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Justice : le DRH du Pays trop vieux pour être fonctionnaire


La loi prévoit une limite d'âge pour tous les fonctionnaires : le mois où ils fêtent leurs 60 ans. Bruno Lonjon, en polo rayé, a dépassé cet âge depuis 2015. (Photo : Assemblée de la Polynésie française)
La loi prévoit une limite d'âge pour tous les fonctionnaires : le mois où ils fêtent leurs 60 ans. Bruno Lonjon, en polo rayé, a dépassé cet âge depuis 2015. (Photo : Assemblée de la Polynésie française)
PAPEETE, le 9 mars 2017 (mis à jour le 10 mars avec les réactions de la DGRH et du SFP) - Bruno Lonjon, directeur général des ressources humaines du Pays, va devoir prendre sa retraite de la fonction publique selon une décision de la cour administrative d'appel de Paris. La juridiction note que la loi prévoit que tous les fonctionnaires doivent quitter leur poste à 60 ans sauf si personne ne peut les remplacer, ce qui n'est pas le cas ici… Mais l'administration annonce que M. Lonjon resterai en place.

Bruno Lonjon a été directeur de la DGRH (Direction générale des ressources humaines, une administration du Pays) de 2008 à 2017… Au-delà de la limite d'âge des fonctionnaires : 60 ans. C'est le président Édouard Fritch en personne qui a signé en 2015 l'arrêté qui permet de prolongation d'activité qui repousse cette limite, le maintenant aux affaires.

Sauf que ce même Bruno est présenté par les syndicats comme "refusant systématiquement les demandes de prolongation de l'activité, même les plus justifiées". Du coup, les syndicats CSTP-FO et le Syndicat de la fonction publique (SFP) ont saisi le tribunal administratif de Papeete pour faire annuler l'arrêté… Et ont perdu ce procès en mars 2016. Le SFP décide de faire appel.

La cour administrative d'appel de Paris lui a donné raison. La décision a été publiée le 2 mars 2017. Elle annule le premier jugement, l'arrêté présidentiel accordant une prolongation d'activité à Bruno Lonjon, et condamne le Pays à payer 1500 euros de frais de justice au syndicat. Le DRH du Pays devra donc être mis à la retraite de la fonction publique dès que le Pays sera notifié de la décision…

POUR LES SYNDICATS LE GOUVERNEMENT "PROLONGE TOUS CEUX QUI SONT BIEN EN COUR"

Le SFP se félicite de la décision dans un communiqué de presse : "Le Syndicat de la Fonction Publique (SFP) assiste depuis des années au dévoiement de (la clause permettant de prolonger la limite d'âge) par ceux-là même qui l’ont fait adopter. (…) En résumé, la CAA de Paris relève « que la Polynésie française n’apporte pas d’éléments … pour confirmer qu’elle manque réellement de personnel qualifié dans le secteur de la gestion des ressources humaines ». C’est ce que nous avons toujours affirmé : avec environ 260 attachés d’administration, le Pays possède un vivier important de cadres dans le secteur de la gestion des ressources humaines."

Pour le syndicat, la décision de juste doit conduire au remplacement de Bruno Lonjon : "Le gouvernement du Pays doit tirer toutes les conséquences de cette jurisprudence et elles sont nombreuses. Pour commencer, quel lapin va-t-on nous sortir du chapeau au moment de nommer le futur DGRH ? La question est posée…"

M. LONJON RESTE À SON POSTE

Mais l'administration, qui nous a contactés pour réagir à ce papier, annonce que M. Lonjon va rester à son poste. Un responsable communication de la DGRH nous explique que "M. Lonjon a plus de 30 ans de carrières dans les RH, c'est un des rares experts en ressources humaines dans l'administration. Des DRH dans l'administration on en a pas 50 000, ça ne se trouve pas sous les sabots d'un cheval. Donc oui, il y a beaucoup d'agents qui ont la pratique des ressources humaines, mais il n'y a pas beaucoup d'experts. Donc au-delà de la décision de justice, M. Lonjon reste nommé par le conseil des ministres, mais plus en qualité de fonctionnaire, avec un emploi fonctionnel."

Le responsable assure que ce changement permet de respecter la décision de justice puisque "un emploi fonctionnel est généralement un emploi de chef de service, à la discrétion du conseil des ministres. La décision de justice lui a juste retiré sa position de fonctionnaire, le conseil des ministres peut le nommer sous un autre statut."

LA JUSTICE RAPPELLE LE PRINCIPE D'ÉGALITÉ DE TRAITEMENT DES FONCTIONNAIRES

Pourtant le jugement parisien est longuement justifié, justement car il contredit le tribunal administratif de Papeete. Il fait aussi jurisprudence. La cour administrative d'appel de Paris a ainsi rappelé que "les dispositions autorisant le recul de l'âge limite des fonctionnaires, laquelle s'applique quels que soient les emplois qu'ils occupent, doivent être interprétés restrictivement dès lors qu'elles dérogent au principe d'égalité de traitement des fonctionnaires appartenant à un même cadre d'emploi." Il précise également que "aucune disposition n'autorise l'administration à maintenir en activité un agent en raison de ses seules qualités personnelles."

La loi prévoit une limite d'âge pour tous les fonctionnaires : le mois où ils fêtent leurs 60 ans. Il est possible de repousser cette limite jusqu'à 68 ans dans les secteurs ou il y a un manque de personnel technique qualifié. "Cette disposition a été adoptée par le Pays pour pallier aux difficultés de recruter des praticiens hospitaliers, ingénieurs, etc…" explique le SFP. Or, la cour d'appel note que, selon les syndicats qui ne sont pas contredits par le Pays, "la Polynésie française emploie de nombreux agents de catégorie A, nombre d'entre eux ayant acquis une expérience en ressources humaines, et que, dès lors qu'il avait été mis fin aux fonctions de M. Lonjon en qualité de directeur général des ressources humaines, par un arrêté du 2 décembre 2013, il avait été immédiatement remplacé par un autre agent, qui a occupé cet emploi jusqu'au 29 octobre 2014."

Un représentant de la CSTP-FO s'est réjoui de la décision : "ce n'est pas qu'on veuille le mettre à la retraite, c'est qu'il remplit les conditions légales de départ, sauf dérogation spéciale pour prolongation d'activité qui demande des critères spécifiques. Sauf que nous avons souvent demandé des prolongations d'activité pour différentes personnes qui les méritaient, et elles ont systématiquement été refusées par Bruno Lonjon. Et il a droit à une prolongation d'activité, alors que des diplômés en RH il y en a pléthore, et qu'on l'a déjà remplacé par son adjoint ! On veut juste que les textes soient appliqués pour tout le monde de la même façon. C'est incroyable que le Pays ne soit pas capable d'appliquer la loi !"

Le responsable de la DGRH tiens à répondre que "c'est faux de dire que le Pays ne respecte pas la loi. Le Pays a appliqué la décision de la Cour d'appel de Paris et M. Lonjon n'est plus fonctionnaire. Il a maintenant un emploi fonctionnel, ce qui est légal. C'est laissé à la discrétion des instances compétentes."

Rédigé par Jacques Franc de Ferrière le Vendredi 10 Mars 2017 à 13:37 | Lu 9377 fois