas à 4 personnes de le faire au nom des autres. C'est au Pays de s'atteler à cette tâche avec le concours de tous les acteurs référencés de l'industrie audiovisuelle locale."


Bref, il y a de l'eau dans le gaz de la grande famille de l'audiovisuelle. Mais la productrice se garde bien de s'attaquer au gouvernement, puisqu'elle ajoute même dans son communiqué que Teva Rohfritsch "a tenu sa parole" sur l'attribution des subventions publiques. Elle salue ainsi le fait qu'en 2015 "trois commissions ont bien été organisées et tout le budget dédié au développement de la filière a été distribué sans saupoudrage, ni influence quelconque. Les meilleurs projets ont été sélectionnés et aidés, les moins sérieux ont été refoulés. Lors de ces commissions, nous avons enfin, en face, des personnes qui savent de quoi elles parlent et peuvent voir un intérêt aux films ou projets présentés et c'est peut être cette raison qui inquiète les personnes ayant organisé ces états généraux en comité réduit..."


Une membre de l'Association polynésienne des techniciens de l'audiovisuel et du cinéma (APTAC)

"Le président de l'APTAC a participé à une réunion c'est vrai, mais finalement notre association a décidé de ne pas participer aux états généraux, et on ne valide donc pas les conclusions qui sont rendues aujourd'hui. On n'en voit pas l'intérêt dans la mesure où il y a deux ans un audit a été fait. Tout a été dit, une grande majorité des acteurs de l'audiovisuel a été rencontrée pour faire leurs propositions et tout était dans cet audit. Autre chose, ces états généraux nous ont été vendus comme une initiative du ministère, mais en fait c'était fait "sous l'égide" du ministère, mais lui ne les avait jamais commandés, donc on s'est sentis trahis. On s'est aussi rendu compte après que tous les acteurs de la filière, gros ou petits, n'avaient pas été invités. Ce sont toujours les mêmes personnes qui font du lobbying pour ne jamais apporter de solutions au final. Et pour nous en tant que techniciens, on ne va pas dénoncer les problèmes du milieu à des gens qui au final nous embauchent. Et ça prenait sur notre temps de travail, donc voilà, on n'y est pas allés."


Rédigé par Jacques Franc de Ferrière le Mardi 1 Décembre 2015 à 17:11 | Lu 1863 fois