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Forum du Pacifique: Oscar Temaru réitère sa demande de réinscription sur la liste de l'ONU des pays à décoloniser


Forum du Pacifique: Oscar Temaru réitère sa demande de réinscription sur la liste de l'ONU des pays à décoloniser
Le Président Oscar Temaru, a réitéré, mercredi 29 août, une demande devant le Forum des îles du Pacifique, sans le soutien de la France : celle de voir cette collectivité réinscrite sur la liste de l’ONU des pays à décoloniser.
Oscar Temaru a prononcé un discours plus "pondéré" qu'à son habitude, ménageant cette fois le nouveau gouvernement français.
Son discours comportait deux parties principales. La première était le compte rendu synthétique des conclusions du Forum Asie-Pacifique du club de Madrid.
La seconde partie de son discours était axée sur une nouvelle perspective sur la décolonisation. Selon un communiqué transmis par la Présidence, ce discours aurait reçu un excellent accueil de la part des participants.
On notera néanmoins que le non-soutien de la France, dans cet démarche, a été une nouvelle fois appuyé par l’Australie et la Nouvelle-Zélande qui, tout comme le forum lors de ses précédentes réunions et communiqués, considère que ce dossier concerne au premier chef Paris et Papeete.

Le Discours intégrale d'Oscar Temaru

M. Le secrétaire général du Forum
Membres du Forum et tous les membres associés,
Staff organisateur,
Et le fantastique peuple de Rarotonga,




Kiaora,talofa, fakalofa, alii, bulavinaka, kam na mauri, iakwe, gaoi, ranallim, kotaka, tiabo, malo e lelei, yokwe, halo olgeta, iaorana, …

Les 5 et 6 juillet 2012, les membres du Club de Madrid – tous anciens chefs d'État et de gouvernement démocratiques de différentes régions du monde – se sont réunis à Tahiti, en compagnie de décisionnaires renommés, de leaders du monde politique et des affaires, de chercheurs et de représentants d'organisations internationales et de la société civile, apportant leur expertise pour examiner les défis d'un Pacifique plus performant dans l'ordre mondial du 21e siècle.

Ce Forum Asie-Pacifique, organisé conjointement par le Club de Madrid et mon gouvernement, avec la collaboration significative et effective de l'UNESCAP (la Commission Asie-Pacifique de l'ONU, NDLR), a été un moment décisif pour le Pacifique, et la rencontre régionale la plus importante qui ait pris place immédiatement après le sommet Rio+20.

C'est avec un immense plaisir, et le sentiment qu'elles sont complémentaire au Forum des Îles du Pacifique, que je vous présente les conclusions de ce Forum Asie-Pacifique

La première conclusion est que le contexte international est la clé de la compréhension des options qui s'offrent à nous.
Les pays insulaires du Pacifique sont situés entre deux géants et les leaders du Pacifique sont très conscients du déplacement de pouvoir et d'influence que l'ordre mondial est en train de vivre, de l'Atlantique à notre Pacifique. Le défi qui attend les dirigeants du Pacifique est de tirer avantage des opportunités qui en découlent, par exemple, de la croissance de la Chine et des nouveaux modèles de coopération Sud-Sud.

En même temps, le reste de la communauté internationale doit comprendre que si les pays du Pacifique ont des liens très anciens, certains coloniaux, certains régionaux, leurs dirigeants affirment leur droit de regarder au Nord, au Sud, à l'Est et à l'Ouest, pour commercer et travailler avec les gens de leur choix, avec une confiance et une légitimité renouvelées.

Dans ce contexte, les leaders du Pacifique doivent avancer vers une économie plus verte, tandis que le monde doit reconnaître la composante "bleue" des économies du Pacifique.
Plus que des "petits états insulaires en développement", les nations du Pacifique sont réellement des "grands états océaniques" qui représentent certaines des zones économiques les plus grandes du monde. Nous devons contribuer et combattre pour un Océan pacifique sain grâce à des stratégies efficaces en matière d'énergies renouvelables et un meilleur traitement des déchets, entre autres.

Vu comme un problème de sécurité dans l'ensemble du Pacifique, le changement climatique doit effectivement être combattu avec le reste de la communauté internationale. Si les processus de négociation s'essoufflent, l'impératif de "combler les besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à satisfaire leurs propres besoins" est plus que jamais d'actualité. C'est particulièrement pertinent pour certains des principaux secteurs économiques dans le Pacifique, le tourisme au tout premier rang.

La connectivité doit être recherchée, encouragée et exploitée, et les systèmes de communications renforcés pour sortir le Pacifique de son isolation et de sa réalité périphérique.

Ce forum Asie-Pacifique, organisé par des équipes basées à Madrid, Brisbane et Tahiti, séparées par un décalage horaire de 12 heures et plus de 6 000 kilomètres et pourtant reliées virtuellement et capables de travailler ensemble, a bien montré comment la technologie moderne peut bien servir les communautés et la démocratie.

Parce que la connaissance n'est jamais plus pertinente que lorsqu'elle est partagée, la technologie nous a permis de réaliser des enregistrements vidéo de toutes les sessions de ce forum Asie-Pacifique, ainsi que des éléments de présentation, et de les partager avec tous sur notre site Internet, www.presidence.pf. Je suis certain que beaucoup d'entre vous en ont déjà noté l'adresse url…

Le Pacifique offre une riche diversité culturelle et nous devons nous battre pour la préserver. L'éducation jouera un rôle vital dans ce processus, et si les enfants des îles du Pacifique doivent apprendre les langues du commerce, ils doivent aussi apprendre à chérir et protéger leur identité, les langues et les traditions qui rendent leur histoire si riche et haute en couleurs.
D'une manière générale, nous devons développer des solutions du Pacifique pour les problèmes du Pacifique. Les programmes ascendants qui répondent aux problèmes et aux approches du Pacifique doivent être encouragés. Nous devons construire sur les systèmes de gestion traditionnels tout en regardant vers l'avenir, et en gardant à l'esprit l'intérêt des générations futures.

Les communautés du Pacifique doivent avoir confiance en leur propre avenir, s'engager et s'approprier leur futur.
Cela demandera le renforcement de leurs capacités institutionnelles à tous les niveaux de gouvernement, et la reconnaissance de la démocratie en tant qu'ensemble de valeurs, plutôt qu'en tant qu'ensemble de règles.
Si les participants ont reconnu qu'il n'existe pas de feuille de route unique pour cela, les dirigeants devront trouver les moyens de faire coexister leur idées nationales avec les réalités et les exigences de la société globale, et développer un message clair et efficace sur qui ils sont et ce qu'ils cherchent à accomplir.
Ils devront apprendre à gérer la diversité et à transformer progressivement leurs communautés en sociétés de partage – socialement unies, stables et sûres, où tous ceux qui y vivent se sentent les bienvenus; des sociétés qui respectent la dignité de tous et les droits de l'Homme, tout en offrant à chaque individu une égalité des chances.
Nous devons faire progresser l'intégration, la mise en œuvre et la cohérence des décisions que nous prenons au niveau international, que ce soit en matière de développement durable ou de consolidation fiscale. Cela signifie que le Pacifique doit augmenter son niveau de coopération régionale et sous-régionale, partageant les bonnes pratiques avec d'autres régions et d'autres acteurs qui ont fait face à des défis similaires, comme les Caraïbes.

Construire un Pacifique plus solide signifie également que le vieux modèle de l'"aide" doit devenir une chose du passé. La coopération internationale en matière de développement doit évoluer vers l'investissement et des partenariats réciproques, qui sont déjà en place dans certains pays.
Enfin, et c'est le plus important, un avenir durable et digne dans le Pacifique nécessitera une vision et un leadership. Quelque soit la région –que ce soit dans le Pacifique ou ailleurs- si c'est effectivement le peuple qui décide comment il se voit et ce que doit être son avenir, les dirigeants ont la responsabilité de transformer cette vision en action réelle et concrète.
L'histoire du Pacifique regorge de leaders qui avaient une vision, mais les communautés du Pacifique doivent s'approprier cette vision et encourager leurs dirigeants à modeler le futur en en tenant compte.

À cette fin, même si une telle vision ne peut pas être apportée par un groupe comme le Club de Madrid, cette organisation est prête, en tant que groupe d'anciens chefs d'État et de gouvernement démocrates , à travailler avec les leaders du Pacifique pour répondre aux défis que posent la prise de décisions et la gouvernance dans l'ordre mondial actuel, et ainsi contribuer à un avenir durable, avec la dignité que nous souhaitons et méritons tous.

En parlant de vision, vous savez tous à quel point le droit des peuples à l'auto-détermination est l'une des pierres angulaires de mon engagement politique.
J'ai entamé cette quête en 1977, mais d'autres avant moi l'avaient déjà commencée. En réalité, nos ancêtres n'ont jamais cessé de réclamer leur liberté, et nos enfants continueront, si cette génération n'y parvient pas.
La liberté est le chemin. Comme des gouttes de pluie qui finissent pas briser la roche la plus dure, la vraie persévérance surmontera tous les obstacles.
Se cacher ou éviter ce cheminement vers l'auto-détermination et la liberté n'est pas seulement dans mon ADN maohi.
De ce point de vue, je ne peux que rendre un hommage sincère à l'honorable Henry Puna, l'honorable TuilaepaAionoSaileleMalielegaoi, et tous les membres du nouveau Groupe des leaders polynésiens qui, samedi 25 août, ici à Rarotonga, ont affirmé le soutien du GLP à la quête du peuple maohi et son premier pas : la réinscription sur la liste des territoires non autonomes de l'ONU.
Ce soutien s'ajoute à une liste toujours grandissante de soutiens, récoltés depuis l'an dernier, que j'aimerais rappeler brièvement.
En mars et juin 2011, la majorité des membres de l'assemblée de la Polynésie française a signé une pétition commune demandant la réinscription sur la liste des territoires non autonomes de l'ONU.
En juin 2011, notre conseil des ministres a exprimé son soutien officiel à cette pétition.
En août 2011, une résolution fut adoptée par l'assemblée, allant plus loin et exprimant la volonté politique de voir le territoire réinscrit sur la liste de l'ONU.
En août 2011, à Piula aux Samoa, la Conférence des Églises du Pacifique a apporté son soutien sans ambiguité.
En septembre 2011, la Ligue internationale des Femmes pour la Paix et la Liberté a exprimé son soutien.
En septembre 2011, à Fidji, les chefs d'État et de gouvernement du second sommet régional "Engagingwith the Pacific" a spécifiquement recommandé la réinscription de la Polynésie française.
En novembre 2011, aux Samoa, les chefs de gouvernement du Groupe des leaders polynésiens, sans sa réunion inaugurale, ont réitéré leur soutien en insérant la question du "droit à l'auto-détermination pour les états et territoires polynésiens, y compris la Polynésie française, dans ses objectifs.
Plus récemment, en mai 2012 à Sharm El Sheikh (Egypte), la réunion ministérielle du bureau des pays non alignés a adopté une résolution formelle dans le chapitre spécial de son document final consacré à l'auto-détermination et la décolonisation, affirmant le droit inaliénable de la Polynésie française-Maohi Nui à l'auto-détermination en accord avec le chapitre IX de la Charte des Nations-unies et la résolution de 1514 de l'assemblé générale des Nations-unies.
En août 2012, chez nous, l'Église protestante a adopté, à la fin de son synode, une résolution qui elle aussi soutient clairement notre démarche.

"Cependant, je voudrais tous vous inviter à adopter une nouvelle perspective sur ce problème fondamental dans l'évolution naturelle des territoires et de leurs puissances coloniales historiques.
Je vous invite à voir ce processus à travers un nouveau prisme :
- plutôt que d'y voir une opposition, nous devrions y voir une coopération.
- plutôt que de voir des positions qui créent des divisions, nous devrions voir un véritable dialogue
- plutôt que d'y voie une menace envers les puissances coloniales, nous devrions voir une opportunité pour remplir la mission sacrée à laquelle elles ont souscrit devant les Nations-unies depuis 1946.

De fait, hier la cérémonie d'ouverture de ce Forum a été, à bien des égards, un véritable exemple de cette perspective.

On ne peut qu'être impressionné d'entendre, de voir et de sentir la foule acclamer l'arrivée d'anciennes puissances coloniales. Ces pays ont prouvé qu'une décolonisation intelligente, compatissante et paisible est réellement possible.

Quand on y pense, quel est le point commun entre Niue, les îles Cook, les Samoa occidentales,Kiribatu, Tuvalu, Fidji, Nauru, Vanuatu, la Papouasie Nouvelle-Guinée et les îles Salomon ?

Ils étaient tous sur la liste des Nations-unies des pays non autonomes, dont ils ont été retirés après être devenus entièrement indépendants ou après avoir obtenu un statut d'état librement associé et autonome.

En définitive, le processus a-t-il été bénéfique à toutes les parties, y compris les anciennes puissances coloniales ? Les îles Cook, et les autres, sont la preuve de cette affirmation. Ils font des progrès dans tous les domaines de la vie sociale, économique et culturelle.

Dans le même temps, ils ont désormais établi des partenariats loyaux et efficaces avec leurs anciens pays dirigeants.

Ceci, mes amis, la simple opportunité de pouvoir nous engager sur ce chemin, est ce que nous cherchons.

Maohi Nui est un grand pays, de 5 millions de kilomètres carrés. Son peuple, son économie et ses valeurs ont été grandement mis à mal par son histoire coloniale.

S'attaquer aux problèmes clé de santé, d'emploi, de transports, d'énergie, d'environnement et de bien-être général de nos 280 000 habitants n'est pas une tâche facile.

Nous sommes face à des défis qui ne peuvent être relevés en nous isolant du reste du monde.

Depuis 2004, et notre première accession au gouvernement grâce au réveil qui entrera dans les livres d'histoire comme le "Tauiroa", "le grand changement", le gouvernement de droite de la France a été déterminé à conserver son bastion de la "Polynésie française", et l'ancien président Nicolas Sarkozy est allé jusqu'à ignorer la propre constitution de la France et ses engagements envers l'ONU, en tirant une "ligne rouge" qui ne devrait jamais être franchie.

Mais était-ce cela la France ? Était-ce réellement le pays des droits de l'Homme qui s'exprimait ?

Quand nous avons commencé notre quête, on nous a barré l'accès aux médias.

Il a fallu l'arrivée d'un président socialiste, François Mitterrand, en 1981, pour pouvoir finalement y avoir accès et créer la première station de radio indépendante.

Le 12 mai 2012, après 17 ans de gouvernements de droite en France, un nouveau président socialiste, François Hollande, a été élu. Je connais cet homme depuis longtemps. C'est un véritable homme de dialogue, un démocrate dans le meilleur sens possible.

Un tel homme peut comprendre que le processus de décolonisation n'est pas une provocation, mais au contraire une marque de confiance.

Nous ne demandons à personne ici de décréter l'indépendance de la Polynésie française, Maohi Nui.

Cette décision ne vous revient pas. En réalité, elle ne me revient pas non plus, pas plus qu'à M. Hollande. Cela, quand le temps viendra, sera un choix donné au peuple de notre pays.

Ce que nous demandons, en étant réinscrits sur la liste de l'ONU, est le simple droit à un processus cohérent, pertinent et respectueux d'auto-détermination qui ne peut qu'apporter de la dignité à toutes les parties prenantes.

C'est exactement ce qui se passe en Nouvelle-Calédonie, depuis sa réinscription sur cette liste en 1986, après que ce Forum ait approuvé sa requête en 1985.

Le Forum des îles du Pacifique a exprimé son soutien au principe du droit de la Polynésie française à l'auto-détermination lors de sa 35e rencontre aux Samoa en 2004, à sa 36e rencontre en Papouasie Nouvelle-Guinée en 2005, et lors de sa 42e réunion en Nouvelle-Zélande en août 2011.

Aujourd'hui, en 2012, après tous les soutiens réunis depuis 2011, et particulièrement le soutien fort du Groupe des leaders polynésiens, nous demandons au Forum des îles du Pacifique de ne pas rester immobile et de rejoindre le mouvement.

Je suis confiant que nous allons au moins franchir un pas. Et comme nous l'avons tous appris d'un héros qui vient de disparaître, un petit pas peut être, en réalité, un pas de géant vers une réelle démocratie.

Mauruuru, Te aroha ia rahi

Rédigé par () le Jeudi 30 Août 2012 à 12:16 | Lu 2721 fois