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Ils ne veulent pas "flancher" mais le burn-out touche aussi des petits patrons


Paris, France | AFP | lundi 12/10/2015 -Ils s'interdisent le plus souvent "de flancher", mais le burn-out, ou syndrome d'épuisement professionnel, touche aussi des petits patrons, commerçants et autres artisans, une réalité méconnue, mise en lumière lors d'un récent colloque à Paris.

Lorsque son "corps dit +stop+", un matin de 2004, Arnaud Dupuis, dirigeant d'une entreprise de matériaux pour le bâtiment, fait croire à ses employés qu’il est victime de la mononucléose. "J'avais honte", confie-t-il à l’AFP. Alors il ment. "J'étais au fond de l'abîme".

Le burn-out, qui l'écarte de l'entreprise pendant six mois, intervient après une année difficile: la moitié des 600 emplois de l'entreprise, en difficulté, ont été supprimés. "C'était extrêmement violent, mais je portais un masque", raconte-t-il, car "le leader est regardé sans arrêt".

Selon des chiffres cités lors d'un récent colloque à Paris, 480.000 salariés seraient concernés par la "souffrance psychique au travail", recensés en 2012 par l'Institut de veille sanitaire (InVS).

Mais l'InVS, qui s'appuie sur les témoignages de médecins du travail volontaires, ne comptabilise pas les non-salariés, dont le taux de suicide est "supérieur aux taux de suicide des autres catégories", a rappelé lors du colloque Gérard Sebaoun, député (PS) président du groupe d'étude "Pénibilité du travail, santé au travail et maladies professionnelles".

Pas facile de mesurer le phénomène chez les entrepreneurs. "Il y a une idéologie du leadership qui interdit tout signe de faiblesse, à la fois dans le comportement et dans la parole" du patron, explique à l'AFP Olivier Torrès, enseignant-chercheur spécialiste des PME à l'université de Montpellier qui, en 2009, a créé l'observatoire Amarok, premier du genre à étudier la santé au travail des patrons.

Ayant souvent investi tout ou partie de leur capital, les petits patrons sont "engagés patrimonialement", analyse Olivier Torrès. "En cas de dépôt de bilan, ils perdent d'un coup leur emploi et leur capital". Conséquence, ils sont "surengagés" dans le travail, dorment moins, passent moins de temps en famille. "Ce sont les plus gros travailleurs de France, avec une moyenne hebdomadaire de 50-55 heures", rappelle-t-il.


- "Si je tombe, la boutique tombe" -



En 2010, Sophie Bongent, 38 ans, investit toutes ses économies en plus d'un crédit dans une pizzeria dans une commune du Puy-de-Dôme, avec son compagnon. Ce dernier la quitte au bout de deux mois. Pour que la boutique tienne debout, elle doit engager un salarié, et travaille 12 heures par jour, sept jours sur sept. "J’ai serré les dents", dit-elle à l'AFP.

Pendant trois ans, elle tient. Un jour, après le service de midi, elle monte se reposer chez elle. "C'est arrivé d’un coup": son coeur s'emballe, ses membres se crispent, elle ne peut plus bouger. "J'ai cru que j'avais un infarctus", se souvient-elle. C'est son premier burn-out.

A l'hôpital, les médecins lui recommandent de s'arrêter quelque temps. "J'ai repris le soir même", dit-elle. "J'aurais bien voulu prendre une semaine, mais je ne pouvais pas me le permettre. Si je ferme, je suis à la rue avec mon fils". En mai dernier, deuxième burn-out. Elle est aujourd'hui sous antidépresseur.

Cette situation, Olivier Torrès la connaît bien. "J'ai souvent entendu +Je n'ai pas le temps d'être malade+, mais aussi, et la nuance est forte, +Je n'ai pas le droit d'être malade+", indique-t-il. Et d’ajouter: "Les patrons disent +Si je tombe, c'est la boutique qui tombe+ (...) Ils n'ont pas le droit de flancher".

"J'ai été extrêmement seule", confie Sophie Bongent, "il n'y a personne qui nous suit". Elle décide un jour d'en parler à un ami, propriétaire d'un garage. "Je me suis rendue compte qu'il avait les mêmes problèmes".

Aujourd'hui, Arnaud Dupuis anime un atelier de "reconstruction de l'estime de soi" au sein de l'association France Dépression, pour aider les victimes de burn-out. "Aider les autres, tendre la main, ça fait aussi partie de ma reconstruction", dit-il.

Rédigé par () le Lundi 12 Octobre 2015 à 06:20 | Lu 281 fois