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"Il faut que nous nous mobilisions tous afin de diluer le décrochage scolaire "


Philippe Couturaud, 62 ans, vice-recteur de la Polynésie française.
Philippe Couturaud, 62 ans, vice-recteur de la Polynésie française.
PAPEETE, le 9 août 2017 - Philippe Couturaud est le nouveau vice-recteur de Polynésie. Il a pris ses fonctions le 2 mai dernier et succède à Jean-Louis Baglan. Après une période de réserve électorale et malgré un emploi du temps chargé, le représentant du ministère de l'Éducation nationale en Polynésie française a pris du temps pour se confier. Missions, chantiers en cours et objectifs : tout, ou presque, est dit.

La convention décennale Etat/Pays relative à l'éducation a été adoptée et signée en fin d'année. Qu'est-ce que cela change dans votre mission?

La dernière convention, je la trouve très intelligente. Jusqu'à présent, chacun avait ses missions. La mission du ministre est la responsabilité de l'organisation du fonctionnement de l'enseignement scolaire. La mission du vice-recteur réside dans la délivrance des diplômes, la gestion des personnels, l'allocation de moyens et l'expertise. Les missions sont réparties entre deux personnes. Avec cette convention, l'objectif est la synergie et non pas de l'opposition.

Est-ce facile de travailler en synergie?


Ce n'est pas toujours très simple. Mais il faut se voir comme des partenaires, nous avons des éléments facilitateurs et la convention en fait partie. Jusqu'à présent, nous avions la politique des puits, où chacun avait sa mission. Maintenant, nous arrivons sur la politique des étangs. Premièrement, les chefs d'établissements sont mis à disposition du gouvernement. Ils ont des lettres de mission rédigées conjointement par la ministre et le vice-recteur. Ce qui n'était pas fait avant. Au bout de deux ans, elles seront évaluées conjointement. Il n'y a pas de numéro 1 et numéro 2. Nous sommes un tandem. D'autre part, dans cette convention, nous avons deux types d'inspecteurs : ceux du 1er degré et les IA-IPR (Inspecteur d'académie- inspecteur pédagogique régional). Les inspecteurs du premier degré ont eux aussi une lettre de mission rédigée conjointement. Dans le collège des inspecteurs du premier degré, le vice-recteur peut être associé. Dans le collège des inspecteurs du second degré, la ministre peut elle aussi être appelée à participer.

Quels sont les autres outils dont vous disposez avec cette convention?

Nous pouvons faire un collège de tous les inspecteurs. C'est ce que j'ai fait en juin. Avec Tea Frogier (NDLR : ministre de l'Education), nous sommes en train de parler à nos inspecteurs. A mon sens, il faut que les inspecteurs du premier et second degré puissent travailler ensemble… J'ai déjà travaillé sur la réforme du collège par le passé. C'est là que nous avons aussi décidé de réintégrer le chef d'établissement et son adjoint dans le processus. Pendant trop longtemps, nous avons oublié que le principal était aussi un enseignant. C'est cette idée que nous instillons en Polynésie Française. Les inspecteurs doivent travailler ensemble avec les chefs d'établissement pour accompagner l'évolution de l'enfant du CP au CM2 à la classe de 6ème. C'est cette évolution qu'il faut mettre en place. Le passage de l'école au collège ne doit pas être une rupture, cela doit être un avantage. C'est cette idée-là qui est impulsée à l'heure actuelle en Polynésie. Nous avons 13 inspecteurs du premier degré. Nous avons huit inspecteurs d'académie, inspecteur pédagogique régional, ils ont chacune une circonscription. Cela va nous permettre de mettre en place des politiques du pédagogique.

Quel est l'intérêt pour les élèves?

L'intérêt pour les élèves est d'avoir un parcours plus progressif. On sait bien que notre plus gros problème en Polynésie, c'est le premier degré. Alors, pendant un temps, nous avions un problème de formation initiale. Petit à petit, nous allons innover sur ce point là. Nous avons écouté la préconisation sur les CP à 12 élèves dans les zones prioritaires. Nous avons fait le nécessaire pour que ce soit fait. De même, la Polynésie était précurseur dans l'enseignement des langues régionales. Depuis l'année dernière, le fenua a mis en place en classe de 6ème un an de tahitien.

Avez-vous les moyens de mettre tout ceci en place ?


Nous avons des moyens. Nous avons les moyens, il faut savoir les utiliser. Il faut travailler ensemble. Il faut que les inspecteurs du premier degré puissent savoir ce qu'il se passe dans les collèges et l'inverse. Nous avons décidé de mettre en place des observations croisées. C'est-à-dire que les professeurs aillent voir ce qu'il se passe en 6ème et CM2. Il faut un travail beaucoup plus coordonné. Tout le monde dit que la priorité c'est le premier degré, donc il faut qu'il y ait un travail collectif.


"Je suis très optimiste pour le système éducatif de la Polynésie française"

Quels sont les autres chantiers sur lesquels vous travaillez?

Il y a une autre volonté du territoire : permettre aux étudiants qui ont un baccalauréat professionnel de poursuivre leurs études en BTS. A l'heure actuelle, on se rend compte qu'il y a trop d'élèves de lycée professionnel qui s'engagent dans un cursus universitaire qui n'est pas adapté à leur parcours. Un bac pro, c’est un diplôme pour une insertion immédiate ou pour un BTS avec une insertion par la suite. A l'heure actuelle, il y a trop d'élèves qui ont un baccalauréat général ou un bac technologique qui vont en BTS au détriment des personnes qui ont passé un baccalauréat professionnel. L'objectif est de réorienter les masses. C'est d'ailleurs ce qui est déjà en train de se faire avec l'ouverture à Faa'a de deux BTS destinés aux élèves qui ont un baccalauréat professionnel. Cette politique là est importante, il faut qu'on la mène ensemble. Il y a des particularités ici qui fonctionnent. Les bonnes idées ont déjà été développées, il faut s'en saisir. Je suis très optimiste pour le système éducatif de la Polynésie française.

Où en est-on du côté de l'école numérique?

Ici, au vice-rectorat, nous avons un délégué qui est chargé d'impulser le développement du numérique éducatif. Il faut que l'on puisse promouvoir des choses, faire participer des élèves à des opérations de plus grande envergure. Les moyens techniques se développent. Mais il y a aussi le numérique à développer localement.

Que comptez-vous faire pour lutter contre le décrochage scolaire?

Mon prédécesseur a mis en place des moyens pour travailler sur ce phénomène. C'est un travail fondamental. Le chef d'établissement doit pouvoir agir dès que le problème se présente. De plus, il nous manque des structures comme des classes relais, nous sommes en train de réfléchir pour voir si les CJA ne peuvent pas jouer ce rôle-là. Il faut que nous nous mobilisions tous afin de diluer le décrochage scolaire et amener les élèves vers une réussite possible.

En fin d'année scolaire, un des sujets relevés dans les médias était l'absentéisme des professeurs. Quelle est votre réaction par rapport à cela?

Je pense que la première chose à faire est de mettre en place un observatoire de l'absentéisme des professeurs comme nous l'avons fait avec les élèves. Il ne faut pas oublier que nous avons besoin de gérer les ressources humaines que sont les enseignants. Nous avons mis en place sur la Polynésie française un médecin de prévention. Ce qui est très progressiste comme démarche.

Quel sera son rôle?

Il est à la disposition des professeurs pour parler s'ils en ont le besoin. Il peut aussi être sollicité dans le cadre d'un bilan entre le professeur et sa hiérarchie. Il faut pouvoir adapter le poste. Le métier d'enseignant est un métier très difficile, c'est très exigeant. Le public vous voit 18 heures mais à côté, il faut pédaler! C'est un très beau métier. C'est le métier qui vous donne le plus d'émotions, positives ou négatives.

Y-a-t-il d'autres choses à mettre en place?

Comme je l'ai dit, nous travaillons à la mise en place des classes de CP à 12 élèves. Nous travaillons aussi sur les examens. Beaucoup de choses on été faites, beaucoup de choses restent à faire. Mais la situation est plutôt intéressante. Il ne faut surtout pas oublier un élément important : le patrimoine scolaire. Sur ce point, avec des projets comme Bora Bora et une réflexion à Moorea, il y a des choses qui sont menées. C'est un très beau travail qui a été fait depuis quelques années. On a pris un peu de retard, mais il y a une volonté d'avancer.

Qui est Philippe Couturaud?

Philippe Couturaud, 62 ans, a passé une partie de son enfance en Polynésie avant d'y être professeur et, depuis mai, vice-recteur.

- 1986 : nomination en Polynésie, au lycée du Taaone, comme professeur dans le BTS comptabilité et gestion;
- 1987 : devient responsable de l'inspection pédagogique territoriale régionale dans le Pacifique;
- 1989 : devient inspecteur d'académie, inspecteur pédagogique régional sur le Pacifique Nouvelle-Calédonie Wallis Futuna et Polynésie française;
- 1992-2002 : devient inspecteur pédagogique régional à Montpellier;
- 2002- 2006 : vice-recteur à Mayotte;
- 2006 : Philippe Couturaud rentre en métropole où il passe plusieurs années (en Bretagne et dans les Pyrénées), avant de devenir conseiller culturel à l'ambassade de France à Rabat, au Maroc;
- 1er mars 2015 : succède à Jean-Louis Baglan à la direction académique des services de l’éducation nationale du Rhône;
- 2 mai 2017 : nommé vice-recteur de la Polynésie française.



Rédigé par Amelie David le Jeudi 10 Août 2017 à 04:00 | Lu 2114 fois